Le compte-rendu des conférences

 

 

Etablir en Vallée d’Aoste un point de rencontre privilégié pour les jeunes des minorités ethnolinguistiques : tel a été l’objectif de la Première Rencontre Internationale des Jeunesses Minoritaires, organisée par la Jeunesse Valdôtaine qui a accueilli à Pollein une quinzaine de délégations des minorités linguistiques européennes, des Catalans, des Trentins, des Sudtyroliens, des Jurassiens, des Basques, des Corses, des Savoisiens, mais aussi des représentants de la Vénétie.

Cette rencontre des Universités d'été - affirme l'animateur principal de la Jeunesse, Laurent Viérin - a pour but tout d’abord de permettre aux jeunes faisant partie des minorités de se connaître et ensuite d’échanger leurs vues et de comparer leurs expériences pour ouvrir un débat sur les projets à réaliser en commun dans le cadre d'une Europe qui nous pousse toujours plus à nous confronter. L'Europe est désormais une réalité. Née à partir de l'union de pays ayant une histoire, des traditions et une culture différentes, elle est en train de se développer tout en cherchant à respecter les différentes exigences nationales. Le propos, déclaré par la Commission européenne et rappelé à maintes reprises par le Président, M. Romano Prodi, est celui de donner de l'essor aux petites régions, qui méritent des attentions particulières puisqu'elles représentent des réalités ethnolinguistiques répandues depuis toujours dans ces Etats”.

 

Les thèmes du débat ont été nombreux, allant du respect des minorités au fédéralisme, à l’intégration culturelle. Les Universités d’été ont été ouvertes par le Président de l’Union Valdôtaine Auguste Rollandin qui a parlé du rôle de l’Union Valdôtaine dans la défense de l’identité valdôtaine. “Une identité qui est définie par la langue et la culture ainsi que par toute une longue histoire d'autonomie qui puise ses racines dans le Moyen-Âge. C'est dans cette longue tradition d'autonomie et d'auto- gouvernement que l'Union Valdôtaine s'insère pour promouvoir et défendre les intérêts de la Vallée d'Aoste et des Valdôtains, dans une période difficile pour la Vallée d’Aoste où il fallait reconstruire toute une société après les méfaits du fascisme, au fondement duquel il y avait la volonté d'anéantir l'identité et les spécificités des valdôtains”. Une identité qui est fortement liée aussi à la tradition d'une agriculture de montagne. “On ne peut en effet comprendre les Valdôtains sans comprendre la montagne. Ceux-ci  sont les aspects à la base de la politique de l'Union Valdôtaine qui hier étaient portés devant l'Etat italien et aujourd'hui devant l'Europe. Et là c'est beaucoup plus difficile car les chiffres de l'union européenne sont impressionnants: il y a 350 millions d'habitants et l'effort est donc celui de faire comprendre qu'il est important de valoriser les petits nombres. Le travail est de faire reconnaître ce principe à la base de l'Union européenne, de faire comprendre que l'Europe n'est pas seulement la plaine, mais aussi la montagne, qui est une notion qui a pendant longtemps été oubliée par l'Union européenne. La voie maîtresse pour cela est que chaque région puisse avoir un représentant pour mieux faire passer le message”.

Le professeur Roland Breton, Professeur émérite de géographie à l'Université de Paris VIII, a introduit la problématique minoritaire en rappelant la nécessité de sauvegarder les caractères identitaires, dont la péculiarité est l'appartenance linguistique qui doit être préservée et valorisée dans un monde actuel où malheureusement beaucoup de langues sont menacées. “Il faut que chacun lutte pour défendre la langue, même si la perte d'une langue ne signifie pas en soi-même la perte de l'identité. La langue est donc un signe d'identité même si elle est en voie d'éclipse”.

Des constituants essentiels de l'identité sont aussi le cadre géographique et naturel qui contribue à la formation de véritables “sociétés distinctes”, à savoir “une communauté humaine fondée sur un territoire donné avec une culture propre généralement fondée sur une langue et qui soit arrivée à un moment historique défini à  un statut prévoyant la possibilité de l’autodétermination”.

