Bon après-midi à tout le monde.

 

Je prends la parole, au nom de la J.V., afin d’exprimer quelques considérations d’ordre général sur l’identité valdôtaine, et de formuler quelques réflexions sur les raisons d’être de notre spécificité, en essayant d’exposer, de la façon la plus claire possible, la position de la Jeunesse sur ce thème et sur ses aspects fondamentaux.

Avant tout, je tiens à préciser que nous considérons ce Congrès National comme un moment important de l’histoire de notre peuple, car historique est le moment que nous sommes en train de vivre en tant que minorité insérée dans un Etat, qui probablement, dès ce printemps, verra la victoire des forces politiques de centre-droite et des néo-fascistes, depuis toujours ennemis de notre particularisme et de notre autonomie; un peuple, le peuple valdôtain, qui, de plus, est englobé dans une Europe dont les aspects économiques et les phénomènes de mondialisation et de globalisation semblent avoir le dessus, par rapport à l’Europe que nous tous espérions : à savoir une entité souveraine, respectueuse de  tous les droits de toutes les minorités - y compris et surtout les droits linguistiques-  d'autant plus forte qu'elle serait reconnue par tous ses habitants et par tous ses peuples, les grands comme les petits.

Un moment historique, je disais, qui doit quand même nous faire réfléchir pas seulement sur les facteurs externes qui affaiblissent notre communauté, mais qui doit nous imposer une réflexion, aussi, sur notre identité et une sérieuse prise de conscience sur le rôle actuel du français au Val d’Aoste. En bref, nous devons, avant de chercher ailleurs les causes de nos problèmes, commencer par nous faire, tous, un petit examen de conscience.

Oui, le moment est venu de s’arrêter un instant et de réfléchir sur notre identité et sur les effets que 50 ans de Statut spécial, d’assimilation et d’intégration ont eu sur l’identité de notre peuple. Nous vous avons distribué, à ce propos, un « Dossier Jeunesse » qui résume les considérations que je vais vous exposer, une année de travail de nos jeunes, une prise de position forte et consciente, qui reflète l’âme et les raisons d’être de la Jeunesse. Un travail qui a aboutit au projet de résolution que nous vous proposons aujourd’hui.

 

 Ici, il ne s’agit pas de jouer les défaitistes… ni les pessimistes. Il suffit  d’être réalistes et de regarder autour de nous. La Jeunesse Valdôtaine l’a fait et s’est posé cette question : où allons-nous et que reste-t-il de ce particularisme linguistique qui est la véritable raison d’être de notre identité ?. Car pour nous l’ IDENTITE c’est d’abord l’aspect linguistique. La civilisation alpestre aussi, bien sûr, mais, et nous le soulignons, c’est l’aspect linguistique qui fait de la nôtre, une vallée différente, par exemple, par rapport aux vallées piémontaises… et cet aspect linguistique, en V.d.A., signifie français-patois, que l'on ne doit pas mettre en compétition (comme d’ailleurs nos ennemis cherchent à le faire très subtilement), car ils sont complémentaires, le français étant une langue codifiée et donc plus facile à écrire (mais moins parlée), le patois étant la langue la plus répandue oralement.

On ne peut pas nier que le français, actuellement, est dans une position de faiblesse, du fait qu’il est maîtrisé avec difficulté, à cause, entre autres, du système scolaire, et il n’est pas beaucoup aimé non plus par une bonne partie des Valdôtains… Nous avons, donc, essayer d’exposer des réflexions théoriques sur la “condition valdôtaine”, mais surtout de formuler des propositions concrètes afin de modifier la situation actuelle qui ne nous satisfait guère.

 

L’ècole, nous y reviendrons, car nos efforts se sont principalement concentrés, en cette longue année de travail, surtout sur ce domaine, peut-être aussi parce nous avons vécu personnellement ce système scolaire, ses limites, ses contradictions, et surtout car nous avons assisté, presque impuissents, à tous les événements contre le français à l’examen d’Etat… mais nous avons d’abord essayé de nous demander quels sont les autres domaines dans lesquels il est nécessaire à notre avis d'intervenir et les moyens pour parvenir à modifier la situation actuelle?

