Last updated: 31, Oct., 2007 

     THALASSA. Portolano of Psychoanalysis

 

 

TEXTS ON LINE:

"Adriatico" di Predrag Matvejevic

"Mon Adriatique" de Predrag Matvejevic

"Les cachés de la folie" de J.-P. Verot  

  "La difficoltà di dire io. L'esperienza del diario nel conflitto inter-jugoslavo di fine Novecento" di Nicole Janigro

 

  "I Balcani" di Predrag Matvejevic (sito "Frenis Zero")

  "La Shoah e la distruttività umana" di A. A. Semi (sito web A.S.S.E.Psi. )

 

 

 

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Questo testo è tratto dal discorso pronunciato da J.-P. Vernant (morto il 9.01.2007) nel 1999, in occasione del 50° anniversario del Consiglio d'Europa, e che è inscritto sul ponte che collega Strasburgo a Kehl:

<<Passare un ponte, traversare un fiume, varcare una frontiera, è lasciare lo spazio intimo e familiare ove si è a casa propria per penetrare in un orizzonte differente, uno spazio estraneo, incognito, ove si rischia - confrontati a ciò che è altro - di scoprirsi senza "luogo proprio", senza identità. Polarità dunque dello spazio umano, fatto di un dentro e di un fuori. Questo "dentro" rassicurante, turrito, stabile, e questo "fuori" inquietante, aperto, mobile, i Greci antichi hanno espresso sotto la forma di una coppia di divinità unite e opposte: Hestia e Hermes. Hestia è la dea del focolare, nel cuore della casa. Tanto Hestia è sedentaria, vigilante sugli esseri umani e le ricchezze che protegge, altrettanto Hermes è nomade, vagabondo: passa incessantemente da un luogo all'altro, incurante delle frontiere, delle chiusure, delle barriere. Maestro degli scambi, dei contatti, è il dio delle strade ove guida il viaggiatore, quanto Hestia mette al riparo tesori nei segreti penetrali delle case.  Divinità che si oppongono, certo, e che pure sono indissociabili. E' infatti all'altare della dea, nel cuore delle dimore private e degli edifici pubblici che sono, secondo il rito, accolti, nutriti, ospitati gli stranieri venuti di lontano. Perché ci sia veramente un "dentro", bisogna che possa aprirsi su un "fuori", per accoglierlo in sé. Così ogni individuo umano deve assumere la parte di Hestia e la parte di Hermes. Tra le rive del Medesimo e dell'Altro, l'uomo è un ponte>>.

 


 

 


"Remémoration, traumatisme et mémoire collective - Le combat pour la remémoration en psychanalyse"

de Werner Bohleber

                                                                          

Cet article a eté présenté au "International Psychoanalytical Congress" (juillet 2007) par l'auteur qui est psychanalyste  de la "Frankfurt Psychoanalytical Society" et "editor" (curateur) de la revue psychanalytique allemande "Psyche".   version française  
     

 

 

 

 

 

 

1.      Introduction

La psychanalyse a débuté comme théorie du traumatisme. Si, selon la célèbre formule de Freud, les hystériques souffrent de réminiscences, alors c’est la remémoration qui possède une vertu pathogène. Après que Freud eut renoncé à rechercher des scènes sexuelles infantiles traumatisantes et à la théorie de la séduction, la psychanalyse s’est élargie à l’investigation de la réalité psychique. Avec le concept de transfert, Freud a découvert une dimension nouvelle de la remémoration, à savoir sa répétition dans l’agir. Si pour lui le but du traitement a toujours été de rendre conscients des souvenirs refoulés, la théorie du traitement analytique a suivi une évolution qui s’en est écartée par la suite du fait de la dynamique spécifique, inhérente au concept de transfert. La relation thérapeutique individuelle s’est de plus en plus infiltrée dans le concept, puis avec la reconnaissance du contre-transfert a pris à nouveau un tournant spécifique en s’écartant du passé et en s’orientant vers l’ici et maintenant de la relation analytique. La remémoration individuelle de l’histoire personnelle a perdu ainsi son importance thérapeutique centrale.

Et pourtant il y avait un point où irréfutablement elle était restée le problème à maîtriser : le traumatisme perpétré sur l’être humain. Certes Freud s’est toujours préoccupé du traumatisme : il y a en particulier été poussé par la catastrophe de la 1ère guerre mondiale et par la barbarie montante du national-socialisme mais il n’a cependant jamais systématisé sa théorie du traumatisme. Il a même fait de certains questionnements, comme par exemple du rêve post-traumatique et de la névrose traumatique, un domaine obscur qu’il ne souhaitait pas approfondir plus avant. La théorie du traumatisme est donc longtemps restée un voeu pieux de la recherche analytique, et la prise en compte de la violence politique et sociale et de ses conséquences n’a pas eu en psychanalyse la valeur qui aurait dû à vrai dire lui revenir. Une raison essentielle à cela était l’opposition dans laquelle s’était trouvée la réalité psychique par rapport à la réalité externe. La plupart des analystes ont orienté leur attention plus ou moins exclusivement sur le monde interne et sur la question de l’influence qu’exercent les fantasmes inconscients sur les perceptions et sur la formation des relations d’objet internes. Prendre en compte la réalité externe aurait été souvent compris comme une attaque de la réalité psychique et de l’importance de l’inconscient. C’est à propos de la compréhension de l’abus sexuel que cette position s’est manifestée le plus clairement (Simon 1992; Bohleber 2000).

Avec les catastrophes et les expériences extrêmes que les hommes ont eu à vivre et à subir au cours du XXème siècle, le traumatisme en est devenu emblématique. La psychanalyse, mais aussi d’autres sciences humaines avaient à cet égard à rattraper un manque de recherche et de compréhension. Les conséquences psychiques des deux guerres mondiales ont obligé sur le plan théorique et sur le plan thérapeutique à se confronter à ces traumatismes, mais à chaque fois, l’intérêt s’est éteint peu de temps après. Ainsi par exemple, c’est seulement après la guerre du Vietnam que le diagnostic de stress post-traumatique a été repris dans la nomenclature psychiatrique, ce qui a entraîné une abondance de recherches sur ce syndrome. Au cœur de cette caractéristique du 20ème siècle se trouve l’Holocauste, le crime national-socialiste contre l’humanité. La déportation en camps de concentration et l’extermination de millions de juifs a entraîné pour les victimes des ravages et des souffrances inimaginables. L’aide thérapeutique aux survivants confrontait à des expériences extrêmes dont les répercussions n’étaient alors pas encore connues. Le traumatisme et sa maîtrise par la remémoration ne concernaient pas seulement les victimes survivantes, mais avaient aussi des conséquences spécifiques pour leurs enfants et les enfants de leurs enfants. Parallèlement, cela a confronté les membres du peuple perpétrateur  à une histoire criminelle à nulle autre pareille dont les conséquences sont sensibles jusqu’aux enfants et enfants des enfants de la génération des perpétrateurs. Les actes, les défenses contre la culpabilité et la responsabilité, ainsi que le déni et l’oubli n’ont pas seulement marqué la mémoire individuelle et familière, ils ont aussi marqué la mémoire collective de la société allemande d’après-guerre, dans laquelle le souvenir douloureux, honteux, de l’histoire criminelle dont il fallait répondre, a déployé une dynamique particulière pendant des dizaines d’années. L’Holocauste a fait ici de la remémoration un commandement moral particulier.

Je voulais par ces réflexions introductives situer le cadre des développements qui vont suivre et qui vont traiter du concept de remémoration, de la remémoration et de la reconstruction en psychanalyse, tout comme de leur importance particulière pour les traumatismes et leur traitement. En conclusion, je traiterai de la dynamique du traumatisme et de la remémoration pour la mémoire collective.

