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«Heureux celui qui respecte la loi, mais plus heureux celui qui la détruit.»Cette contribution à une réflexion sur le citoyennisme ne prétend pas apporter toutes les réponses à ce quest exactement cette nouvelle forme contestataire, ni ne reprend ce qui a déjà été dit sur le sujet, mais tente de repréciser certains points quil nous semble utile dapprofondir afin de mieux lappréhender. Le citoyennisme, selon les propres dires des citoyennistes eux-mêmes, ne vise pas à un changement radical des rapports sociaux mais à une adaptation de ceux existants ; nous nous devons donc de le saisir dans sa/ses totalité/s et dexplorer toutes les pistes qui permettraient de mieux le cerner, de mieux le combattre.
Redéfinition dun concept La vision du citoyennisme en tant quidéologie ne permet pas danalyser cette forme de contestation " intégrée " dans ce quelle est vraiment, dans ce quelle suppose. Si par idéologie, il faut entendre système de pensée cohérent et/ou dogmatique alors, le citoyennisme nen est pas une car la façade unitaire cache une multitude de réalités pouvant être sans liens directs, voire contradictoires. Le militantisme dAC ! na que peu dinfluence sur linstauration ou non de la taxe Tobin tout autant que les " dying " dAct-Up restent sans effet sur les conditions de travail défendues par la CNT. Cela semble logique mais permet de repréciser quen cela, toutes ces organisations adoptent une démarche citoyenne et non pas une idéologie, le citoyennisme. La concertation nest pas de mise, chacun a son territoire et sa lutte, et entend bien les défendre ; ainsi il est plus facile de discuter avec les autorités quavec les autres organisations ou associations, malgré cette apparente unité. Sil faut comprendre idéologie dans le sens dun nouveau système de pensée se différenciant de lapproche capitaliste, là encore, le citoyennisme ne peut être qualifié comme tel, nétant que la simple émanation dun environnement politique et social particulier. Il est une démarche et lexpression politique dun état de fait : lexistence du citoyen en tant quhomo politicus et de son corollaire démocratique, ses représentants. Il ny a pas dantagonisme entre cette expression citoyenne et le système capitaliste qui lui fournit ses fondements. Limpasse citoyenniste· définissait le citoyennisme selon trois traits principaux que sont la croyance en la démocratie comme pouvant sopposer au capitalisme, le projet dun renforcement de l'État (des États) pour mettre en place cette politique et le citoyen comme base active de cette même politique. Au regard de nos remarques, nous tendrions à plutôt considérer le citoyennisme comme forme intégrée de contestation qui espère pouvoir rééquilibrer les dysfonctionnements du système économique ou réajuster ses dérives par une meilleure participation des citoyens. La démocratie nest pas vue comme moyen de sopposer mais bien daccompagner le capitalisme, pas de le rendre plus humain mais de le " démocratiser ". Un peu comme si labsence de démocratie était seule responsable de lexploitation et de ses conséquences ! Les citoyennistes ne sopposent pas, ils demandent une meilleure gestion : La démocratie est vue en tant que partie indissociable du capitalisme dont elle serait la forme politique. Le capitalisme, comme système économique, ne peut fonctionner correctement que sil est démocratique. La démarche citoyenniste nest pas à proprement parler adepte dun renforcement de l'Etat mais, à limage de la conception libérale, pour une minimisation de celui-ci dans des secteurs pouvant être rentabilisés " démocratiquement " et son renforcement dans les " secteurs citoyens vitaux ". Nous pouvons considérer quun redéploiement des compétences de l'Etat contenterait pleinement les citoyennistes : Minimalisation des activités économiques directement sous la coupe de l'État et renforcement de laspect oppressif et coercitif de celui-ci. Bien quinterlocuteur principal, l'État nest, dans la démarche citoyenniste, quun intermédiaire entre les