Le démocratisme radical défend laction citoyenne,
la démocratie directe ou participative, la maîtrise de nos
conditions d'existence; il défend l'Etat, Etat social et Etat-nation
pour certains, simplement "régulateur" pour d'autres. Il lutte contre
le primat et la «sauvagerie» de l'économie, la mondialisation
libérale, la suprématie de la finance. Il regrette l'époque
où le capitalisme était si beau sous le keynésianisme
et le service public. Enfin il veut construire une alternative au capitalisme,
quil appelle "libéralisme" ou "mondialisation". Il veut un
capitalisme "réel", avec des usines où se rencontrent de vrais
travailleurs et de vrais investisseurs si conscients de leur responsabilité
sociale que l'on ne pourrait plus les appeler "capitalistes". Il rêve
d'entrepreneurs-citoyens dans des entreprises-citoyennes exaltant le labeur
de travailleurs-citoyens sous la tutelle bienveillante et protectrice de
l'Etat démocratique-participatif régulant la distribution
équitable de la plus-value citoyenne. Il fréquente les couloirs
des ministères et les cours des squats. Il propose son expertise
aux grandes organisations internationales et anime les campings anarchistes.
Une seule chose l'effraie, que le prolétariat abolisse l'Etat, la
démocratie, le capitalisme (productif), et donc se nie, car il aime
le travailleur en tant que travailleur et la plus-value en tant que surtravail.
Il aime l'exploitation car il aime tant la lutte des classes qu'il voudrait
qu'elle ne prenne jamais fin, c'est sa raison d'être, c'est le mouvement
perpétuel de l'alternative et de la critique sociale. Il momifie la
classe ouvrière en «communauté ouvrière»
folklorisée, et renvoyée par là-même à un
passé révolu. Ce folklore rattache le démocratisme radical
à une «histoire sociale» et proclame que le «bonheur»
est dans lexistence de la classe ouvrière à lintérieur
du capital, et cela même dans linterminable lutte quelle
mène contre lui, et justement dans le caractère interminable
de cette lutte. Il ne serait que pathétique et ridicule s'il n'était
en réalité un élément efficace, incontournable,
ancré dans le nouveau cycle de luttes du prolétariat contre
le capital comme la formalisation de toutes ses limites, et n'anticipait
pas la prochaine contre-révolution qui sera son achèvement,
sa réalisation et, ainsi, sa propre disparition, son élimination.
En France, son extension va de la «gauche socialiste» à
certains groupes anarchistes, en passant par le PCF, SUD, les oppositionnels
de la CFDT, la FSU, la Ligue, toutes sortes de «petites gauches alternatives»,
les Verts, la CNT (Vignoles) en voie dofficialisation, la "Confédération
paysanne" et de nombreuses associations comme ATTAC, "Droits devant" etc,
et, de plus en plus, la CGT. Ses organes officiels sont «Le Monde
Diplomatique», «Charlie hebdo», "Marianne", voire «Télérama»
et, de plus en plus souvent, «LHumanité». Il a
ses héros : le sous-commandant Marcos, José Bové, et
maintenant Chavez ; son gourou théorique : Pierre Bourdieu. Il a ses
lieux de mémoire: Seattle, Millau, Porto Alegre, la forêt Lacandona.
Il n'est pas une spécialité française mais un mouvement
mondial.
Actualité et réalité du démocratisme
radical
Une critique simpliste et parfois moralisatrice, opposant la vérité
à l'erreur, ne voit dans tous les thèmes énumérés
du démocratisme radical que des «idéologies trompeuses»
et conforte ses auteurs dans leur radicalisme satisfait et impuissant. Mais
il ne s'agit pas d'interpréter le démocratisme radical comme
une erreur, il est une force sociale réelle, spécifique au
cycle de luttes actuel et au mode de production capitaliste tel qu'il est
maintenant restructuré. La dénonciation n'est qu'une vaine
congratulation des "radicaux" entre eux.