  

2. La remémoration : théorie freudienne et fonction thérapeutique  

Pour Freud, le but de la cure analytique a toujours été de rendre conscients les souvenirs refoulés de la vie psychique précoce. Il faut en chercher la raison dans sa théorie de la remémoration. Les perceptions se traduisent dans la mémoire selon Freud sous forme de traces mnésiques. Certes ce sont des copies de l’impression originale, mais elles ne sont pas conservées sous forme d’éléments isolés comme dans une théorie naïve d’engrammation. Freud fait l’hypothèse d’une succession de plusieurs systèmes de mémoire en connexion, qui rangent selon des principes déterminés la même trace mnésique stockée à plusieurs reprises sous forme de duplicata. Le premier système associe les éléments selon le principe de la simultanéité, les systèmes suivants les présentent selon d’autres sortes de conjonction, par exemple selon les relations de ressemblance (1900a, 544 ; trad. franç. p. 592) ou de contiguïté (1899a, 537 ; trad. franç. p. 260). Les souvenirs d’impressions et d’expériences passées peuvent en principe être rappelés sans modification. Que cela ne soit pas le cas en règle générale, a à voir avec des désirs inconscients qui se lient aux éléments du souvenir et qui conduisent à des déplacements et à des refoulements. La réapparition de souvenirs est alors liée au destin des désirs pulsionnels. L’authenticité des scènes d’enfance et leur reconstruction n’a d’importance pour Freud que dans la mesure où seule l’analyse des processus qui les déforment, permet de connaître le désir inconscient[1]. Dans « Remémoration, répétition, perlaboration » (1914g) il désigne comme but du traitement analytique le « comblement les lacunes du souvenir », en surmontant les résistances du refoulement. Le patient doit se remémorer certaines expériences vécues et les mouvements affectifs qu’elles ont suscités, car c’est la seule manière qu’il se persuade que la réalité apparente est en vérité « le reflet d’un passé oublié » (1920g,16f). Ce qui est remémoré, ce ne sont pas les événements ou les faits en soi, mais leur élaboration psychique. Freud parle tout à fait généralement de « processus psychiques », tel que par exemple du défi d’un patient dans l’enfance contre l’autorité de ses parents. C’est exactement là aussi que se situe pour lui la vérité historique des souvenirs et non pas dans une reproduction fidèle à la vérité de faits objectifs. Freud célèbre comme un « triomphe de la cure » le fait de parvenir à liquider par un travail de remémoration ce qu’un patient aimerait décharger par une action (1914g, 133 ; trad. franç. p.112).  Mais cela ne réussit pas toujours car souvent ce qui est oublié et refoulé n’est pas reproduit sous forme de souvenir mais comme acte. La compulsion de répétition remplace l’impulsion à se remémorer et le transfert devient le lieu de ce report. Son interprétation mène alors au « réveil des souvenirs qui surgissent ensuite, comme d’eux-mêmes, une fois les résistances surmontées » (135 ; trad. franç. p. 114). Des années plus tard, Freud est devenu plus réservé par rapport au réveil des souvenirs, comme il l’écrit dans « Constructions en analyse ». Certes, « ce que nous souhaitons, c’est une image fidèle des années oubliées par le patient, image complète dans toutes ses parties essentielles. » (1937d, 44 ; trad. franç. p. 270), mais dans de nombreux cas, il faudrait en rester à des constructions. Celles-ci produisent certes une « poussée du refoulé vers le haut » qui « cherche à amener à la conscience des traces mnésiques significatives », mais qui souvent s’enlise. Le devenir conscient ne progresse alors que jusqu’à « la conviction sûre du patient de la vérité de la construction » (53 ; trad. franç. p.278). Comme cette référence à la théorie de la remémoration de Freud le montre, les souvenirs sont pour lui le réinvestissement de traces mnésiques durables qui doivent être considérées comme des copies de processus psychiques anciens. C’est seulement par la levée du refoulement et par la perlaboration des conflits que le passé peut être reproduit, mais sans connaître de réinscription du fait du contre-investissement dans la conscience (1920g, 24, trad. franç. p. 296 ; 1923b, 247f, trad. franç. pp. 264).

  Freud n’a jamais unifié sa théorie de la remémoration. A côté de cette conception dominante, on trouve d’autres conceptions et projets alternatifs auxquels se lient les développements ultérieurs.

1. Lorsqu’un souvenir est reproduit par la répétition sous forme d’acte, il s’intègre au présent dans un contexte d’action significatif. Le présent a de ce fait non seulement la fonction de réveiller le passé oublié, mais il force le phénomène psychique oublié à pénétrer dans la structure événementielle présente, le façonne et transforme ainsi sa signification. L’expérience passée est activement adaptée au contexte de l’expérience vécue actuelle. C’est pourquoi Freud parle à certains moments  d’un processus de transformation des souvenirs. Dans les lettres à Fließ, il est ainsi dit que les traces mnésiques connaissent de temps en temps « un réagencement suivant de nouvelles relations, une réinscription » (1985c, 217). Cette réinscription est l’accomplissement psychique d’époques de vie successives. Ainsi, à la puberté se forment des fantasmes sur l’enfance et des traces mnésiques sont alors « soumises à un « processus de remaniement complexe » (1909d, 427 ; trad. franç. p. 178)[2]. Dans ces conceptions alternatives, émerge une compréhension moderne du souvenir en tant que construction déterminée par le présent.

2. Cette hypothèse d’une transformation ultérieure des souvenirs renvoie au concept d’après-coup de Freud. Du fait d’un événement effrayant ou troublant survenant après l’époque de la maturation sexuelle, une scène infantile plus précoce à contenu sexuel, qui initialement ne pouvait pas être intégrée à un contexte signifiant, trouve après-coup et de manière rétroactive un effet traumatique. Les impressions de l’époque présexuelle reçoivent alors « en tant que souvenirs, leur puissance traumatisante. » (1895d,194 ; trad. franç. p. 105).  Cette conception de l’après-coup a surtout été élargie en une théorie propre de l’après-coup dans la psychanalyse française et s’est vu attribuer rétroactivement une nouvelle signification. Le concept a d’ailleurs été détaché de son lien de causalité entre deux scènes de l’histoire de la vie, séparées dans le temps l’une de l’autre, et la succession dans le temps a été élargie en une « liaison en forme de réseau » (Green 2002, 36).

 

3. La « colonisation du passé »[3] par le présent dans la théorie clinique actuelle de la psychanalyse

 

Dans ce paragraphe, je voudrais retracer le destin de la remémoration comme facteur curatif dans l’évolution théorique de la clinique, en me limitant cependant à quelques positions essentielles du courant dominant et je laisse les ramifications de côté. Dans la psychologie du Moi, le centre de gravité du travail analytique s’est peu à peu déplacé de la remémoration des événements de vie à la reconstruction. Un événement de l’enfance, significatif du point de vue psychique, forme du fait de sa liaison à un fantasme inconscient un modèle dynamique complexe, qui au cours du développement ultérieur va selon le cas être réadapté et donc transformé. La reconstruction cherche à saisir, à partir du matériel de la séance analytique, ce modèle et ses remaniements successifs pour pouvoir remonter dans le développement jusqu’à l’événement originaire et au fantasme qui lui est lié. L’histoire de l’action réelle de ce complexe dynamique est à comprendre comme une histoire de causalité. Remémoration et reconstruction ont valeur de preuve thérapeutique du fait qu’elles peuvent être mises dans une relation de cause à effet direct avec les effets psychiques durables de l’événement (Kris 1956; Arlow 1991; Blum 1994).

Cette conception de l’efficacité thérapeutique de la remémoration et de la reconstruction va être massivement ébranlée par l’arrivée des psychologies de la relation d’objet et du tournant narratif et constructiviste. Suivant le mode de compréhension narratologique, nous ne sommes jamais au contact du souvenir effectif, mais toujours seulement avec sa description par le patient. La vérité n’est donc pas quelque chose de caché à découvrir immédiatement, elle est toujours liée dans une narration qui ne trouve valeur de vérité que lorsque cela devient plausible pour le patient et qu’ainsi des fragments de vie narratifs non liés en tirent une signification plus cohérente (Spence 1982). Dans la relation transférentielle, des formes anciennes de l’expérience sont quasiment incorporées dans un contexte narratif. La clarification historique ne peut se faire par la découverte d’un passé, ceci équivaudrait à une destruction du présent. Le transfert n’est pas pour Roy Schafer (1983) une machine à remonter le temps vers le passé (Freeman 1984) : il est le résultat d’un mouvement nécessairement circulaire. Présent et passé se construisent mutuellement. Comme dans le cercle herméneutique, nous voyons toujours le passé à travers une compréhension préalable présente, elle-même à son tour marquée par le passé. Cette conception du souvenir fait disparaître du champ de vision la découverte d’événements réels. La vérité historique est remplacée par la vérité narrative. Le cadre de la réalité narrative ne peut être abandonné et la référence au monde du réel reste muette. Le problème fondamental de ces conceptions narratologiques ou constructivistes de la psychanalyse réside dans le fait qu’elles excluent ou qu’elles obscurcissent la référence à la réalité derrière la narration. 

