Anonimi


Journal d'un Burgeois de Paris (1405-1449)

L'auteur anonyme  du "Journal d'un Burgeois de Paris" qui  couvre les années 1405 à 1449 décrit, quant à lui, leur arrivée très remarquée aux Portes de la Chapelle, en 1427..


Le dimanche 17 août, douze penanciers [pénitents], comme ils disaient, vinrent à Paris; c'étaient un duc, un comte, et dix hommes, tous à cheval, qui se disaient chrétiens et natifs de la Basse-Egypte. Ils prétendaient avoir été autrefois chrétiens et ce n'était que depuis peu qu'ils l'étaient redevenus sous peine de mort. Ils expliquaient que les Sarrasins les avaient attaqués, mais leur foi avait chancelé; ils s'étaint peu défendus, s'étaient donc rendus à l'ennemi, avaient renié Notre-Seigneur et étaient redevenus Sarrasins.
A cette nouvelle, l'empereur d'Allemagne, le roi de Pologne et d'autres princes chrétiens leur coururent sus et les vainquirent bientôt. Ils avaient espéré pouvoir rester dans leur pays, mais l'Empereur et ses alliés avaient délibéré de ne les y point laisser sans le consentement du Pape et les avaient envoyés à Rome voir le Saint-Père. Tous s'y rendirent, grands et petits, ceux-ci à grand'peine, et confessèrent leurs péchés.
Le Pape en délibéra avec son conseil et leur donna comme pénitence de parcourir dépens, il ordonna que tout évèque ou abbé portant crosse leur donnerait une fois pour toutes dix livres turnois. Puis il leur remit des lettres patentes de ces décisions pour ces prélats, leur donna sa bénédiction, et ils partirent.
Ils avaient déjà voyagé cinq ans avant d'arriver à Paris.
Le commun - cent ou cent vingt hommes, femmes et enfants - n'arriva que le jour de la décollation de Saint Jean; par autoritè à la Chapelle Saint-Denis. Au départ de leur pays, ils étaient mille ou douze cents environ, le reste étant mort en route.
Leur roi, leur reine et les survivants espéraient encore posséder des biens en ce monde puisque le Saint-Pére avait promis de leur donner un pays fertile et bon où ils pourraient habiter, mais pas avant d'avoir terminé de bon coeur leur pénitence.
Quand ils furent établis à la Chapelle, on ne vit jamais plus de monde à la bénédiction du Lendit que celui qui vint les voir de Paris, de Saint-Denis et toute la banlieur. En vérité, leurs enfants étaient d'un incroyable adresse; la plupart, presque tous même, avaient les oreilles percées et portaient à chacune d'elles un ou deux anneaux d'argent: c'était, disaient-ils, la mode de leur pays.
Les hommes étaient très noirs et leurs cheveux crépus. Les femmes étaient les plus laides et les plus noiraudes qu'on pût voir. Toutes avaient des plaies au visage et les cheveux noirs comme la queue d'un cheval. Elles étaient vêtues d'une vieille flaussaie [étoffe grossière] attachée sur l'épaule par un gros lien de drap ou de corde; leur seul linge était un vieux roquet [blouse] ou une vieille chemise; bref, c'étaient les
plus pauvres créatures que, de mémoire d'homme, on eût jamais vu venir en France. Malgré leur pauvreté, il y avait dans leur compagnie des sorcières qui, regardant les mains des gens, dévoilaient le passé et prédisaient l'avenir.
Elles semèrent d'ailleurs la discorde dans plusieurs ménages en disant au mari: "Ta femme t'a fait cocu", et à la femme: "Ton mari t'a trompée". Mais le pire était que, pendant leurs discours, par la magie, par le diable ou par adresse, elles vidaient dans leurs bourses celles de leurs auditeurs. C'est ce que l'on disait, mais je suis allé leur parler deux ou trois fois et jamais je n'y ai perdu un denier et je ne les ai pas vues regarder dans les mains. Mais comme le peuple répandait ce bruit partout, la nouvelle en parvint à l'archevêque de Paris; il alla les voir et emmena avec lui un frère mineur nomé le Petit Jacobin qui, sur son ordre, fit un beau sermon et excommunia tous les diseurs et diseuses de bonne aventure, et tous ceux qui avaient  montré leurs mains. Ils durent alors s'en aller et ils se dirigèrent vers Pontoise,  le jour de Notre-Dame, en septembre.

(Texte adapté par Jacques Mégret)

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