 

la FAMILLE d’abord : pour ce qui est de la famille, là c’est notre conscience et notre esprit valdôtain qui doivent agir et nous guider ; nous devons commencer à apprendre à nos enfants à aimer nos langues sans distinction, à les parler, à faire l’effort de s’exprimer en français ou en patois, même si certains mots leur échappent.

 

les MEDIAS ensuite ; la situation est vraiment tragique, le pourcentage de retransmissions (radio ou télé) dans l’une de nos langues étant ridicule ; le service public (RAI) cherche à réduire au minimum les interventions en français, les communiqués de presse qui lui parviennent sont systématiquement traduits en italien ;

 - nous revendiquons, donc, la possibilité d’avoir une chaîne radio/télé valdôtaine, où les données les plus techniques elles-mêmes seraient transmises en français ou en patois ; pour ce qui est de la presse écrite, les articles en français se font de plus en plus rares, même dans les journaux valdôtains ;

- nous voulons présenter un projet de réforme de la loi actuelle sur la presse, qui prévoit que les journaux peuvent accéder à un financement régional si 8% au moins des articles est écrit en français. Nous devons changer de stratégie politique ; nous ne pouvons plus penser qu’avec l’argent on achète l’amour pour nos langues !

 

l’ADMINISTRATION et la VIE SOCIALE : nous sommes convaincus que le projet de l’eurorégion du Mont-Blanc, forme institutionnalisée de coopération transfrontalière, est fondamental pour l’avenir de la Vallée d’Aoste, car cette nouvelle entité politique  donnerait de l’élan à l’emploi du français et à une culture qui n’est pas l’italienne . Pour conclure, nous demandons de la cohérence à nos administrateurs dans l’emploi des langues, et dans les actes administratifs et dans leur vie privée, car parfois il y a lieu de se demander à quelle force politique ils appartiennent .                 

 

 Mais revenons donc à l’école. Au cours de cette dernière année, je disais, nous avons concentré nos efforts et commencé un long travail dans ce domaine, que nous considérons fondemental pour l’avenir de notre peuple et pour la sauvegarde de son identité, car fondamentale est l’éducation que nos jeunes reçoivent dans nos écoles, depuis tout petits.

 

L’école actuelle du Val d’Aoste ne reflète pas, à notre avis, les valeurs et les besoins exprimés par la communauté valdôtaine et ne transmet pas sa culture et sa civilisation. Elle affirme, en quelque sorte, des principes qui ne nous appartiennent pas. L’enseignement que les jeunes valdôtains reçoivent est semblable à celui de leurs camarades de toutes les autres écoles d’Italie, à part le français, qui est en tout cas traité comme une langue étrangère ( du reste, comme l'est l’anglais, hors de la Vallée). L’esprit de cet enseignement, donc, et ses contenus, ne sont pas valdôtains. Le registre de la langue est exclusivement italien. Ce type d’école nous conduit petit à petit vers la “dénaturation” culturelle et vers l’oubli de notre passé et de notre identité. Depuis toujours on demande l’application des Art. 38,39 et 40…Mais les as-t-on jamais appliqués ? ? ! ! Il est inutiles de nous raconter des histoires. Nous, au promesses, nous n’y croyons plus ! C’est pour cela que nous revendiquons une école entièrement valdôtaine, où l’emploi du français et de nos autres langues, le Patois, le Titsch, le Töitschu, l’Allemand, retrouveraient la place qu’ils méritent, c’est-à-dire comme langues expression de notre civilisation. Il y a déjà eu, à notre sens, trop d’ambiguïtés. Le moment est venu de choisir si l’on veut reconnaître le français comme notre langue, si on veut l'empêcher de mourir, ou si l’on préfère continuer à l’utiliser comme simple expression “folklorique”, un bon moyen pour tranquilliser nos consciences…

Souvent il est bien dommage que les jeunes aient à le rappeler aux “grands”, mais il serait bien de traduire dans les faits les principes que l’on proclame haut et fort. Pour nous, les jeunes, le Français est la langue qui traduit le mieux, avec le patois, la réalité valdôtaine, encore si forte dans les petits pays.