Dans l’évolution de la technique analytique, l’investigation de l’interaction du transfert et du contre-transfert est ainsi devenue progressivement le point principal de la thérapeutique. Percevoir de manière de plus en plus fine les microprocessus psychiques et les formuler tel qu’ils se déploient dans la dynamique de la relation thérapeutique incluait aussi le matériel biographique émergent. Que les souvenirs ne puissent être compris sans le contexte dans lequel ils émergent, on le savait depuis longtemps. Mais maintenant, on voit à quel point l’émergence des souvenirs est fortement commandée par une dynamique inconsciente qui se déploie dans la relation transféro-contre-transférentielle. En outre, l’analyse des troubles précoces a mis en lumière combien des processus de clivage pouvaient déformer et dénaturer le matériel autobiographique. Ainsi, lorsque la triangulation psychique est insuffisante, l’espace psychique, condition préalable pour qu’une parole signifiante sur les souvenirs soit possible, fait souvent défaut. C’est particulièrement frappant dans la psychanalyse britannique, et en particulier dans l’école kleinienne, où l’activité thérapeutique s’est orientée vers une analyse des relations d'objet dans l’ici et maintenant du transfert et du contre-transfert. Le patient façonne inconsciemment la relation à l’analyste de sorte que son monde interne se transfère sous forme de situation globale du passé vers le présent. Certes il est dit expressément que le présent est une fonction du passé, mais ce qui est alors entendu, c’est que le présent contient plus ou moins totalement le passé et que celui-ci se déploie dans l’ici et maintenant de la relation analytique. Du point de vue de la technique thérapeutique, le passé y a perdu toute signification propre. L’interprétation du transfert dans l’ici et maintenant de la situation analytique concerne à la fois le présent et le passé. L’un se fond plus ou moins dans l’autre. Faire appel dans un but de reconstruction à la vérité historique est soupçonné d’être un mouvement défensif. Si reconstruction il y a, elle n’a comme seul objectif que de transmettre au patient un sentiment de sa propre continuité et de son individualité (Joseph 1985; Riesenberg Malcolm 1988; Birksted-Breen 2004). 

Au terme de ce bref aperçu, nous pouvons retenir que dans la plupart des conceptions actuelles du traitement, la remémoration de l’histoire de vie et la reconstruction de l’histoire du patient ont été mises de côté et qu’elles peuvent être considérées du point de vue thérapeutique comme secondaires. Sous cet angle, les récentes recherches sur la mémoire issues des sciences cognitives et des neurosciences semblent avoir fourni des résultats et des hypothèses qui peuvent se comprendre comme une confirmation venue de l’extérieur. Les modèles cliniques qui en découlent, partent de l’idée que les relations d'objet précoces réelles se concrétisent par des souvenirs « implicites » ou « procéduraux » (voir déjà Sandler & Sandler 1998) ou sous forme d’ « objets de mémoire implicite » (Pugh 2002) dans la mémoire implicite non déclarative. Ils influencent le vécu actuel et le comportement sans représenter le passé à travers des souvenirs accessibles consciemment. Dans le transfert, ils ressurgissent sous forme de schèmes relationnels implicites agis (Stern et al. 1998). En revanche, les souvenirs autobiographiques et épisodiques sont stockés dans la mémoire déclarative. Alors que Freud était parti d’un système de mémoire unifié, aujourd’hui les modèles des relations d'objet ou les énactions dans le transfert et les souvenirs autobiographiques sont localisés dans deux types de processus de remémoration fondamentalement différents. Le lien entre répétition par l’action d’anciens schèmes relationnels dans l’ici et maintenant et remémoration de l’histoire de vie semble se déliter largement (Fonagy 1999; 2003; Gabbard u. Westen 2003). Dans cette perspective, le changement  psychique se fait par l’interprétation et l’influence de modèles mentaux de relations d'objet, tels qu’ils sont ancrés dans la mémoire implicite.

La remémoration de l’autobiographie devient un pur épiphénomène. On peut se demander à propos de ces nouvelles conceptions, si elles ne jettent pas le bébé avec l’eau du bain, lorsqu’elles déclarent que la remémoration de l’histoire de vie et la possibilité de reconstruire la réalité historique au moins de manière approchée ne sont pas significatives sur le plan thérapeutique. La psychanalyse, jadis assignée à la révélation des souvenirs d’enfance refoulés, court le risque de devenir une technique thérapeutique masquant elle-même l’histoire. [4]

Le « jadis et là-bas » ne se révèle ni dans « l’ici et maintenant » ni dans la transformation de la remémoration par la dynamique de la situation actuelle. En dépit de toutes les attributions de signification à travers le présent, le passé conserve une valeur propre. Même si la théorie freudienne de la trace mnésique est aujourd’hui démodée et que la comparaison métaphorique du travail de l’analyste avec celui de l’archéologue est rejetée parce qu’inadéquate, il reste néanmoins que la métaphore de la trace permet de saisir un élément qui tire son origine du savoir clinique. La « trace » laisse au passé un facteur d’autonomie, que ne retiennent pas les théories modernes de la retranscription et de la construction de la remémoration. Ce sont d’une part les promesses non tenues de projets de vie abandonnés ou les messages énigmatiques de l’autre (Laplanche 1992), qui confèrent une valeur herméneutique propre au passé, d’autre part les remémorations traumatiques peuvent avoir un effet perturbant et pénétrer de manière intrusive dans le contexte actuel de vie, sans lui être relié. Le traumatisme est un fait brut qui ne peut au moment où il est vécu, être intégré à un réseau de significations, parce qu’il transperce la texture psychique. Cela crée des conditions particulières pour sa remémoration et son intégration après-coup dans un ressenti présent. Je vais examiner maintenant ces différentes questions en commençant par quelques remarques systématiques sur la compréhension moderne des souvenirs.

 

4. Souvenirs entre passé et présent. Résultats d’études des sciences cognitives

Les sciences cognitives et les neurosciences ont effectué au cours des dernières décennies des découvertes princeps qui ont considérablement élargi notre savoir sur le fonctionnement du cerveau et l’ont aussi révolutionné. Les modèles de stockage topologiques ont été remplacés par une conception beaucoup plus dynamique, plus flexible de la remémoration et de la mémoire. Nous ne partons plus aujourd’hui de l’idée que les souvenirs sont stockés sous forme d’impression ou de trace dans la mémoire, pour ensuite être réveillés par rappel et revenir à la conscience. Le processus de remémoration implique une interaction beaucoup plus complexe entre les circonstances actuelles de la vie, ce dont on s’attend à se remémorer et ce que l’on a conservé du passé. Le cognitiviste David Schacter écrit : « Notre cerveau fonctionne autrement. De nos expériences vécues, nous filtrons des éléments-clés, qui sont les seuls que nous enregistrons. Puis nous remodelons ou reconstruisons nos expériences, au lieu d’en rappeler simplement des copies. Dans le processus de reconstruction s’infiltrent parfois des sentiments, des convictions ou aussi des informations que nous avons acquises après l’événement de vie. Autrement dit, nous déformons nos souvenirs du passé en ce sens que nous leur attribuons des émotions ou des informations que nous nous sommes seulement appropriées dans l’après-coup » (2001, 21).[5] Certains auteurs tirent de ce fait neuroscientifique de la construction des souvenirs la conclusion que la question de la vérité au sens de la correspondance entre souvenirs et événements passés est devenue obsolète. Les souvenirs sont considérés comme des constructions narratives dont les lacunes qui sont apparues par oubli, sont comblées par la narration et produisent un sens qui correspond à la situation actuelle du moi.[6] Cette conception aussi menace d’aplanir presque totalement la différence entre remémoration et interprétation.