Le rôle des minorités dans la construction de l’Europe a été abordé par le Président du Conseil de la Vallée Robert Louvin, qui a rappelé que “dans l’Europe de demain, les minorités seront de plus en plus importantes, peut-être même décisives pour l’essor de l’Europe. L’élargissement aux pays de l’Europe centrale et orientale nous amènera à intégrer dans notre espace continental des dizaines de minorités qui se trouvent, entre les frontières actuelles de l’Union européenne et la Russie, dans une concentration formidable. C’est, suivant de quel côté on veut regarder ce genre de phénomène, un baril de poudre ou une chance extraordinaire: tout dépendra de la façon dont ce problème de la vie en commun, le « zusammen leben » entre les différentes communautés, sera abordé”.

Les revendications des nationalités et des minorités peuvent donc être une chance pour l’Europe “puisqu’elles remettent en cause le rôle de l’Etat, relevant jadis trop d’une conception absolue du pouvoir pour placer plutôt au service des citoyens en le transformant en un instrument de la communauté nationale” .

le député Lucien Caveri, en Intervenant sur les problèmes liés à l’application de la Charte européenne des langues minoritaires, le député Lucien Caveri a rappelé l’importance du fondement juridique du droit des minorités linguistiques, “même si à ce propos le Droit international n’est pas suffisant pour protéger les minorités linguistiques puisqu’il est géré par les Etats, ce qui comporte toute une série d’ambiguïtés ”. Pour ce qui est de la Charte européenne des langues minoritaires, il s’agit de la tentative de passer “de la tutelle des droits des individus (par la Convention européenne des droits de l’homme) à la tutelle des Communautés. Il est à ce propos important de souligner que la Charte protège les langues et non les minorités :   il s’agit, bien sûr, du document le plus important pour les langues minoritaires, mais il n’y a pas de mesures du point de vue de la défense des minorités, contraignantes pour les Etats qui ratifient la Charte, et il n’y a même pas de liste des langues à protéger, demandant la définition aux Etats membres, tout comme il manque aussi une définition même de minorité linguistique”.

Le cadre pour le futur est celui d’avoir une réelle protection des minorités. “ A l’intérieur de l’Union européenne les questions minoritaires ne semblent pas  les plus importantes, vu que le but de l’Europe est plutôt celui d’une coopération économique et même le principe de la subsidiarité, prévu par le Traité de Maastricht, est un principe qui s’applique aux Etats-Nations. Une grande possibilité s’ouvre maintenant avec le débat sur les réformes des institutions européennes. Une étape importante à ce propos est constituée par le Sommet qui se déroulera à Nice au mois de décembre prochain, qui devra approuver la Charte des Droits fondamentaux, qui deviendra une partie intégrante du Traité de Rome. Nous sommes en train, en collaboration avec l’intergroupe des langues régionales et minoritaires au sein du Parlement européen, d’insérer la notion de liberté linguistique dans les droits. Cela bien sûr ne suffit pas et il faudrait aussi que le Droit international, qui aujourd’hui tend à garder la souveraineté des Etats existants, prévoie le principe de l’autodétermination. La clef qui peut permettre l’existence de l’Europe pacifique dans la reconnaissance des différences est bien sûr le fédéralisme, qui permettrait l’existence des rapports internationaux différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui, dans un cadre de collaboration et de respect réciproques”.

Après la présentation de l’activité de l’Alliance Libre Européenne au sein du Parlement Européen par Etienne Andrione, qui a été pendant deux ans vice-président de l’ALE,  c’est le professeur Stéphane Pierre-Caps, directeur de l’I.R.E.N.E.E., professeur à la faculté de droit, sciences économiques et gestion de l’Université de Nancy, qui a pris la parole pour traiter des problèmes liés aux minorités, soutenant quant à l'organisation de l'Etat “combien il y a de  contradictions, si l’on en juge par le fait, par exemple, que les minorités vivent dans des Etats dont elles ne reconnaissent pas nécessairement les éléments de stabilité politique, autrement dit, les minorités ne se sont pas tout à fait intégrées dans un Etat qui n'est pas le leur, ou bien qu'elles estiment ne pas être le leur. D'un autre côté, l'Etat qui représente une culture dominante, une Nation majoritaire, se méfie des minorités car il estime que les minorités ne lui veulent pas forcément du bien et oeuvrent plus ou moins pour la remise en cause des structures de l'Etat. Alors, on se trouve clairement dans une situation  où chacun se méfie de l'autre; le problème est de savoir comment en sortir dans le monde tel qu'il est. C'est-à-dire, un monde qui se trouve dominé, depuis quatre ou cinq siècles, par une forme d'organisation politique qui s'appelle Etat- Nation: un Etat qui s'efforce de réaliser la coïncidence parfaite de la Nation et de l'Etat, c'est une structure politique qui travaille à l'uniformisation, à l'unification de la communauté humaine qui vit dans l'Etat.