Le démocratisme radical est absolument actuel. En effet, après
la restructuration du mode de production capitaliste au travers de sa longue
phase de crise, lextraction de plus-value relative est devenue un
procès de reproduction du face à face du capital et du travail
qui lui est adéquat en ce quil ne comporte aucun élément,
aucun point de cristallisation, aucune fixation qui puisse être une
entrave à sa fluidité nécessaire et au bouleversement
constant quelle nécessite. Contre le cycle de luttes antérieur,
la restructuration a aboli toute spécification, statuts, «wellfare»,
«compromis fordien», division du cycle mondial en aires nationales
daccumulation, en rapports fixes entre centre et périphérie,
en zones daccumulation interne (Est/Ouest). L'extraction de plus-value
sous son mode relatif se doit de bouleverser constamment et d'abolir toute
entrave en ce qui concerne le procés de production immédiat,
la reproduction de la force de travail, le rapport des capitaux entre eux.
Il nexiste pas de restructuration du mode de production
capitaliste sans défaite ouvrière. Cette défaite cest
celle de lidentité ouvrière, des partis communistes,
du syndicalisme, de lautogestion, de lauto-organisation. Cest
tout un cycle de luttes qui a été défait dans les années
70 et au début des années 80 : la restructuration est essentiellement
contre-révolution.
Son résultat essentiel, depuis le début des années
80, est la disparition de toute identité ouvrière produite,
reproduite et confirmée à lintérieur du mode
de production capitaliste. Le prolétariat ne peut plus produire un
mouvement ouvrier organisé, de même ampleur et de même
nature que durant la période qui va jusquà la fin des
années 60/début des années 70, où la révolution
pouvait encore se présenter comme son affirmation. Contrairement au
programme de montée en puissance et daffirmation du prolétariat
tel quil fut dominant jusque dans les années 60, le démocratisme
radical ne pose pas le développement du capital comme sa médiation
nécessaire ; il est lui-même la médiation, il se veut
lui-même en actes le programme minimum et maximum, il est le but et
le moyen. Il se conçoit comme la contradiction qui se développe
et qui dévore la société capitaliste et son Etat. Organisationnellement
il ne peut être que beaucoup plus réduit et éclaté
que "lancien mouvement ouvrier". Il comporte une myriade de groupes
et de courants qui, tous, prônent la construction dune alternative
à lintérieur du mode de production capitaliste.
Quand le rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital
ne se définit plus que dans la fluidité de la reproduction
capitaliste, le prolétariat ne peut sopposer au capital quen
remettant en cause le mouvement dans lequel il est lui-même reproduit
comme classe. Le prolétariat en contradiction avec le capital est,
dans la dynamique de la lutte de classe, en contradiction avec sa propre
existence comme classe. Cest maintenant le contenu et lenjeu
de la lutte des classes. De ce mouvement densemble provient la capacité
pour la lutte en tant que classe du prolétariat de dépasser
cette limite en posant lappartenance de classe comme une contrainte
extérieure imposée par le capital. Mais simultanément
cest, pour le prolétariat, agir en tant que classe qui est
devenu une limite de sa propre lutte en tant que classe. Cette limite propre
au nouveau cycle de luttes est le fondement et le contenu historiquement
spécifiques que le démocratisme radical formalise, entérine,
conforte et prend en charge. Il formalise des pratiques, des objectifs, à
lintérieur de la lutte de classe en général et
des luttes quotidiennes. Il est un des aspects des conflits qui se développent
à lintérieur de ces luttes et, sil nest
pas en lui-même la prochaine contre-révolution, celle-ci sera
son achèvement.
La définition et lexistence de la classe dans le capital
ne comportant plus un rapport à elle-même, cest-à-dire
la confirmation face au capital dune identité ouvrière,
est la caractéristique et la radicalité fondamentales de ce
cycle de luttes; cest simultanément là quest
sa limite, ce que le démocratisme radical exprime, de façon
unilatérale, comme mise en conformité idéale du prolétariat
avec le capital. Le démocratisme radical possède la force naïve
des évidences : si le prolétariat nexiste plus que
par et dans la reproduction du capital, il faudrait que celui-ci devienne
le travail sous une autre forme, se comporte en bon père accueillant
en son sein le travail. Cest à quoi se ramène tout le
programme du démocratisme radical, sous toutes ses formes, des plus
réformistes aux plus radicales, en passant par le syndicalisme de
base et la convivialité alternative.