Une analyse plus fine des recherches empiriques sur la mémoire autobiographique ne soutient pratiquement pas cette vision des choses. [7] En outre, on a l’impression qu’ici on ne distingue pas genèse et validité. Même si le cerveau construit les souvenirs, il faut encore séparer processus d’apparition et résultat, sinon on aboutit à une conclusion erronée du point de vue génétique. On ne peut répondre directement à la question de l’exactitude et de la fiabilité des souvenirs autobiographiques sur la base de recherches empiriques. Le débat est devenu particulièrement explosif à la suite de la confrontation scientifique et sociale sur la remémoration des abus sexuels. Loftus (1994) a démontré par ses travaux que les souvenirs peuvent être durablement influencés par la suggestion d’informations fausses. D’autres études sur la suggestibilité ont fourni de solides preuves du fait que les souvenirs d’événements réels diffèrent des souvenirs suggérés par des images beaucoup plus variées et détaillées (Schacter 2001). Shevrin (2001) souligne que l’information erronée influence certes le récit des souvenirs, mais qu’elle ne modifie pas nécessairement la trace mnésique elle-même. En effet des expériences montrent que les vrais souvenirs laissent une « signature sensorielle » qui fait défaut dans le cas des faux souvenirs.[8]

Seules ont un intérêt particulier pour notre thème les études qui montrent que l’exactitude d’un souvenir est souvent en relation directe avec le mouvement émotionnel suscité par un événement. L’intensité émotionnelle, la signification personnelle comme le niveau de surprise et le poids des conséquences d’un événement sont des déterminants décisifs. Les expériences vécues comme telles peuvent être remémorées pendant de plus longues périodes avec une grande exactitude et de façon plus détaillée.[9] Là, l’intensité de la représentation visuelle joue un rôle central. Ces facteurs influent alors à un degré encore plus fort sur l’enregistrement des expériences traumatiques. Les rapports entre événement et souvenir sont toutefois encore plus complexes que dans des expériences émotionnelles non traumatiques. Le débat à ce sujet est là encore discordant. Un groupe d’arguments dit que les souvenirs traumatiques ne peuvent généralement pas être remémorés de manière cohérente. L’événement serait représenté dans la mémoire implicite, des souvenirs explicites manqueraient de ce fait temporairement comme par exemple dans une amnésie psychogène. Sa survenue est un indice d’expériences traumatiques. Les résultats des études empiriques[10] infirment largement ces arguments. Bien plus, ils montrent que les souvenirs d’événements extrêmement stressants et traumatiques sont pour la plupart très détaillés, très présents et, autant qu’on puisse en juger, également relativement sûrs. Cependant là, comme pour d’autres souvenirs, peuvent survenir des erreurs et avec le temps, des processus d’oubli. Les événements comportant une intensité affective élevée provoquent d’un point de vue neurobiologique une appréciation émotionnelle subcorticale pré-attentive des excitations entrantes. L’activation de l’amygdale entraîne une amélioration de la mémorisation. L’éveil très intense stimule le souvenir des particularités essentielles de l’événement[11]. Les aspects centraux de l’événement et de l’expérience sont mieux conservés, les détails qui ne sont pas en relation avec le cœur de l’événement en revanche le sont moins bien. Le facteur décisif est alors le Moi qui, pendant l’événement traumatique, doit au moins pouvoir conserver sa fonction d’observation. Laub und Auerhahn (1993) classent les souvenirs suivant un continuum de distance psychologique par rapport au traumatisme. Lors de traumatismes extrêmes, le Moi qui observe peut aussi s’effondrer, il reste alors seulement des fragments de souvenirs loin du moi. Des événements traumatiques peuvent également engendrer des amnésies psychogènes. Elles sont cependant moins fréquentes que certaines études ne le supposent. De la même manière, des souvenirs refoulés ou dissociés peuvent réapparaître et être vérifiés par confirmation externe. Mais on trouve aussi le contraire, à savoir des souvenirs réapparus qui ne peuvent être confirmés.[12] Après trois ans, les enfants se souviennent bien d’événements traumatiques et leurs descriptions des éléments essentiels sont en général fiables. Je ne peux aborder ici la question de savoir si l’on peut supposer chez l’enfant une plus grande fréquence des amnésies après des expériences extrêmement stressantes. [13]

Sur la base de ces résultats de recherche, on peut dresser le bilan de la manière suivante :

Les souvenirs traumatiques constituent un groupe spécial d’expériences qui sont encodées préférentiellement et généralement de manière détaillée, avec une grande exactitude, et qui sont conservées durablement. Mais ils ne se distinguent pas fondamentalement des autres processus de remémoration, et l’on doit plutôt considérer que les mécanismes de la mémoire constituent un ensemble de processus neurocognitifs dans lequel les déroulements de l’encodage, de la consolidation et du rappel sont combinés spécifiquement (Volbert 2004, 138). Ce qui signifie que le stockage et le rappel d’expériences traumatiques ne sont pas soumis au processus habituel de transcription et de transformation des souvenirs en fonction de la situation actuelle. Dans le cas de souvenirs traumatiques, le présent ne peut exercer que de manière très limitée sa fonction de foyer herméneutique à partir duquel le passé est perçu et structuré.

 

5. Les théories psychanalytiques du souvenir traumatique

Les résultats des études cognitives et neurobiologiques que nous venons d’exposer, laissent entendre qu’en cas d’expériences traumatiques, nous ne pouvons pas en principe considérer qu’elles sont traitées autrement que les expériences non traumatiques, mais que nous devons cependant nous attendre à des perturbations de leur enregistrement, ou à une entrave dans le déroulement des processus psychiques habituels. Lorsque des événements traumatiques sont conservés en mémoire en permanence, en détails et de manière relativement précise, il s’agit alors surtout de souvenirs des faits, mais pas encore de la description de la réalité psychique de l’expérience traumatique. Comment décrire du point de vue psychanalytique le noyau intérieur du vécu d’expériences d’effroi, de douleur, de perte et d’angoisse de mort,  qui bouleversent l’équilibre mental impliqué ? Quel rôle jouent les affects, les opérations de défense et les fantasmes inconscients qui sont en jeu ? Avant d’aborder cette question de plus près, je voudrais présenter brièvement les deux principaux modèles du traumatisme que nous donne la théorie psychanalytique et qui serviront de fondement pour les discussions ultérieures.

 

5.1 Le modèle psycho-économique du traumatisme de Sigmund Freud

Freud a conçu en 1895 le souvenir du traumatisme comme un corps étranger dans le tissu psychique, qui y déploie son effet jusqu’à ce qu’il perde sa structure de corps étranger par une remémoration affective et par l’abréaction de l’affect coincé. Il a développé ce modèle plus tard selon des points de vue économiques dans « Au delà du principe de plaisir » (1920g). Le concept de corps étranger y apparaît comme une quantité d’excitation qui ne peut être liée psychiquement, qui submerge le Moi et fait effraction dans le pare-excitation. La force de l’assaut des quantités d’excitation est trop grande pour être maîtrisée et liée psychiquement. Pour parvenir cependant à accomplir sa tâche de liaison psychique, l’appareil psychique régresse vers des modes de réaction plus primitifs. Freud introduit le concept de compulsion de répétition pour décrire la particularité de ce vécu au delà de la dynamique plaisir-déplaisir. La compulsion de répétition actualise l’événement traumatique dans l’espoir de lier ainsi psychiquement l’excitation et remettre en jeu le principe de plaisir et les modes de réactions psychiques qui s’y rattachent. Le traumatisme ne trouble pas cette économie libidineuse, mais il menace l’intégrité du sujet de manière radicale (Laplanche & Pontalis, 1973). Dans « Inhibition, symptôme et angoisse » (1926d) Freud revient sur le concept d’angoisse automatique, tel qu’il l’a développé pour les névroses actuelles. Du fait de l’excès d’excitation dans la situation traumatique apparaît une angoisse massive. Elle inonde le Moi qui lui est exposé sans protection et le rend absolument impuissant (hilflos). L’angoisse automatique a un caractère indéterminé et elle est sans objet. Dans une première tentative de maîtrise, le Moi essaie de transformer l’angoisse automatique en angoisse-signal, ce qui a pour effet de transformer l’impuissance absolue en attente. L’activité interne que le Moi déploie alors, répète, « une reproduction atténuée de la situation traumatique », « dans l’espoir de pouvoir en diriger lui-même le déroulement » (1926d, 200). La situation de danger extérieure est ainsi intériorisée et prend une signification pour le Moi[14]. L’angoisse est symbolisée et ne reste plus indéterminée et sans objet. Le traumatisme obtient de ce fait une structure herméneutique et devient maîtrisable. Baranger, Baranger et Mom (1988) ont souligné à juste titre cet aspect économique de l’angoisse automatique, comme central pour l’expérience traumatique. Ils qualifient de « pur traumatisme» la situation d’angoisse avec son indétermination psychique et son absence d’objet. Le traumatisé essaie de dompter le traumatisme pur et de l’atténuer, en lui donnant un nom et en l’insérant dans un système de causalité compréhensible. Les auteurs parlent d’un paradoxe : le traumatisme est véritablement intrusif et étranger, mais tant qu’il reste étranger, il va être réanimé et s’infiltrer dans des répétitions sans pouvoir être compris. Etant donné que l’homme, quel qu’il soit, ne peut vivre sans explication, il cherche à donner au traumatisme un sens individuel et à l’historiciser. Ces historicisations après-coup sont la plupart du temps des souvenirs-écran. C’est la tâche du processus analytique que de reconnaître ces souvenirs-écran en tant que tels et de reconstruire l’histoire authentique, l’historicisation restant ouverte dans le futur.