instances interpellées et les organisations citoyennistes ; toutes deux le considérant comme garant de la concorde civile. Lappel constant à la médiation ou à lintervention de l'État dans les luttes que mènent les différentes associations et organisations citoyennistes ne doit pas cacher le fait quelles ne font appel à lui quen le considérant uniquement de ce point de vue, ce que montre(nt) leur(s) pratique(s). L'État sans léconomie, l'État à son strict minimum. Ceci ne signifie ni renforcement, ni disparition mais réorganisation de lappareil étatique, atrophies dans certaines branches et hypertrophies dans dautres. La démarche citoyenniste propose donc, de fait, trois pôles fondamentaux de lorganisation politique : laspect économique considéré comme lien organique entre les individus où l'État naurait quun rôle de cohésion sociale. Nous ne reviendrons pas sur lémergence de la conscience corporatiste ouvrière qui permit lapparition de forts courants contestataires (que certains appellent révolutionnaires) dans un contexte où l'État était indispensable au développement du capitalisme industriel naissant, mais soulignerons que, pour nous, le redéploiement des fonctions étatiques est laspect principal de la disparition de cette conscience. A une époque où la dimension économique et politique de l'État était prépondérante, où le prolétariat était devenu indispensable au développement économique, il était normal que naisse une conscience corporatiste, consciente de son rôle et des perspectives quoffrent cette place de " privilégiés " que sont les indispensables. La phase dindustrialisation étant terminée (nous sommes industrialisés) et laccumulation du Capital le permettant, l'État voit son rôle redéfini et par conséquent en découle une adaptation de la forme contestataire. A la conscience corporatiste ouvrière répond la démarche citoyenniste, à léclatement et à la parcellarisation du travail répond la diversité de la contestation citoyenniste. Et de la même manière que dans le mouvement ouvrier, les citoyennistes se pensent comme archétypes du sujet conscient, comme représentant " naturel " de lensemble des individus. Les prophéties quant à lavènement dun monde meilleur, dont les rênes seraient confiées à un prolétariat théorisé salvateur, sont sans doute du même ordre que la mission dont se sentent investies les organisations et associations citoyennistes. Autodésignées et reconnues ou ayant su se faire reconnaître comme interlocutrices par l'Etat, elles se considèrent chacune comme étant la seule véritable alternative pour un changement, voire pour une révolution. Sentiment renforcé par loreille que veut bien prêter l'État à leurs revendications. Mais quelles soient corporatistes ouvrières ou citoyennistes, leur réflexion et leur pratique ne sont jamais globales mais toujours parcellaires ou sectorielles et ne sont jamais représentatives de lensemble des individus. En aucun cas la démarche citoyenniste ne souhaite associer les citoyens mais plutôt se substituer à eux, - comme voulut le faire le prolétariat salvateur- et se présenter comme lultime recours : Ce nest pas le citoyen, et encore moins lindividu, qui est la base active du citoyennisme, mais le citoyennisme lui-même. Par ce qui précède, nous avons voulu définir ce que nétait pas le Citoyennisme ou plutôt ce que nous pensions devoir en être précisé. La démarche citoyenniste est fondamentalement une attitude de collaboration consciemment exprimée, dans la contestation certes, mais néanmoins dans le cadre du système capitaliste. Ce qui différencie un citoyen dun citoyenniste ce nest pas le degré dimplication politique ou associatif mais le sentiment, pour le second, dêtre une nouvelle " avant-garde ", un groupe de pression suffisamment fort pour imposer ses adaptations. Nous pourrions dire que le citoyennisme est lexpression politique de lémergence dun corporatisme (classe) citoyen conscient, comme le fut à son époque la " classe " ouvrière, de son rôle et des perspectives quoffrent une nouvelle fois cette place de " privilégiés ".