Economiquement, il fait de cette définition de la classe dans le
capital la nécessité dun programme de la classe se
voulant, comme travail, lessence du capital.
Politiquement, la perspective du démocratisme radical est la communauté
des citoyens dans lEtat, comme forme concrète, participative,
de leur communauté dindividus isolés. Les rapports
entre prolétariat et capital qui se nouent dans le procès
de production sont amenés à se faire valoir socialement, de
façon directe, au niveau de la société civile, comme
rapports non entre des classes, mais entre des individus isolés. Ces
individus peuvent alors se regrouper selon les forces de polarisation les
plus diverses : de lassociation de chômeurs à nimporte
quel lobby (A.T.D. Quart-monde ; associations antinucléaires, ou anti-T.G.V.,
etc...; associations antiracistes, de quartier ; Act-Up,...). Peuvent être,
de la même manière investis dans la société tous
les nouveaux lieux de dangerosité. Le prolétariat, redéfini
dans son éclatement comme «classe dangereuse» dans certaines
de ses fractions, se trouve «organisé» en associations
de défense qui, en tant que telles, le confirment dans ce statut de
«classe dangereuse», négociant sa représentation,
son contrôle et son statut.
Le démocratisme radical : limite des luttes
Lalternative sancre dans les luttes revendicatives
en contractant en une pratique unique la lutte revendicative et la construction
dune nouvelle société. La construction de cette nouvelle
société nest alors quune somme de solutions
apportées à la société capitaliste transformée
en somme de problèmes à résoudre.
Que la lutte de classe du prolétariat contre le capital produise
son dépassement et la société communiste, cest
une affaire ; que ce dépassement résulte dun développement
progressif à partir des catégories du capital, cen
est une autre. On voudrait quexistent des évolutions résultant
de ces luttes qui, dans le cadre du salariat, soient une abolition progressive
du salariat ; on leur propose un sens, une valeur, en tant que mouvement
dabolition du salariat dans le salariat. Il sagit par exemple,
dans le cas de la réduction du temps de travail, de lorienter
vers «une transformation positive des rapports sociaux». Les
choses sont encore plus claires en ce qui concerne lallocation universelle
: «Réclamer un revenu indépendant dun travail
salarié permet de développer lidée quon
peut vivre sans travailler, et proposer une répartition des richesses
qui ne dépendrait pas dune rémunération, dun
salaire, mais des besoins des personnes». On nage en pleine incohérence.
Proposer par lintermédiaire dun revenu monétaire
le passage progressif du travail contraint à «lactivité
bénéfique à lindividu et à la collectivité»
est tout bonnement une absurdité.
Le démocratisme radical est quelque chose de bien réel,
empiriquement constatable et efficace parce quil est, sur la base
de la disparition de lidentité ouvrière et donc sur
la base immédiate de lexistence de la classe dans le capital,
un projet alternatif et la formalisation des limites des luttes. Jusquà
un certain point, la lutte du prolétariat se produit et se développe
toujours dans les catégories de la reproduction et de lautoprésupposition
du capital, cest une nécessité et une limite, cest
là que le prolétariat est contradictoire au capital, cest
là que la lutte de classe produit son dépassement, mais ce
dépassement nest ni une alternative ni un embryon. Ce nest
donc ni un détournement idéologique, ni une limite extérieure
si, se déroulant dans ces catégories, lanti-libéralisme
ou lanti-mondialisation peuvent formaliser le cours des luttes dans
leurs limites.
En décembre 95, le conflit sest développé
sur la reproduction densemble de la force de travail : retraites,
sécu, partage général entre salaire et profit, chômage,
précarité, flexibilité. Mais, la lutte étant
demeurée au niveau de la redistribution, cest cette démarche
inachevée qui lui est revenue dessus, du fait de la généralité
même du conflit, sous la figure de la "société démocratique
des salariés" et du citoyen ; cest lui, le citoyen, que lon
a vu assis autour de la table du "sommet social", sous les ors de la République.