Freud a décrit à plusieurs reprises dans « Inhibition, symptôme et angoisse » l’impuissance vécue par le Moi comme la conséquence d’une perte d’objet. Si la mère manque, le Moi est infantile n’est plus dans la même impuissance, car il peut investir l’image de la mère. Dans la véritable situation traumatique, il n’y a pas d’objet susceptible de manquer. L’angoisse est la seule réaction (1926d, 203). Ce type de perte totale des objets protecteurs internes est au coeur du deuxième modèle du traumatisme.

 

5.2 Le modèle du traumatisme dans la théorie des relations d’objet

Le développement des théories de la relation d'objet a fait rejeter les considérations quantitatives sur la somme d’excitations insupportable submergeant le Moi. Le modèle paradigmatique n’est plus d’avoir vécu une fois un choc tel qu’un accident, mais la relation d'objet. Ferenczi a anticipé des conceptions plus tardives de la recherche sur le traumatisme. Balint (1969) a été le premier à le suivre sur cette voie. Il souligne que la qualité traumatogène d’une situation dépend de l’existence d’une relation intense entre l’enfant et l’objet. La relation d'objet se voit ainsi attribuer un caractère traumatique. Comme les études ultérieures (Steele 1994) le confirmeront, ce n’est pas en première ligne les blessures de l’enfant par violence corporelle qui provoquent un trouble traumatique, mais l’élément pathogène le plus fort est la maltraitance ou l’abus par la personne dont on a besoin pour être protégé et soigné. Cette perspective élargit la compréhension de la réalité psychique dans une situation traumatique. Plus le traumatisme est massif, plus la relation d'objet interne est endommagée, mais aussi plus la communication intérieure entre les représentations du soi et de l’objet, qui protège et qui assure la sécurité, s’effondre. Il s’ensuit des îlots d’expérience traumatique qui sont isolés de la communication interne.

Cet essai de théorisation du traumatisme à partir de la relation d'objet a pu être développé à partir des recherches sur les traumatismes extrêmes, tels qu’ils ont été subis pendant l’Holocauste. Une conséquence psychique centrale de ce type d’expériences a été l’effondrement du processus empathique. La dyade de communication entre le soi et ses bons objets internes se rompt ce qui entraîne une solitude interne absolue et une désespérance extrême. Le bon objet interne se tait en tant que médiateur empathique entre le Soi et l’environnement, et la confiance en la présence continue de bons objets et l’attente d’une empathie solidaire sont détruites.[15] Cette conception nous permet de mieux saisir le cœur de l’expérience vécue dans des traumatismes massifs. Il consiste dans une zone d’expérience à peine communicable : une solitude catastrophique, un renoncement interne où le soi n’est pas seulement paralysé dans ses possibilités d’action, mais annihilé, accompagné d’angoisse de mort, de haine, de honte et de désespoir. Ou, comme Sue Grand (2000) le formule : il s’ensuite une zone morte, quasi autistique, de non-Soi sans la présence d’un Autre empathique.

Les conceptions issues des théories de la relation d'objet représentent un grand progrès pour la compréhension du traumatisme. Nous avons cependant besoin des deux modèles, le modèle de la théorie de la relation d’objet, ainsi que le modèle économique pour conceptualiser l’expérience traumatique massive, qui brise le fondement de la capacité d’espérer en détruisant la confiance dans le monde environnant, médiatisé symboliquement, qui nous lie préconsciemment. Sous cet angle, le traumatisme représente un problème pour toutes les théories herméneutico-narratives et constructivistes. Car elles ne peuvent plus appréhender l’effondrement du processus de construction lui-même, qui nous permet de générer des significations[16]. L’élément destructeur, la violence traumatisante directe, reste un « trop », un excès massif, qui transperce la structure psychique et ne peut être lié par signification.

 

6. L’encombrement des souvenirs traumatiques : le problème de la reconstruction, de la narration et de l’intégration psychique

J’avais tiré des études de psychologie cognitive la conclusion que le matériel traumatique était certes modifié par rapport au matériel non traumatique, mais que son encodage et son rappel ne s’effectuaient pas complètement différemment. Avant d’étudier de plus près ces faits du point de vue psychanalytique, je voudrais présenter une conception du traumatisme qui, à partir du « trop » d’une excitation excessive, suppose une autre traduction des expériences traumatiques. Van der Kolk et collaborateurs (1996) en s’appuyant sur leurs recherches, arrivent à l’hypothèse d’une mémoire spécifique du traumatisme dans laquelle les souvenirs traumatiques sont conservés différemment de la mémoire autobiographique explicite. L’excitation extrême divise le souvenir en différents éléments somato-sensoriels isolés, en images, en états affectifs, en impressions somatiques ainsi qu’en odeurs et en bruits. Van der Kolk fait l’hypothèse que ces souvenirs implicites concordent avec l’expérience effective, mais que sous cette forme, ils ne peuvent pas encore être intégrés dans une remémoration narrative. Le résultat est un contenu non symbolique, figé et non modifiable des souvenirs traumatiques parce que le soi en tant qu’auteur de l’expérience est déconnecté au moment de l’événement traumatique. L’essence de cette conception est que le traumatisme est pour ainsi dire gravé dans la mémoire avec une exactitude intemporelle et en même temps littérale. Cette exactitude non modifiable du souvenir semble attester de l’existence d’une vérité historique, qui n’est pas modifiée ni remodelée par un  sens subjectif, des schémas cognitifs propres ou des attentes ou des fantasmes inconscients. La valeur symbolique pour l’autobiographie est éliminée  et, comme le constate Ruth Leys, une base de causalité mécanique se manifeste dans beaucoup de théories actuelles sur le traumatisme (2000, 7). On peut objecter de manière critique à ce modèle de la mémoire du traumatisme que des événements stressants, significatifs sur le plan émotionnel, sont généralement conservés de manière durable et peuvent être rappelés de manière explicite, même s’il n’est pas contestable qu’il existe des amnésies psychogènes. [17] Même si la thèse d’une mémoire particulière du traumatisme est également reprise par certains analystes[18], elle entraîne cependant une série d’hypothèses à peine tenables du point de vue psychanalytique. On peut certes affirmer qu’une excitation excessive dans la situation traumatique déconnecte les fonctions intégratives de la mémoire entraînant une dissociation du Soi avec dépersonnalisations et déréalisations. Il se produit souvent également des modifications de la conscience, des souvenirs traumatiques surgissent subitement dans la conscience, lorsque ce Soi encapsulé est activé. Mais ces intrusions ne sont pas de pures répétitions car des flash-backs peuvent être colorés par des influences sociales extérieures. A cet égard Lansky (1995) a montré que des cauchemars post-traumatiques chroniques ne reproduisent pas seulement des souvenirs chargés d’affect et qu’ils ne sont pas seulement des répétitions visuelles de scènes traumatiques, mais que ces rêves subissent aussi le travail du rêve.

Ces  états de fait consolident la thèse, fondée du point de vue psychanalytique, selon laquelle les expériences traumatiques et leurs remémorations sont certes soumises à des restrictions et des opérations psychodynamiques spécifiques, mais elles ne sont pas complètement exclues du flux du reste de la dynamique psychique et d’un remodelage par des fantasmes conscients et inconscients[19]. Comme nous l’avons présenté, Freud définit déjà le traumatisme psychique, non pas comme tout autre vécu par des caractéristiques générales du psychique, mais comme une sorte de « dedans-dehors » qui s’est formé comme un « pieu dans la chair » (Laplanche, 1970). Freud qualifie ce matériel traumatique de corps étranger dans la structure psychique, mais en réduit la métaphore : « L’organisation pathogène n’agit pas réellement comme un corps étranger, mais plutôt comme un infiltrat…La thérapeutique ne consiste pas à extirper quelque chose, ce que la psychothérapie ne saurait réaliser aujourd’hui, mais s’efforce de faire fondre la résistance pour frayer à la circulation la voie jusqu’alors barrée. » (1895d, 295 ; tr.fr. p.235[20])

Les souvenirs traumatiques déploient une dynamique propre. En tant que « dedans » encapsulé, ils échappent à une adaptation par des liaisons associatives du fait de nouvelles expériences ou par refoulement. Ces transformations ne se produisent que de manière très limitée, ou n’ont pas d’effet, car ces domaines encapsulés, à l’allure de corps étranger, présentent quelques caractéristiques spécifiques. Je voudrais en citer trois mais souligner en même temps que je ne peux pas donner ici une description complète de la phénoménologie ou de la symptomatologie des états traumatiques. Seules certaines opérations psychiques spécifiques m’intéressent ici.