Les juristes traduisent cela par une formule assez significative: l'Etat est la personnalisation juridique de la Nation. Une Nation composée de l'ensemble des citoyens, des individus et où entre les citoyens et l'Etat il n'y a rien. Chacun de nous est isolé, seul face à l'Etat centralisateur et unificateur. La Nation c'est un truc imaginé par plusieurs penseurs au début de la Révolution française: une conception rationaliste qui permettait d'abattre la souveraineté monarchique du Roi Divin et de lui opposer un nouveau principe de légitimité. C'est une idéologie qui justifie la lutte contre le despotisme de la monarchie et qui permet de lui opposer un système libérateur, mais aussi unificateur. C'est une organisation politique qui rencontre l'adhésion, mais va niveler les peuples. Les Etats de l'Europe centrale et orientale adhèrent à ce modèle d'Etat-Nation  à la française. Ce modèle aujourd'hui est remis en cause par différents facteurs: la mondialisation et la globalisation économique et  politique. Les Etats exercent des fonctions valables qui se traduisent en termes de sécurité des individus et c'est la raison pour laquelle il faut réfléchir à une forme d'organisation politique qui ne se débarrasse ni de l'Etat  ni de la Nation parce que ces sont des concepts très opérationnels aujourd'hui. Enfin, M. Pierre-Caps  met l’accent sur le fait que les minorités “ont vraiment un rôle essentiel à  jouer parce qu'elles peuvent être à la source d'une nouvelle organisation politique, d'une nouvelle forme de rapport entre l'Etat et la Nation.

Le débat s’est conclu par l’intervention du président du Gouvernement valdôtain Dino Viérin qui a illustré la contribution de taille que les régions sont appelées à apporter dans le cadre du progrès de l’intégration européenne  qui a vu le marché commun hier, la monnaie unique aujourd’hui et qui est appelée à soutenir les défis de l’élargissement demain. Dans ce processus de construction de l’Europe nous nous rendons compte que les Etats-Nations sont devenus trop petits et trop grands. Trop petits pour résoudre à eux seuls des problèmes qui relèvent d’une économie désormais globalisée et trop grands pour répondre efficacement aux exigences des citoyens. Nous avons donc assisté ces derniers temps – explique-t-il - à un processus de décentralisation en faveur d’institutions locales toujours plus autonomes. Les régions ont donc besoin de l’Europe qui est le signe le plus évident de la crise de l’Etat, mais l’Europe aussi a besoin des régions pour se consolider et s’affermir en vue des défis qui l’attendent comme la réforme des institutions européennes et l’élargissement aux pays de l’Est ».

                Les Universités d’Eté de la Jeunesse Valdôtaine ont donc animé trois jours d’un riche débat permettant d’effectuer un tour d’horizon complet sur la réalité valdôtaine et sur les stratégies que les jeunesses minoritaires européennes sont censées porter de l’avant pour contribuer à la construction d’une Europe vraiment respectueuse de toute spécificité.

Des propos qui ont été retenus dans le document final voté par les délégations, où les jeunesses minoritaires demandent au Parlement européen de s’engager pour que « soient respectés tous les droits de toutes les minorités - y compris et surtout ceux linguistiques - afin de bien montrer qu’il s’agit véritablement d’une nouvelle phase dans la construction de l’Unité de notre Continent qui va commencer.

 

Eleonora Preti