De même, en 1996-1997, lors de la lutte des sans-papiers (qui se
poursuit), on a vu le démocratisme radical à loeuvre
sur les limites de la lutte. Le clandestin est le secret de la généralisation
de la précarité et de la flexibilité; les secteurs
encore "protégés" du salariat ne sont pas appelés à
disparaître, mais leur sens nest plus en eux. Ils ne sont plus
eux-mêmes quun segment particulier dans la segmentation générale
de la force de travail. Mais nayant pu généraliser
leur lutte sur cette base générale où ils sont lexpression
actuelle du rapport global de la force de travail au capital, les clandestins
ne sont demeurés ce secret quen tant que clandestins (en tant
que particuliers).
Le troisième Collectif («Des Papiers Pour Tous»)
est né de la contradiction interne de tout le mouvement des sans-papiers
: lutter contre la clandestinité comme étant une situation
générale de la force de travail actuellement, le faire en donnant
à cette généralité le contenu particulier de
labsence juridique de papiers. Ce Collectif tenait le contenu général
de la lutte mais avait mis de côté, ailleurs, sa forme particulière.
La limite du mouvement nétait conçue que comme un aménagement
personnel pour les intéressés et, pour ceux que ce type daction
avait mis en mouvement, cette limite devenait une sorte de «programme
minimum». Si bien que le Collectif évolua entre la solidarité,
quand il était question du contenu général, et le compromis
et les compromissions, quand il était question de la situation particulière.
Ne pas reconnaître lintrication dans une lutte de sa dynamique
et de sa limite amène toujours à une fuite en avant purement
idéologique dans lintervention, qui sévanouit
rapidement dans son extériorité. Il sagissait de renforcer
la vraie «autonomie de la lutte», sa limite ne pouvait venir
que de «lextérieur», ou de dénoncer les
pesanteurs sur la conscience de lidéologie dominante. Sorganise
alors la recherche des soutiens et la problématique de la jonction,
cest-à-dire de la généralité comme addition,
avec son corrolaire : «lautonomie».
Toutes les limites peuvent alors être synthétisées
par le démocratisme radical comme questions de droit, de nouvelle citoyenneté,
de résident etc. La lutte des immigrés, depuis les années
70, devient ainsi une téléologie du droit de cité. Ceci
atteindra, à la suite de la lutte des «sans-papiers»,
son apothéose pratique et théorique avec le mouvement pétitionnaire
du début 97 (il sagissait de ne pas avoir à signaler
lhébergement dun étranger). Il ne sagit
plus alors que dopposer la démocratie à lEtat.
Durant lhiver 1997-1998, la lutte des chômeurs, dans ce quelle
pouvait avoir de plus dynamique et radical, tendait à définir
le travail salarié à partir du chômage, ce qui pose
immédiatement la critique du premier de ces termes et porte pour
le prolétariat, dans sa lutte contre le capital, sa propre remise
en cause. A linverse, définir le chômage à lintérieur
du travail salarié, le présenter comme un "scandale", fut
loeuvre du démocratisme radical au travers de toutes ses actions
et de tous ses thèmes : sa «critique du capitalisme»,
de la finance, de la mondialisation, ses revendications keynésiennes,
sa défense du rôle de lEtat, dun revenu garanti,
etc.
Lessentiel est tout bêtement là : le démocratisme
radical a des solutions pour tout dans la société actuelle.
Travail, loisirs, condition féminine, formation, condition animale,
circulation automobile, homosexuels, tiers-monde...; il nest pas
«le mouvement qui abolit les conditions existantes», mais qui
en résoud les «problèmes». Lalternative
est sa forme générale.