Nous trouvons souvent une régression à un mode de pensée omnipotent comme défense contre l’impuissance (Hilflosigkeit) insupportable. Lorsque le traumatisé s’attribue la culpabilité de ce qui s’est passé, le sentiment d’être exposé passivement se trouve transformé en une activité propre qui a été la cause de ce qui s’est passé[21]. Il se peut aussi qu’à l’instant de l’événement traumatique émerge un fantasme refoulé qui existait depuis longtemps, conviction intérieure, ou représentation centrale d’angoisse, et qu’ils se fondent au matériel traumatique de l’effraction. Cela donne naissance alors à des convictions clivées ou des souvenirs-écran.

L’activité psychique paralysée du Soi traumatisé provoque le gel du sens psychique du temps et produit une immobilisation intérieure du temps. La description qui revient souvent est la sensation qu’une partie du Soi est hors jeu, et qu’elle reste plus ou moins identique à elle-même parce qu’elle ne peut plus être exposée à la vie. Ce qui est dit aussi comme « être de côté », ou avoir une « existence hachurée ». Langer évoque un état de persévérance refermée qui « ne peut s’échapper de la pièce calfeutrée de l’instant propre » (1995, 66f). D’autres évoquent simplement le fait que leur horloge vitale est restée bloquée sur l’instant du traumatisme. Dans la situation traumatique, la personne concernée ne peut plus maintenir les frontières entre elle-même et l’Autre. L’excitation débordante et l’angoisse extrême effondrent le sentiment de soi et provoquent une fusion du soi et de l’objet comme noyau de l’expérience traumatique, qui est difficilement soluble et qui endommage de manière durable le sentiment de l’identité personnelle.

 

Je ne peux pas continuer de décrire ces opérations psychiques dans les zones clivées induites par le traumatisme. Elles me servent à rendre concret ce que l’on entend par élaboration psychique de souvenirs traumatiques. Je prends ici position entre les conceptions polaires des chercheurs empiriques sur le traumatisme, qui supposent une réplique exacte de l’épisode traumatique dans la mémoire et les conceptions de ceux qui ne veulent comprendre le traumatisme que dans le cadre du fonctionnement général de la réalité psychique. Aucune de ces positions opposées ne me semble tenable dans son exclusivité. S’il nous faut cependant partir d’une élaboration spécifique des souvenirs traumatiques, alors la question se pose de savoir si une reconstruction thérapeutique des événements traumatiques est possible et nécessaire. Les souvenirs traumatiques sont souvent activés au cours du traitement analytique par des mises en acte dans la relation transférentielle. La découverte de la réalité du traumatisme et des affects correspondants, c'est-à-dire son historicisation, aussi fragmentaire ou approximative qu’elle puisse être, est la condition préalable pour pouvoir clarifier et rendre compréhensibles son traitement secondaire et son remodelage par des fantasmes inconscients et des significations qui contiennent des sentiments de culpabilité et des tendances à la punition. C’est ainsi que fantasme et réalité traumatique sont dénoués et le Moi obtient un cadre de compréhension libérateur. Historicisation signifie aussi reconnaissance du fait traumatique, compréhension du vécu individuel et des conséquences générées à long terme. Lorsqu’on parvient à ce type d’interprétation et de reconstruction, il s’ensuit souvent des améliorations étonnantes de l’état des patients; ils parlent alors d’une sensation d’intégration psychique, signe qui indique une restructuration de l’organisation du Soi. Si une partie encapsulée du soi traumatisé redevient perméable, elle peut alors être mieux liée associativement. Une reconstruction inexacte va en revanche rester sans effet même si elle apparaît sensée. Comment cela se fait-il ? Une reconstruction doit concorder avec la réalité du traumatisme chez le patient et doit saisir la réalité engendrée par le traumatisme. Il est nécessaire de reconnaître ce qui a été subi, de verbaliser les souvenirs-écran et les convictions clivées et de les comprendre et de les interpréter en lien avec l’épisode traumatique. L’interprétation doit comprendre les éléments qui étaient déjà présents dans l’expérience traumatique ou qui lui étaient inhérents, avec les sens secondairement acquis. Si d’ailleurs au cours de la thérapie, le transfert et le contre-transfert ne sont analysés que dans l’ici et maintenant de la situation analytique et qu’il s’ensuit un récit sensé sans reconstruction de la réalité qui a provoqué le traumatisme, alors ces récits risquent de ne pas délimiter fantasme et réalité et dans le pire des cas de retraumatiser le patient.

 

7. La représentation de souvenirs traumatiques : mémoire générative et mémoire collective

 Les « man made disasters », les « désastres de la main de l’homme », tels que l’Holocauste, les guerres, les persécutions politiques et ethniques visent à travers leurs formes de déshumanisation et de destruction de la personnalité, à l’annihilation de l’existence historico-sociale de l’homme. L’individu ne peut intégrer par un acte idiosyncrasique, de telles expériences traumatiques dans un contexte narratif, il a aussi besoin d’un discours sociétal sur la vérité historique de l’épisode traumatique ainsi que sur le déni et les défenses suscités. La clarification scientifique et une reconnaissance collective de la cause et de la culpabilité ne font que restituer le cadre interhumain et donc la possibilité de livrer sans censure l’expérience de ce qui s’est jadis véritablement passé. C’est seulement de cette manière que la compréhension de soi et du monde peut être régénérée. S’il règne dans la société des tendances défensives ou s’il existe des injonctions de silence, les survivants traumatisés restent seuls avec leurs expériences. Au lieu de trouver un soutien dans la compréhension des autres, la culpabilité personnelle domine chez eux comme principe explicatif. La société russe et l’absence de confrontation officielle avec la terreur stalinienne en fournissent un exemple actuel (Merridale 2001; Solojed 2006). Du fait de l’absence de cadre collectif permettant cette confrontation, et de structures, de points de répère qui pourraient assurer la discussion, de nombreuses victimes croient toujours en leur propre culpabilité et ne peuvent pas par exemple comprendre ce que signifiait une politique d’épuration. Les traumatisés sont non seulement victimes d’une réalité politique destructive, ils en sont en même temps les témoins. Ils tombent souvent dans une situation telle que pratiquement personne ne veut entendre leur témoignage, parce que ces auditeurs ne veulent pas subir le poids de sentiments d’angoisse et de douleur, de colère et de honte ou parce qu’ils ont peur des reproches de culpabilité. L’historien Friedhelm Boll (2003)  a montré à partir d’interviews de survivants de l’Holocauste et de victimes politiques du national-socialisme et du stalinisme que, face à des traumatisés, on en vient trop vite à en avancer le caractère indicible, ce qui n’est autre qu’une justification, une rationalisation où la volonté de ne pas entendre l’entourage s’appuie sur la volonté de ne pas parler des persécutés. C’est pourquoi les frontières du dicible ont toujours à voir avec les restrictions sociétales, les réinterprétations et les tabous. La souffrance indicible, insupportable, et écrasante dans son absurdité, existe, et le traumatisé ne veut pas être confronté de nouveau à des pressions extrêmes en les racontant. L’indicible existe aussi parce que l’expérience vécue traumatique et remémorée ne peut être forcée à entrer dans une structure narrative qui fausserait le cœur et la vérité de l’expérience. Je voudrais en conclusion développer ce tissu relationnel complexe entre souvenirs collectifs et souvenirs individuels d’événements traumatiques á partir de l’exemple de l’Holocauste et de la deuxième guerre mondiale.

