Acoustique des acouphenes

CLAUDE FRANCESCHI

Service de Diagnostique Ultrasonore Vasculaire, Hôpital S. Joseph - Paris



 

Les acouphènes sont des sensations auditives provoquées par des désordres somatiques indépendamment de tout stimulus extérieur. Cela les différencie des sensations anormales déclenchées par des stimuli extérieurs à l'organisme et des hallucinations auditives ou acousmies d'origine psychique.
Ces sensations correspondent, soit à des bruits mécaniques pouvant être perçus par un observateur extérieur avec ou sans instrument de détection, soit à des anomalies de perception responsables d'une sensation auditive en l'absence de source sonore interne objective.
Ils sont classiquement définis comme des bourdonnements, continus ou intermittents de tonalité grave, des claquements de durée brève sans caractère tonal bien défini, des sifflements continus ou intermittents de tonalité aiguë et des tintements continus ou intermittents de tonalité moyenne.
On peut aussi les classer selon leur étiologie:
· Les acouphènes produits par les souffles vasculaires, artériels, veineux et artério-veineux.
· Les acouphènes générés par la chaîne de transmission: claquements du tympan, myoclonies des muscles du marteau.
· Les acouphènes d'origine cochléo-neurologique créant une illusion de son:
1) hypertension endo-lymphatique cochléaire associant déficit auditif, vertiges vrais et acouphènes (maladie de Ménière);
2) hypothétiques hyperactivité ou inhibition des contrôleurs des cellules ciliées externes cochléaires;
3) bruits dans les bandes de fréquence auditives déficitaires.
Dans tous les cas, les acouphènes peuvent interférer plus ou moins gravement avec le psychisme.

 
 
Les causes vasculaires

Il s'agit soit de vibrations produites par le passage turbulent du sang dans un vaisseau suffisamment proche d'une paroi crânienne pour être transmises à la cochlée par voie osseuse, soit de battements artériels hyperkinétiques proches de l'oreille.
Les turbulences sont modulées en fréquence comme en amplitude par le rythme cardiaque. Très nettement quand il s'agit de vitesses excessives dans une artère, soit au niveau d'une sténose ou d'une plicature, soit en raison de débit très élevé par des fistules artério-veineuses en aval. Moins nettement quand la turbulence générée vient d'un flux veineux. Dans tous les cas, la réduction suffisante du flux entraîne un arrêt des acouphènes.
Les méthodes d'exploration instrumentale peuvent montrer des sténoses, des plicatures ou des fistules artério-veineuses, mais la preuve de leur responsabilité doit être complétée par des manuvres de réduction des flux dont les plus immédiates sont les compressions manuelles directes des vaisseaux qui supprimant l'acouphène peuvent seules en apporter la preuve.
Les causes les plus fréquentes sont les sténoses artérielles juxta et intra-pétreuses ou endo-crâniennes de la carotide interne, les sténoses plus rares du tronc basilaire, les fistules artério-veineuses entre les branches de la carotide externe et/ou de l'artère vertébrale, les fistules artério-veineuses intra-crâniennes. Parfois il s'agit d'une veine jugulaire interne, générant le bruit à partir du golfe sans que l'on y décèle angiographiquement une anomalie évidente. Mais il s'agit probablement soit de son trajet en baïonnette à ce niveau qui peut déterminer des turbulences, soit des vibrations d'un lambeau fibrineux indécelable.
Le diagnostique clinique s'établit sur le caractère pulsatile de l'acouphène, rythmé par le cur et parfois associé à un souffle audible au stéthoscope, de tonalité comparable à celle d'un souffle artériel. Le vaisseau responsable est la jugulaire interne quand il s'abolit pour une compression légère de la face antéro-latérale du cou, manuvre que sait déjà souvent faire le patient pour arrêter ses acouphènes. Il s'agit de la carotide quand l'abolition est provoquée par la compression directe de la carotide primitive. La différenciation entre l'origine carotidienne externe et interne est plus difficile mais est parfois évidente quand le patient lui-même a déjà repéré le siège de la compression qui le soulage. Il s'agit alors de fistules entre la carotide externe et le sinus latéral quand la compression efficace concerne l'artère occipitale. Les battements hyperkinésie on la tonalité d'un battement de tambour rythmé par le cur.
L'utilisation d'un stethoscope inversé double porté à la fois par le patient et le medecin peut permettre d'entendre ce qu'entend le patient (Fig. 1).
L'écho-Doppler orienté par la clinique, associant Doppler continu, Doppler Pulsé intra-crânien, Duplex scan, et éventuellement codage couleur, doit rechercher les sténoses et les fistules artério-veineuses éventuellement responsable. Les modalités en sont un peu complexes et demandent une bonne connaissance et une expérience des manuvres de compression.
L'angiographie, souvent guidée par les données Echo-Doppler, confirmera le diagnostique.
Les traitements consistent, quand la topographie le permet, à supprimer les sténoses, réduire les débits des fistules artério-veineuses et des veines jugulaires. Ils vont de la chirurgie aux irradiations en passant par les embolisations.
On comprend aussi pourquoi des acouphènes pulsatiles vasculaires peuvent être aggravés par des traitements vaso-actifs destinés à réduire les résistances microcirculatoires et donc à augmenter vitesses et débits.

 

Les causes otologiques

Les claquements du tympan et parfois les sifflements par dysfonctionnement de la trompe d'Eustache, sont évoqués sur leur survenue occasionnelle souvent circostanciées (efforts de mouchage, voyage en avion).
Les myoclonies du muscle du marteau provoquent des acouphènes sous forme de brefs clicks en rafale, irrégulières, non rythmés par le cur et d'étiologie équivalente à celles des myoclonies de la paupière.
Les bourdonnements et sifflements continus sont parfois rapportés à une cause première, maladie de Ménière, traumatisme sonore mais le plus souvent impossibles à expliquer à soi-même comme au patient aboutissant à des investigations paracliniques multiples et négatives en dehors des déficits auditifs souvent associés et comme nous l'avons dit dans la bande de fréquence correspondant à celle de l'acouphène par un équivalent du phénomène membre fantôme.
 
 

Les hallucinations auditives ou acousmies

Il ne s'agit jamais d'acouphènes, mais elles doivent être reconnues comme diagnostic différentiel. Il s'agit de phénomènes psychiatriques délirants chroniques ou aigus.
Ils doivent être soigneusement analysés pour éviter l'erreur qui avait conduit à l'asile psychiatrique un homme parcequ'il entendait Radio Paris tous les jours de 7 heures à 24 heures en l'absence de récepteur radiophonique et qui fut guéri miraculeusement par l'ablation d'une prothèse dentaire qui fonctionnait malencontreusement comme un poste à galène réglé sur la fréquence de l'émetteur de Radio Paris. De même, les aura des epilepsies temporales peut se traduire par des hallucinations auditives.

 
En conclusion

La très grande majorité des acouphènes est d'origine cochléo-neurologique, rebelle aux investigations para-cliniques et désespérément incurable aujourd'hui. Les autres causes, parmi lesquelles les causes vasculaires méritent d'être reconnues en raison des risques neurologiques et vitaux liés à leurs nature mais aussi des possibilités raisonnables de traiter efficacement un symptôme peu dangereux par lui-même mais très inconfortable pouvant troubler le psychisme jusqu'au suicide.