Contraintes et limites du " citoyennisme " Posé en tant que démarche, le citoyennisme exprime de lui-même ses propres limites qui inévitablement sont posées par une utilisation contrôlée de la " violence " et de la discussion. Le but nest aucunement de chercher la confrontation, que se soit sur le terrain des idées ou de laction, mais de demander la parole. Se présentant porteur de la parole dune invisible et symbolique opinion publique, les organisations et associations citoyennistes se sentent investies dune mission : Porter les revendications des citoyens. Ni élues, ni désignées, elles nont une image delles-mêmes que par limportance de leur médiatisation, la légitimité que leur offre l'État et leurs possibilités dintégration. Il ne sagit pas de minimiser le nombre dindividus tentés par la démarche citoyenniste mais bien de mettre en avant lexistence purement médiatique de cette contestation. Malgré les milliers de personnes présentes lors des contre-sommets devenus grand-messes, aucun véritable débat de fond nen a émergé. Chacun y vient avec ses propres aspirations, slogans et réclamations, chacun se sentant différemment concerné. Aucune vision commune, aucune cohérence à ces masses qui ne font alors que plébisciter les candidats à la discussion et ceux qui symbolisent dorénavant telle ou telle lutte, que ce soit des individus ou des organisations. Adoubées par les médias, plébiscitées de fait par les manifestants, ces " guest-stars " citoyennistes peuvent ainsi être reçues : Les apparences sont sauves ! Mais sans ce support médiatique dont bénéficient toutes ces stars du citoyennisme, la fragmentation extrême du citoyennisme et le peu de cohésion idéologique, atouts qui lui permettent ces rassemblements de masses, se transformeraient rapidement en grave handicap. Impossible de survivre au silence des médias si ce nest de manière totalement atomisé. Les citoyennistes offrent une vision trompeuse tendant à les montrer comme un mouvement de masse unitaire, au même titre quil était trompeur de vouloir assimiler lensemble du prolétariat à sa frange la plus " consciente ". Lidéologisation du citoyennisme doit plus aux Amis du Monde Diplomatique quà tous les anonymes qui participent à cette démarche. Ce nest pas de la pratique quest né ce mouvement contestataire mais de la nouvelle configuration économique qui a progressivement amené une part non négligeable de la population à intégrer la contestation dans le système. Quil soit sans papier ou étudiant, ouvrier ou artisan, citadin ou non, chômeur ou sans domicile, le citoyen se définit plus par son attitude que par son statut social et cest sans doute pour cela quil peut se retrouver facilement dans les milieux intellectuels où certains se transforment en citoyens-spécialistes, écrivains " malgré eux " dun Guide du bon Citoyen. Cette identification est la base réelle de la démarche citoyenniste mais aussi lune de ses limites. Le rapport qui lie la démarche citoyenniste à l'État est de plusieurs natures. La nécessité de reconnaissance est indissociable de cette démarche, car sans elle, rien nest possible. Nous pouvons affirmer, sans trop risquer de nous tromper, que le choix de tel ou tel par l'État pour jouer le rôle dinterlocuteur est déterminé essentiellement par des critères quil juge acceptables. La faiblesse du rapport de force dans " laffrontement " entre les citoyennistes et les instances interpellées, par État interposé, ne permet pas dimposer une tactique offensive, seulement de se voir restreint à une contestation récupérable et exploitable pour les différentes politiques étatiques. A titre dexemple, nous pouvons citer cet anti-américanisme dont chaque version locale justifie les " difficultés " économiques nationales par la suprématie américaine, ou bien encore lexception culturelle qui ne vise quà contrer langlophonie dans des domaines économiques jusqualors dominés par la francophonie, la lusophonie, etc. Nous pourrions multiplier les exemples : limmigration comme besoin économique, lEurope en rempart du capitalisme américain, lécologie devenue paramètre économique, le commerce équitable et le développement durable Cette duplicité quasi systématique entre les revendications citoyennistes et les différentes politiques nationales fait de ceux-ci des alliés objectifs des capitalismes nationaux et de leurs structures politiques que sont les États. Cette proximité nest sans doute pas à chercher dans une convergence de vues - il ne faut surtout pas nier le rapport de force qui sest créé - mais plutôt dans une base commune de réflexion. Ce qui les délimite, ce sont plus des manière différentes de mener le " bateau capitaliste " que de véritables oppositions de fond : Point de remise en cause du système dans son essence ou dans sa pratique, mais des ajustements citoyens ponctuels. Ainsi, la démarche citoyenniste ne cherche ni à combattre lÉtat, ni à détruire le capitalisme mais sappuie sur le premier afin dassurer la pérennité du second. Quelle que soit la forme de la structure étatique, la démarche citoyenniste a