L’Holocauste se trouve jusqu’à maintenant au centre de la culture de la mémoire dans de nombreuses sociétés. Les dimensions de ce génocide perpétré contre les juifs ont fait exploser les modèles usuels de compréhension et d’interprétation du souvenir, de la mémoire, et de la reconnaissance historique. Une mémoire sans cesse assaillie par des crimes monstrueux, une incommensurable souffrance, une horreur sans nom, et une impitoyable machinerie destructrice, fonctionnant de manière industrielle, est aujourd’hui encore un défi pour la culture de la mémoire. C’est pourquoi nous nous efforçons aujourd’hui encore d’expliquer le national-socialisme avec sa destructivité radicale, et de saisir exactement son noyau criminel et les dimensions de génocide. Saul Friedländer (1997) et d’autres ont souligné ce paradoxe que la place centrale d’Auschwitz dans la conscience historique est aujourd’hui beaucoup plus marquée qu’il y a quelques dizaines d’années. L’historien Nicolas Berg (2003) dit que l’effet provoqué sur des décennies par la puissance extrême de ce qui s’est passé « a été le véritable maître qui a lentement et rétrospectivement permis d’éclairer l’événement »(2003,10). Une telle vision du travail de l’histoire (Wirkungsgeschichte)  est proche de la compréhension psychanalytique du traumatisme, notamment de la découverte après-coup de son sens et de son historicisation. Divers historiens se sont d’ailleurs prononcés pour que le concept de traumatisme soit intégré à la théorie de l’histoire. Se pose alors pour eux la question de savoir comment décrire de manière appropriée la véritable expérience collective pour que l’horreur de l’expérience, et le fait choquant, brutal, insensé, du traumatisme ne soit pas soumis à des catégories historiques explicatives où disparaît le caractère traumatique de l’événement. Comme l’écrit Jörn Rüsen: l’Holocauste « va détruire les conceptions permettant d’interpréter quand ils se réfèrent existentiellement à la couche profonde de la subjectivité humaine où s’enracine l’identité... Ce trouble est difficilement supportable. Et pourtant il faut qu’il devienne un élément de la culture historique si l’on ne veut pas que celle-ci soit située sous le seuil d’expérience qu’allègue objectivement l’Holocauste dans un retour de la mémoire sur l’expérience du passé... » (2001, 214). Ce que Rüsen souligne ici, c’est la nécessité de revenir à la remémoration individuelle du témoin pour ne pas perdre le caractère catastrophique et traumatique de l’expérience dans la description et dans la catégorisation historiques. Une fois disparus les derniers témoins, c’est la représentation, le souvenir de l’histoire de leurs persécutions et de leurs souffrances qui prendra leur place, même si l’insupportable de l’expérience primaire traumatique des survivants ne saurait être transféré dans la mémoire de ceux qui n’ont pas été concernés.

En Allemagne, nous n’avons pas pu nous contenter de seulement maintenir vivant le souvenir des victimes et des crimes qu’ils avaient subis, il nous fallait aussi inclure dans la mémoire les crimes commis dont il fallait répondre ainsi que leurs auteurs. Les historiens parlent à cet égard de « souvenir négatif » (Knigge u. Frey 2002). La remémoration et la défense qu’elle génère ainsi que la question de la culpabilité et de la responsabilité et leur déni ont ainsi instauré une dynamique transgénérationnelle spécifique dans la société allemande qui a donné au concept de génération une signification particulière comme catégorie de mémoire (Jureit u. Wildt 2005). La stratégie prédominante de remémoration de la génération dont les membres avaient été impliqués comme acteurs actifs ou comme sympathisants ou fascinés du national-socialisme, a été en général de nier leur propre participation. On se fit victime de Hitler et d’un petit groupe de partisans et d’exécutants fanatiques. Les souffrances des véritables victimes, pour autant qu’elles étaient perçues, étaient comptabilisées avec les propres groupes de victimes, les prisonniers de guerre, les blessés de guerre, les réfugiés et les expulsés. Alexander et Margarete Mitscherlich ont décrit en 1967 dans leur célèbre étude « Le deuil impossible » les pathologies de la mémoire de la société allemande d’après-guerre. Ils comprennent cette défense contre la remémoration des crimes et des horreurs passées comme de l’auto-protection pour se défendre d’une mélancolie qui se serait nécessairement installée si les Allemands s’étaient confrontés à leur lien à Hitler et au poids de leur culpabilité. Le narcissisme avec l’omnipotence de son comportement, et les idéaux du national-socialisme avaient exclu du Soi et détruit toute humanité et toute capacité d’empathie pour les victimes. La thérapie de cette pathologie résidait pour ces auteurs dans un travail de deuil qu’ils concevaient comme Freud comme un travail de remémoration qui doit se faire au service de l’élaboration de la culpabilité. Le point essentiel de l’analyse des Mitscherlich concernait la pathologie du Moi-idéal et du Surmoi. Mais dès la présentation de leurs vignettes, transparaît un texte sous-jacent qui fait émerger d’autres conditions de cette pathologie collective. Ainsi peut-on aujourd’hui déceler dans certaines symptomatologies des patients des Mitscherlich un trouble post-traumatique. La reconstruction rapide de la société allemande et sa réussite dans les années cinquante et soixante ne reposait pas seulement sur le refoulement de la culpabilité, mais aussi sur une tendance de fond qui s’était formée à travers l’utilisation extrême de la violence et l’expérience traumatisante de la violence, à travers les répercussions de la guerre, les bombardements, l’exode. Nous tombons là sur une relation complexe entre crimes, guerre, culpabilité, traumatisme et remémoration. Comme nous le savons aujourd’hui, le gel des sentiments, la déréalisation du passé et le refoulement de ses propres actes sont altérés de même que les conséquences directes de traumatismes comme la capacité à se confronter au passé. Le problème moral de la défense contre la culpabilité est lié ici à une pathologie de la mémoire d’origine traumatique. La conscience apologétique d’être des victimes, que les membres de la génération des acteurs se sont créée après-coup était alimentée par deux sources : la défense contre la culpabilité et les expériences traumatiques.

La génération suivante a grandi dans l’ombre de ces mensonges vitaux de leurs parents qui se définissaient comme victimes. Le silence sur leur propre participation et les lacunes dans les biographies familiales avait engendré chez les enfants une impression nébuleuse et partiellement déformée de la réalité. En outre la réflexion protectrice sur soi contre laquelle se défendaient des parents les a empêchés de se confronter aux idéaux nazis et aux valeurs auxquelles ils avaient adhéré. Beaucoup s’assurèrent de leur validité à travers l’instrumentalisation narcissique de leurs enfants où toute position différente était combattue sur un mode agressif. La confrontation de cette deuxième génération avec ses parents fit apparaître un modèle spécifique de « mémoire clivée » (Domansky, 1993) qui est important pour comprendre l’évolution ultérieure. Aux yeux des enfants, les pères étaient plus ou moins soupçonnés globalement de culpabilité. Par opposition et contre-identification, les enfants se tournèrent vers les victimes de cette génération de pères et acteurs. Beaucoup se sont engagés dans des projets politiques et scientifiques, qui se donnaient pour tâche d’investiguer et de reconstruire l’histoire et le rôle des victimes. Mais souvent la confrontation publique avec la génération des parents s’arrêtait au seuil de la maison de sa propre famille. Certes le silence et le déni avaient été rompus au plan de l’ensemble de la société, mais il se poursuivait au niveau individuel. Cela paraissait trop douloureux ou trop lié à des angoisses catastrophiques que d’oser se lancer. Comme l’ont montré les traitements psychanalytiques des membres de cette génération, leur attachement émotionnel inconscient aux représentations parentales de leur petite enfance a maintes fois résisté à toute confrontation ultérieure avec l’implication des parents dans le national-socialisme. La représentation était souvent clivée en une image paternelle idéalisée de la petite enfance et une image du père compromis, qui avait assisté ou avait lui-même participé à des crimes. Même si les identifications de leur Moi et leur position consciente les avaient largement éloignés du monde de leurs pères, ils ne pouvaient lever ce clivage de l’image paternelle. L’attachement positif persistait dans l’inconscient, tout en engendrant un conflit de loyauté qui lui-même amenait à ne pas questionner les tabous parentaux mais à les respecter. Ainsi souvent l’effort pour connaître la vérité et découvrir l’histoire tue et déniée se s’entremêlait à des processus simultanés de défense. Le Moi était ainsi toujours réexposé au danger de devenir inconsciemment complice des parents et de leurs positions.

Repérer cette constellation psychique et l’élaborer a été pour les membres de cette génération un processus extrêmement douloureux qui a pu cependant dans de nombreux cas ouvrir ou résoudre l’agrippement émotionnel aux parents et instaurer de la distance grâce à une façon de voir plus indépendante. Ce détachement a été rendu possible et  facilité par le fait que les tabous, les mythes et les légendes sur les crimes et leurs auteurs ont été simultanément révélés et élaborés dans l’ensemble de la société. Défense et remémoration sont sans cesse réapparus intriqués. Comme dans une spirale ascendante, il fallait continuellement aider la réalité et son rappel dans la mémoire à obtenir justice. Au fil de cette évolution, la délimitation rigide entre remémoration publique et remémoration familiale est devenue plus perméable. Depuis les années quatre-vingt dix, des questionnements aux membres encore vivants de la génération des parents et des recherches sur leur implication coupable ont fait naître de nombreux documents-souvenirs et aussi des élaborations littéraires des histoires familiales. Mais dans de nombreux cas, la clarification et la reconstruction n’ont pu être encore que très fragmentaires car il était impossible de rompre le silence des parents ou les enfants sont venus trop tard à la clarification et leurs parents étaient déjà morts. Les secrets de famille ne pouvaient alors plus être levés. Nicolas Abraham (1978) parle là d’un fantôme qui peut se nicher dans les lacunes de la mémoire familiale et poursuivre son effet inconsciemment. Même si cet état de choses a de moindres conséquences pathologiques, de nombreux membres de la deuxième génération doivent vivre avec une ambivalence impossible à lever, à savoir si et à quel point leurs parents ont été impliqués dans le national-socialisme et ses crimes. La troisième génération est en train de se définir dans cette suite. Elle a un regard personnel sur ce qui s’est passé et sur les implications familiales. Cependant nous retrouvons les mêmes conflits de loyauté, même si c’est sous une forme atténuée.