Alternative et «parti de lalternative»
Les plus «radicaux» fondent lalternative sur
les «potentialités que le capital développerait contre
lui même», mais il ne sagit là que du développement
de lexploitation, cest-à-dire de quelque chose que
le prolétariat ne peut pas prendre en charge. Caducité du
capital dun côté, affirmation de la classe ouvrière
«semparant de ses conditions dexistence» de lautre,
tels sont les termes de lidéologie alternativiste qui la condamnent,
contrairement au réformisme «classique», à la
proclamation de projets qui ne peuvent jamais connaître le moindre
commencement de réalisation.
La caducité de la valeur, cest la caducité capitaliste
de la valeur ; la socialisation de la société cest
la socialisation capitaliste de la société capitaliste. La
démarche alternative ne réside pas directement dans le fait
de considérer que laccumulation du capital développe
des tendances et des potentialités objectives contradictoirement
à lui, mais dans la façon de considérer ces «potentialités»
comme des données utilisables par le prolétariat contre le
capital et non comme le contenu même du cours contradictoire de lexploitation
et de laccumulation. Ces «potentialités» se dressent,
par leur nature capitaliste (et non par leur usage capitaliste), contre
le prolétariat et ce nest quainsi, contre le prolétariat,
quelles se constituent. Il ny a caducité de la valeur,
du salariat, que parce quil y a exploitation et que, comme développement
de lexploitation, cest là le cours même du capital
comme contradiction en procès Lessentiel cest que,
bien que lalternative en tant que construction générale
dune contre-société soit rigoureusement impossible
ou ne donne lieu quà des bribes dérisoires, la problématique
alternativiste se constitue en «parti de lalternative».
Il ne faut pas considérer ce parti comme marginal et insignifiant
en se focalisant sur les groupes, réseaux, etc., qui sen réclament
expressément. Malgré les «divergences», les métastases
sont innombrables en dehors même de toute organisation, dans la conscience
que de nombreuses luttes ont delles-mêmes. Cest la forme
la plus partagée du «ras lbol» quand il devient
«vivre autrement». Lexistence, dès maintenant,
de ce projet global dune contre-société dans laquelle
le prolétariat, maîtrisant ses conditions dexistence,
nest plus le prolétariat, se légitime dans la construction,
«face au capital», de ses bases militantes : «lieux de
vie», réseaux, coordinations diverses, organisations militantes,
regroupement lobbyistes de cyclistes, dhomosexuels ou danti-spécistes,
syndicats de base et alternatifs. La contradiction avec le capital, parce
quelle se situe maintenant au niveau de la reproduction des classes
et quelle a pour contenu la caducité du rapport salarial,
devient programme de désengagement, contre le capital, de la reproduction
du prolétariat qui par là disparaît, cest «lexploration
dun autre avenir». «Riches», «pauvres»,
«besoins», «contrôle», «exclusivité»,
«conditions politiques», tels sont les termes de la «critique»
alternative du mode de production capitaliste dans laquelle le capital nest
plus quune «logique économique» imposée
à «la société» par une «volonté
politique». Prenons la richesse sociale accumulée, changeons
la volonté politique en ne la subordonnant plus à la logique
économique, et le tour serait joué. Toute la question du changement
de société se ramène à une question de volonté
politique et de «choix de société». Il ne peut
plus sagir, dans la problématique alternativiste, des contradictions
à lintérieur dune société produisant,
de par lactivité dune classe définie dans ces
contradictions, le dépassement de cette société. Il
sagit dune décision, dun choix, seffectuant
en alternative à un autre choix de société, celui des
«maîtres du monde». Pour se fonder et légitimer
sa pratique, lalternative sépare la société et
le capital (parasitaire) et considère le lien politique comme premier,
comme la définition essentielle de toute société humaine.
Le capital subordonnerait ce lien à la production pour la production
(productivisme en langage alternatif), il faudrait lui rendre sa prééminence.