nécessairement besoin de lEtat, car sans lui le rapport de force créé est insuffisant pour imposer le dialogue, et encore moins pour forcer quoi que ce soit ! Il suffit pour cela de voir lutilisation symbolique ou très contrôlée de la " violence " que les organisations et associations citoyennistes soutiennent ou autorisent, et qui ne visent quà attirer lattention sur elles. La " violence " utilisée na pas pour but de contraindre mais dattirer lattention, et cest pour cela quelles ne veulent pas agir autrement. Tant que le niveau de violence reste faible et nattaque que des domaines où seul lÉtat est responsable, la démarche citoyenniste demeure dans ses propres limites, et si par " malheur " cette violence devait faire encourir des pertes directes au Capitalisme, alors lÉtat - en garant politique des intérêts financiers - se verrait contraint dintervenir par la force : Ce que les citoyennistes de désirent pas. Les possibilités dintégration sont sans doute un des déterminants de la démarche citoyenniste. Celle-ci, en tant que conscience corporatiste émergente, correspond à un stade de développement du Capitalisme et ne peux être tolérée quen fonction des ajustements possibles en vue de sa pleine intégration par lui comme le fut progressivement la " classe ouvrière ". Toutes deux factuelles, conséquences plus que causes de changements, ces formes de corporatismes contestataires ne peuvent réellement dépasser le système qui les fait " être " sans risquer de se voir pour ce quelles sont, des concepts flous nayant aucune réalité anhistorique. Reste donc à trouver les moyens de leur intégration, ce que firent les marxistes en proposant un réajustement économique et politique des structures de lÉtat au profit de la " classe ouvrière ", a qui était attribué un rôle de libérateur, et ce que font donc les citoyennistes en cherchant à réajuster le Capitalisme tout en nespérant quune plus juste rétribution. Les " Libérateurs " sont devenus " Justiciers ", mais pris dans leurs propres logiques et leurs théorisations, ils ne demandent ni plus ni moins quune meilleure intégration au système capitaliste. La démarche citoyenniste ne peut à terme que se transformer en " cogestion tronquée ", en une forme de participation. Comme le remarque lui-même Serge Halimi, " financées par largent public, mais au service quasiment exclusif des intérêts privés, les institutions économiques internationales, machines à fabriquer du marché, ont désormais compris que le maintien de leur influence passait par un effort supplémentaire de relations publiques. Elles ont les moyens de se loffrir. Et elles sont assez avisées pour savoir que la contestation quelles affrontent est susceptible dêtre résorbée comme la concurrence : par la séduction ou le partenariat. "· La nature du citoyennisme fait que cette fois, contrairement à la contestation corporatiste ouvrière, cela se passera en douceur !
Perspectives daffrontement(s) Les quelques remarques ci-dessus ne prétendent pas expliquer la démarche citoyenniste dans son ensemble et sa complexité mais den repréciser les contours et les fondements. Nous pouvons dores et déjà considérer quil existe quatre manières de se déterminer : par lindifférence, la collaboration, laccompagnement ou laffrontement. La première est lattitude la plus généralisée sur laquelle nous navons réellement que peu de prises et qui se nourrit dun quotidien assumé ; cest celle du citoyen, et plus généralement de celui qui vit dans un pays et sen contente. La seconde, la collaboration, nest autre que le citoyennisme. Les deux dernières sont des attitudes que peut prendre une critique radicale de la démarche citoyenniste. Laccompagnement vise à radicaliser la démarche citoyenniste en la débordant afin de la mettre face à ses propres contradictions, mais cette position risque de se transformer dune opposition de fond en une simple opposition de forme, la forme primant sur le fond ; celle-ci sexprimant alors essentiellement lors de manifestations ou rendez-vous citoyens. Une opposition radicale intègre autant le fond que la forme dans une critique qui aboutit à laffrontement avec les tenants du citoyennisme et au-delà avec les maillons politique et économique du système capitaliste quils légitiment, mais cette perspective daffrontement peut aussi sombrer dans sa propre logique et se transformer en une lutte anti-citoyennisme/tes. A chacun de nous dy réfléchir et de se déterminer en fonction. Ces quelques lignes de conclusion provisoire nont dautre but que desquisser les différentes façons de se positionner face à la démarche citoyenniste et à leurs propres limites et/ou risques de " dérives ". Nous avons conscience que notre modeste contribution ne répond que partiellement à de nombreuses questions mais nous avons voulu participer de la sorte à un nécessaire débat sur le citoyennisme et plus largement sur les moyens de mettre fin à des rapports sociaux, économiques et politiques ne correspondant pas à limage que nous avons de lêtre humain, de nous-mêmes.
Avril 2001 Pour communications et envoi de textes |