 

8. Résumé

L’évolution de la technique analytique s’est de plus en plus centrée sur l’analyse de l’ici et maintenant de la relation thérapeutique. La remémoration des souvenirs et la reconstruction biographique ont été marginalisés. Le processus d’élaboration de l’expérience actuelle dans la relation thérapeutique est considéré globalement uniquement sous l’angle curatif. Ainsi le passé disparaît de cette perspective tant dans sa signification de détermination que comme référent herméneutique pour comprendre le présent. Dans le miroir d’un processus analytique ainsi compris, la richesse, la complexité et la lourdeur d’une histoire réelle s’estompe en une réflexion sur la relation oublieuse de l’histoire. La force du passé, la compulsion de répétition, et le retour du refoulé sont des éléments topiques de la pensée analytique qui ont plus ou moins disparu de la discussion clinique.

Le traumatisme, ses conséquences à long terme et sa remémoration font barrage à cette évolution de la théorie clinique. Il constitue une sorte de corps étranger dissocié dans le réseau des associations psychiques. Dans ce domaine clivé du Soi règne une dynamique spécifique qui le confronte sans cesse à l’expérience d’être captif du pouvoir de la compulsion de répétition. Pour pouvoir intégrer ce domaine et dissoudre cette dynamique, il faut que la remémoration et la reconstruction des événements traumatiques s’effectuent dans le traitement analytique. Le pouvoir récurrent de l’identique est alors historicisé, dedans et dehors trouvent un autre cadre de compréhension et le soi retrouve un sentiment d’activité psychique (agency).

Mais la réalité traumatique ne se contente pas de mettre en question les convictions théoriques, elle confronte aussi à l’horreur, à la cruauté et l’angoisse de mort, qui doivent pouvoir être évoquées. Cela suscite défense et évitement non seulement chez le traumatisé, mais aussi chez l’analyste, de sorte que souvent les expériences traumatiques ne trouvent pas dans les traitements la valeur thérapeutique qui leur revient. Dans la clinique, on accorde souvent trop peu d’attention aux processus spécifiques de défense et de stabilisation.

Les victimes de guerre, de persécutions et d’autres formes de violence socio-politique en sont en même temps les témoins. La confrontation avec l’Holocauste, avec les crimes monstrueux, l’horreur sans nom, la souffrance incommensurable des victimes menace de submerger la remémoration  et met en marche chez ceux qui ne sont pas concernés des stratégies d’évitement et un refus de savoir. Même pour la mémoire collective et la description historique, le problème se pose de ne pas ranger l’Holocauste dans des catégories signifiantes qui feraient disparaître l’horreur et le caractère traumatique de l’expérience. Et il ne faut pas seulement inclure dans la remémoration les victimes mais aussi les auteurs et les crimes commis. Se remémorer les crimes instaure une dynamique spécifique. Ainsi dans la société allemande d’après-guerre, la défense contre la culpabilité et la responsabilité par les membres de la génération qui avait été impliquée dans le national-socialisme, avait suscité des stratégies de remémoration qui avaient perturbé le sens de la réalité des enfants et avait instauré une dynamique transgénérationnelle avec des processus d’identification particuliers.

Se confronter à ces problèmes d’une réalité diversement traumatique à un niveau individuel et sociétal et les rendre fructueux pour la discussion théorique et clinique, veut aussi dire mener un combat pour rendre à la remémoration une place appropriée en psychanalyse.

 

 (traduit de l'allemand par Michèle Pollak-Cornillot)

 

 

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[1] Freud en donne une description paradigmatique dans  „ Sur les souvenirs-écran“ (1899a). Cf. Hock (2003).

[2]Quindeau (2004) appuie sa conception de la mémoire sur ce type de passages de Freud interprétables de manière constructionniste.

[3] Cette expression vient de Friedrich Nietzsche. Je dois cette indication à un travail de Aleida Assmann (1998).

[4] Voir aussi Kennedy (2002).

[5] Pour la théorie de la « mémoire incorporée », les souvenirs sont un processus de construction et d’adaptation dans lequel tout l’organisme interagit avec l’environnement et par une recatégorisation (reclassification) permanente,  lie les expériences du passé à de nouvelles situations analogues par coordination sensori-motrice (Leuzinger-Bohleber et Pfeifer 2002).

[6] Par exemple Welzer (2002)

[7] Voir les présentations de Granzow 1994 et Schacter 1996

[8] En examinant ce débat et les études empiriques qui en ont découlé, le lecteur est gagné par l’impression que des conclusions sont tirées prématurément quant à la non fiabilité de la mémoire. Je suis de l’avis de Shevrin qui constate : « Nous avons besoin d’une théorie de la mémoire qui permette l’évaluation indépendante et l’investigation de facteurs cognitifs et émotionnels. De quelle manière les perceptions réelles d’autres significatifs sont-elles déformées sous l’influence des désirs et des souhaits qui ne peuvent être exprimés ? De ce point de vue, c’est encourageant qu’il y ait des preuves que malgré la suggestion et l’information erronée les perceptions originales n’ont pas besoin d’être effacées ; elles peuvent être retrouvées une fois l’information erronée, les déformations identifiées, par exemple dans le transfert » (2001, 138).

[9] Les études empiriques de Granzow 1994; Schacter 1996 sur les souvenirs dits « flashbulb memories  » sont très importantes à cet égard. NdT : ce sont les souvenirs personnels très clairs liés à des événements particulièrement frappants : 11 septembre par exemple.

[10] Je m’appuie dans ce qui suit sur Kihlstrom (2006), McNally (2003;2005, Schacter 1996; 2001) et surtout sur Volbert (2004) dont je cite ici des extraits de son résumé.

[11] L’hypothèse contraire selon laquelle les hormones du stress déversées massivement du fait de l’événement traumatique ont pour conséquence une désactivation de l’hippocampe qui empêche avant tout les souvenirs traumatiques d’être encodés, ceux-ci étant conservés dans d’autres systèmes de mémoire émotionnels, n’a pas reçu de confirmation empirique jusqu’à ce jour.

[12] Je ne peux être d’accord avec Brenneis (1999) qui considère comme artefact le fait que les souvenirs traumatiques ressurgissent après une reconstruction, qui provient de la dynamique thérapeutique chargée émotionnellement, mais n’est pas interprétée en tant que tel, mais qui est déposé dans le passé sous forme de reconstruction ayant un effet de suggestion. Certes il limite encore le domaine de validité de cette argumentation pointue, mais dans l’ensemble je suis d’accord avec la critique adressée par Kluft (1999) aux arguments de Brenneis.

[13] Sur la représentation interne des traumatismes dans la phase de développement préverbale, voir Gaensbauer 1995.

[14] « D’un autre côté, le danger extérieur (réel) doit aussi avoir passé par une intériorisation pour pouvoir prendre un sens pour le moi ; il faut qu’il ait été reconnu dans sa relation à une situation vécue de détresse. » (1926, 201 ; trad. franç. p. 97. »

[15]  Voir Cohen, 1985; Kirshner 1993, Laub & Podell 1995.

[16] Moore (1999) offre une possibilité intéressante de résoudre ce problème à partir de théories constructivistes.

[17] Je ne peux développer ici une critique détaillée de ce modèle de la mémoire du trauma. Je renvoie à Leys (2000), McNally (2003) und Volbert (2004).

[18] Par exemple par Person et Klar (1994).

[19] Ce qu’a souligné notamment Oliner (1996).

[20] NdT : traduction française modifiée pour ne pas omettre l’image de Freud qui veut « faire fondre »  la résistance.

[21]  Egalement Oliner (1996)

I

J

                                                                                                                     

 

 

 

 

 

   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   

 

 

 

 

 

 

 
 


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