Notre proposition est la suivante: à côté  de l’école existante, qui continuera de faire croire à tout le monde qu’elle applique le bilinguisme, qui en réalité n’existe pas, nous voulons proposer une école qui poursuive une formation des jeunes dans un esprit d’abord valdôtain, et puis qui leur permette d’avoir, en même temps, une instruction plus vaste et fortement “européenne”, en leur apprenant aussi l’anglais, l’allemand et bien évidemment l’italien.

 Nous voulons affirmer en toute tranquillité que notre idée n’est absolument pas de diviser en deux la communauté valdôtaine, mais plutôt de créer une nouvelle opportunité, qui nous permette de poursuivre finalement l’épanouissement de notre identité et de notre culture par l’école. Notre projet veut être clair. L’idée pourra plaire ou ne pas être partagée… mais il est bien d’en parler, sans penser toujours que nous voulons créer des polémiques, car le débat et la confrontation sont extrêmement importants et ne peuvent que nous faire grandir, tous, ne l’oublions pas. Il faut bien qu’on se dise, en tout cas, que ce type d’école ne peut pas continuer à tuer en silence l’âme et l’esprit des jeunes Valdôtains. Nous sommes les premiers à être pour une société bilingue et intégrée, mais il faut aussi qu’on admette qu’après 50 ans de Statut d’autonomie nos langues sont en train de disparaître, remplacées par l’italien. Donc, nous sommes pour le bilinguisme mais contre ce bilinguisme qui se réalise au détriment de notre culture. Notre position, en tout cas, est nette depuis toujours. Nous, les jeunes Valdôtains, nous réclamons le libre choix d’une école entièrement valdôtaine, où la formation reflétera réellement notre spécificité culturelle.

 D’ailleurs, nous voulons aussi rappeler à tout le monde, que nous n’avons rien inventé de nouveau. En parcourant l’histoire récente de notre Mouvement, et, par exemple son programme électoral pour les éléctions régionales de 1983 ou même ses lignes d’action approuvées par le 2ème Congrès de 1984, nous avons retrouvé les mêmes principes et les mêmes idées : l’école valdôtaine et même la double filière. Et nous avons voulu vous les présenter dans le dossier, que nous vous avons distribué.

En conclusion, nous voulons rappeler à tous ceux qui nous ont traités d’extrémistes, de racistes et de “ petits Haider”, et qui craignent qu’on ne veuille diviser la Vallée d’Aoste, que personne ne veut diviser notre peuple, car notre but, hélas – et je dis hélas - , est simplement d’assurer sa survie, car il est de survie que l’on parle maintenant après 50 ans d’assimilation, et non pas d’épanouissement. Nous voulons rappeler à tous ces gens qui prêchent la liberté, que liberté signifie aussi accepter la diversité et les propositions de ceux qui la revendiquent.  Liberté, surtout, signifie ne pas empêcher qu’une proposition qui veut introduire une possibilité en plus dans ce système scolaire inefficace et aliénant pour notre culture, suive son cours. Un choix scolaire courageux, certes, mais qui pourrait finalement nous aider à remonter la pente et à retrouver un peu de dignité pour nos langues et notre culture. Une école qui n’a pas la prétention de remplacer l’école actuelle : bien évidemment, ceux qui sont satisfaits de l’école qui existe maintenant pourront tranquillement continuer leur lent parcours d’italianisation… Mais qu’ils nous donne, du moins, la possibilité de choisir et qu’ils n’aient pas la prétention de nous obliger à les suivre…      

                                                                                Merci.

 

Châtillon, 9 Février 2001