Cest le lien politique qui définira «lutilité
sociale du travail». Mais là, lalternative se heurte à
un problème de taille. Incapable de penser le capital en termes de
rapports sociaux, cest-à-dire comme particularisation dune
totalité, mais seulement en termes de heurts de sujets indépendants,
auto-définis, la contradiction de ces rapports sociaux nen
nest plus une car les termes (les classes) sont simplement face à
face. Il ne sagit plus que de lantagonisme (et même dun
marchandage) entre deux types de contrôle, entre des choix sur la production
et la répartition. Le capital, cest ce contrôle effectué
par «quelques uns» en «exclusivité". Le communisme
est alors lui aussi ramené à une question de contrôle
et, cette fois, de contrôle par tous. Mais surgit alors dans la tête
des planificateurs alternatifs un nouveau problème : que chacun contrôle
tout est impossible. On va donc inventer le «communisme local»
et, en attendant ,on défendra les identités locales, régionales,
nationales.
Critique du travail/critique de léconomie
Il existe, parce que ce cycle de lutte porte labolition
du capital comme labolition de toutes les classes, une forme "limite"
du démocratisme radical et de lalternative : la critique du
travail et de léconomie. Dans son isolement et à cause
de ses caractéristiques mêmes, le mouvement des chômeurs
a vu transformer ce quil y avait de plus radical en lui (lexpression
de la caducité du rapport salarial) en une nature du mouvement lui-même,
une nature intrinsèque à ses acteurs. Ainsi la démarche
alternative et son idéologie, la critique du travail, se sont fixées
comme limites de cette lutte. Ce mouvement devenait en lui-même la
caducité du rapport salarial. Cette caducité nétait
plus un rapport au capital comme chômeurs et précaires, mais
les chômeurs et précaires en étaient la réalisation
immédiate personnifiée ; ils étaient en eux-mêmes
le travail salarié caduc. Cela devenait une position sociale, un mode
de vie. Dans la critique du travail, on a laliénation, mais
pas limplication réciproque entre le prolétariat et
le capital. On en reste au niveau de lindividu et de la marchandise,
de la révolution comme le prolétariat se désimpliquant.
On laisse de côté que le prolétariat trouve justement
en lui-même comme classe du travail vivant, du travail salarié,
la capacité à produire, contre le capital, le communisme. On
passe, de la lutte de classe comme contradiction à lintérieur
du mode de production capitaliste produisant son dépassement, à
cet affrontement de modes de vie différents. Dans le "refus du travail",
on confond une contradiction -lexploitation- avec une soumission,
et une abolition avec un désengagement. On retombe dans lalternative,
il sagit de choisir entre les valeurs dusage utiles ou nuisibles,
les travaux concrets.
Partant (avec raison) du travail salarié, la critique du travail
fait "glisser" la critique du travail salarié de la critique dun
rapport social à une critique naturaliste de lactivité
humaine. Dans cette problématique de la critique du travail, on dépasse
rarement le niveau de largent et de la marchandise, cest la
conséquence de lopposition établie par la critique
du travail entre "les besoins de la vie humaine" et "une production falsifiée
qui ne répond plus quà des besoins factices". La contradiction
ne se situe plus, à lintérieur dun mode de production,
entre des classes mais entre deux types dactivités, deux façons
de produire, deux familles de valeurs dusage, parce que le mode de
production capitaliste est déjà considéré comme
nexistant plus que comme domination. On sait que cest là
le fondement substantiel de lalternative.
Pour la même raison, sous leurs formes les plus élaborées,
lalternativisme et le démocratisme radical sont également
«critique de léconomie». Economie, société,
pouvoir, politique, bureaucratie, etc, le mode de production capitaliste
nest plus quun empilement dassiettes. Dun côté,
la production (léconomie) et, de lautre, la reproduction
des classes (la domination). Ensuite, bien sûr, sont aménagées
toutes sortes de passerelles qui ne sont jamais plus que des instruments
de domination quil suffit de dénoncer puisque la domination,
cest dans la tête. Lidéologie comme «inculcation»
ou «habitude» est promue en ciment de la société,
il suffirait de résister à ce programme dasservissement
en défendant dautres idées, dautres comportements.
Dun côté la production, et surtout la distribution
et léchange (léconomie), de lautre la société.
La critique des rapports sociaux capitalistes comme économie a pris
au pied de la lettre leur autonomisation comme économie. Elle se veut
la critique de cette autonomisation sans lavoir comprise comme autonomisation
de la reproduction du capital comme rapport social. Cest-à-dire
quun rapport social, le capital, se présente comme objet et
cet objet comme présupposition de la reproduction du rapport social.
La critique du concept déconomie, qui intègre dans le
concept les propres conditions dexistence de léconomie,
évite précisément de poser le dépassement de
léconomie comme une opposition à léconomie,
parce que la réalité de léconomie (sa raison
dêtre) est en dehors delle. Léconomie est
un attribut du rapport dexploitation. La "critique de léconomie"
perd alors la reproduction de la société quil lui faut
ensuite retrouver en empilant sur léconomie les autres catégories
autonomisées de cette société. Ayant perdu la société
comme totalité, la «critique de léconomie»
la reproduit comme domination. Ce qui signifie que les conditions de sa reproduction
apparaissent, face à lindividu, comme des conditions toutes
faites et «naturelles», comme un simple moyen de réalisation
de ses buts singuliers (ou obstacles à ceux-ci), comme une nécessité
extérieure à sa propre définition : dune part
lindividu isolé et sa réunion avec dautres sur
la base dintérêts communs, dautre part la reproduction
de la société comme moyens ou obstacles, comme économie
(celle-ci posée, corollairement à lindividu isolé,
essentiellement aux niveaux de léchange, de la marchandise,
de largent, de la distribution, de la consommation). Cest
la lutte des classes dans le monde enchanté de la réification.
Face au démocratisme radical
Les limites de ce cycle de luttes, la reproduction du capital
comme reproduction de la classe dans le capital, lui sont intrinsèques
et fondent le démocratisme radical. En même temps, cette définition
de la classe dans le capital est la dynamique de ce cycle de luttes et sa
capacité révolutionnaire. Cest de par cette dynamique
que nous sommes dans ce cycle de luttes conflictuellement embarqués
avec le démocratisme radical.
Nous sommes embarqués (quon le veuille ou non, la révolution
communiste comme dépassement de ce cycle de luttes est produite
par ce cycle) avec le démocratisme radical et en contradiction absolue
avec lui. Le démocratisme radical est, par nature, instable. Ne pouvant
fixer aucune autonomie ouvrière, le démocratisme radical est
sans cesse renvoyé à son véritable devenir : ne pouvoir
se résoudre que comme un mode de gestion utopique du capital, annoncer
la prochaine contre-révolution se fixant précisément
sur cette limite (et force) du cycle de luttes actuel, cest-à-dire
labsence de formalisation sociale dune identité ouvrière.
Cest là le secret de son instabilité.
Que nous puissions, peut-être, nous faire comprendre à lintérieur
même du démocratisme radical, comme par exemple sur sa propre
critique, relève de la possibilité de parler du communisme
à partir de ce cycle de luttes et de la restructuration, et non de
la dynamique qui animerait certains secteurs du démocratisme radical.
Que certains soient plus à même de nous comprendre ne fait que
confirmer linstabilité générale du démocratisme
radical. A nous de nous y confronter sur cette base, en sachant que, si ce
cycle de luttes porte son dépassement, cette confrontation est alors
inévitable et nous y sommes engagés.
La révolution est redevenue un sujet de polémique. La même
structure de la contradiction entre le prolétariat et le capital
produit, dune part, son dépassement et, dautre part,
ses limites comme démocratisme radical. Cest par là
que des individus engagés dans le démocratisme radical peuvent
cependant nous entendre, non pas «passivement», unilatéralement,
mais à partir de lévolution et des contradictions que
suscitent, au sein du démocratisme radical, les caractéristiques
actuelles du cours de la contradiction entre les classes. Le cycle actuel
porte son dépassement communiste de par la remise en cause par le
prolétariat de son existence de classe dans le cours de sa contradiction
avec le capital, ce qui est précisément le secret de linstabilité
du démocratisme radical.
En conséquence, nous devons comprendre que nous néchappons
pas à la confrontation avec le démocratisme radical, et que
ce qui définit son instabilité (lincapacité
pour le prolétariat de formaliser la moindre existence «autonome»
face au capital) définit simultanément notre propre espace
dexistence publique là où nous pouvons être écoutés
et où nous cherchons à lêtre. Cet espace, cest
celui que, dans le démocratisme radical, crée cette impossible
formalisation dune identité ouvrière, ce qui est simultanément
cela même qui fait que ce cycle porte son dépassement, et cela
même qui nous fait exister.
La lutte de classe est théoricienne et les luttes immédiates
sont réellement productrices de théorie. Lorsque nous avons
brièvement analysé des luttes comme celle de décembre
95, celle des chômeurs ou celle des sans-papiers, nous les avons considérées
comme des cas concrets où la participation nest pas antagonique
à la critique, car la critique est effectuée à partir
de la nouveauté théorique consubstancielle à ces luttes.
En conséquence, il est intenable de se situer dans la «posture
radicale» de celui qui est revenu de tout et à qui on ne la
fait pas ou dans la «posture contemplative» de celui pour qui
les choses sont comme elles sont. La participation ou lanalyse de
ces luttes immédiates nest pas lapplication dune
théorie préexistante. Dans ces cas concrets, on participe et
on fait une analyse théorique neuve, simple, en prise directe dans
la lutte en cours, parce que lon peut critiquer cette lutte en cours
sur la base même de ce quelle est. Que ce soit dans les coordinations
cheminotes de 86, les grèves de décembre 95, la lutte des sans-papiers
ou celle des chômeurs, lorsquon se situe au niveau de lidentité
de la dynamique et de la limite, on na aucune extériorité
par rapport à cette lutte, nous sommes dans son existence même,
à son point limite ; la participation et la critique sont alors identiques.
Cest là où les prises de positions rapides, brèves,
directes, sont nécessaires parce quelles sont possibles. Et
elles sont possibles parce que ces prises de position, ces analyses, ne
sont pas une application, mais les luttes elles-mêmes comme productrices
de théorie.
Cest, par exemple, dans la lutte des chômeurs, défendre
laugmentation des minima sociaux, non comme «revenu garanti»
ou même comme «critique du travail», ni bien sûr
comme «valeur de la disponibilité de la force de travail»;
ne pas la défendre pour être «en dehors» du capital,
mais parce quon est dedans, parce quon est dans lexploitation,
cest-à-dire la défendre parce quelle gangrène
le rapport salarial. Revendiquer ce relèvement, ce nest pas
proposer une autre organisation du salariat, cest demeurer chômeurs
et/ou précaires, tout en revendiquant la reproduction de sa force
de travail. Là est la contradiction, là est la gangrène.
La revendication du relèvement des minima sociaux fait apparaître
le chômage comme la forme ultime du salariat (bien sûr le «revenu
garanti» et le démocratisme radical ne sont pas loin). Alors,
lenjeu général de cette lutte, la redéfinition
du salariat sur la base du chômage et de la précarité
et la perspective dune classe sabolissant elle-même,
nest pas un discours théorique survolant le champ de bataille,
mais une prise de position directe, une participation à la bataille,
parce que cest la bataille elle-même qui produit des prises
de positions immédiates, simples à définir. On a alors
pris au sérieux (et pratiquement) lidentité, dans les
luttes de ce cycle, de leur limite et de leur dynamique et cette identité
comme le processus de son dépassement. Cest chaque lutte qui,
en elle-même, produit du nouveau, remet les pendules à lheure
et contient quelques énoncés qui, dans son déroulement,
sont produits comme simples, brefs et directs.
Nos orientations dans la période actuelle, cest la critique
des rapports de production capitalistes restructurés, cest
donc la critique de lalternativisme, du démocratisme radical,
cest laffirmation que le communisme nest pas démocratie
vraie, nest pas économie sociale, quil ne répond
pas à la question de comment relier les individus entre eux ; cest
laffirmation de la rupture révolutionnaire comme incontournable.
Cest laffirmation enfin que la révolution communiste
est révolution prolétarienne, que cest le prolétariat
en tant que classe qui abolit les classes en produisant le communisme, quil
trouve dans ce quil est contre le capital la capacité de communiser
la société.
Roland