MAURO BERGAMIN (VENETI D’EUROPA) A PROPOS DE LA
« RENCONTRE INTERNATIONALE DES JEUNESSES MINORITAIRES » 2000
Bravo ! Que voulez-vous que je vous
dise ? Les membres de la Jeunesse Valdôtaine ont eu une idée
formidable : organiser une rencontre entre les jeunes autonomistes
européens et, qui plus est, ils ont su la mettre en pratique admirablement.
C’est l’enthousiasme de connaître des jeunes gens provenant d’autres pays, qui
se battent pour les mêmes idéaux, c’est un débat fort intéressant avec la
participation d’illustres intervenants, et puis faire la fête ensemble… Bravo à
tous !
Ce qui s’est dégagé clairement de ces journées, me
semble-t-il, c’est l’importance des liens d’étroite collaboration qui ont pu se
nouer entre les différents groupes autonomistes européens : pour ne citer
qu’un seul exemple, ces jours-ci, puisque nous ne disposons pas de
parlementaires européens, nous ne serions jamais parvenus à transmettre au
Parlement européen un document en faveur des « Serenissimi » (les
célèbres libérateurs du campanile de Saint-Marc de Venise, en 1997), qui sont,
hélas, toujours poursuivis par la justice italienne.
Ce qui m’a frappé par-dessus tout, outre
l’organisation impeccable, c’est l’ouverture d’esprit des jeunes intervenants
et leur besoin d’échanges. Cela fait vraiment chaud au cœur de voir de ses
propres yeux des jeunes gens, appartenant à des peuples aussi différents, qui
consacrent tout leur temps à leur pays et à leur concitoyens et ce, malgré les
difficultés de chaque jour.
Se rencontrer, s’entraider, ce n’est pas seulement
apprendre par l’expérience d’autrui, c’est aussi réaffirmer ses revendications,
leur donner un nouvel essor européen.
On a parlé de la possibilité de présenter, un jour
ou l’autre, des listes transfrontalières aux élections européennes : cela
pourrait représenter pour nous tous un challenge très intéressant. J’ai perçu
également – et j’ai beaucoup apprécié – une vision politique véritablement
autonomiste partagée de tous et bien ancrée dans les esprits, une vision
ouverte à la coopération mais fidèle au principe « maîtres chez
nous ». C’est là un modèle européen de coopération politique, voué à un
bel avenir.
Dans la Vénétie, s’il est vrai que les groupes
« autonomistes » sont très nombreux, ils sont tout de même de plus en
plus restreints et de plus en plus en conflit les uns avec les autres. La
preuve en est que, lors des dernières élections régionales, la population
vénitienne s’est rangée à 90 % du côté des deux pôles italiens. Pour que la
« question vénitienne », liée jusqu’à présent à l’image un peu rustre
et fanfaronne de la « Lega Nord », puisse se forger une dimension
nouvelle et gagner en dignité, j’estime de la plus haute importance le fait que
les « Veneti d’Europa » s’appuient entièrement sur les mouvements
autonomistes, représentés au sein des institutions européennes, qui sont
appréciés et respectés à l’échelon international et qui ont su donner à leurs
concitoyens des réponses valables et concrètes.
Du point de vue culturel, et non seulement
politique, j’estime que notre mouvement est à même de faire passer deux notions
majeures, des notions applicables, à notre avis, à tout mouvement autonomiste,
quoique dans des proportions différentes : faire comprendre aux jeunes que
la Liberté et le Bonheur ne sont pas des valeurs que l’on peut atteindre par
ses propres moyens, comme la mentalité la plus courante voudrait nous le faire
croire. L’idée, assez répandue, selon laquelle la globalisation entraîne
forcément l’uniformisation des us et coutumes, et, par-là même, l’obligation
pour tout le monde de se cantonner dans la sauvegarde de ses propres biens est,
à notre sens, dénuée de tout fondement. Tout seul, peut-on être libre et
heureux, sans le soutien d’une communauté qui partage les mêmes valeurs, la
même sensibilité et la même façon de communiquer ?
Il est évident que tout individu a besoin d’un
habitat sur mesure, que ce soient ses amis, sa famille, son quartier, son école
ou sa ville : la protection de la culture, de la langue et des traditions
locales sert justement à maintenir un milieu où il fait bon vivre et dans
lequel chacun se sente chez soi. Ainsi, conscients de nos propres racines,
pouvons-nous regarder le monde avec joie et curiosité. La devise de notre
mouvement (empruntée à la publicité de la Clio!!) est « le monde est ma
ville, la Vénétie ma maison ». La sauvegarde de la culture locale ne
constitue pas pour nous un frein à l’intégration européenne et mondiale, bien
au contraire, elle est la condition nécessaire pour que ce processus se fasse
au profit de l’homme et pas seulement du grand marché des consommateurs.
Contrairement à ce que beaucoup de jeunes pensent, la communauté dans laquelle
on vit sert heureusement d’intermédiaire entre l’individu et le monde en
général. C’est un peu comme l’ozone pour l’atmosphère ! Et plus cette
communauté est forte, plus elle laissera parvenir jusqu’à nous les effets
bénéfiques de l’échange interculturel, et permettra d’enrayer cette crise des
valeurs et des points de repères qui s’est avérée dramatique pour certaines sociétés.
2) Il faut par ailleurs faire passer dans notre
société ce message : il est juste de destiner des aides publiques à la
sauvegarde des langues et des cultures locales et ce, sous toutes les formes
possibles, notamment à travers les médias. Il ne s’agit pas là de gaspillage ni
d’utilisation d’argent public à des fins politiques, mais d’une démarche
capitale susceptible d’assurer aux gens la liberté de choix.
Charles Taylor, professeur de sciences politiques
au Québec écrit :
« Plusieurs courants de la politique
contemporaine mettent au centre de leur engagement le besoin – et parfois la
demande – de reconnaissance (…) et dans la politique actuelle cette demande se
manifeste de différentes manières, en faveur de la défense de groupes
minoritaires ou assujettis. (…) Notre identité est forgée par la
reconnaissance, la non-reconnaissance ou bien encore la méconnaissance des
autres, ce qui peut apporter un dommage réel à un individu ou à un groupe
d’individus, si les personnes ou la sociétés qui l’entourent lui renvoient, tel
un miroir, une image de lui qui le limite, le diminue ou l’humilie ».
Et d’ajouter, en se rapportant au cas
nord-américain :
« Le mépris que les Noirs éprouvent envers
eux-mêmes devient l’un des plus puissants moyens de leur oppression ; il leur
revient donc, au premier chef, de se défaire de cette identité destructrice
imposée de l’extérieur ».
Nous souhaitons que l’Europe des régions amène les
Etats à mettre en œuvre les outils adaptés, tant du point de vue quantitatif
que qualitatif, en vue de défendre les identités locales. Il est inacceptable,
par exemple, que des médias capables de redéfinir la perception de la réalité
de chaque individu, soient presque exclusivement gérés suivant des critères qui
ne tiennent pas compte de la culture et des exigences des différents peuples
(voir, en revanche, le cas de la BBC, qui dispose d’une chaîne spécifique pour
l’Ecosse).
Il ne s’agit donc pas d’étroitesse d’esprit, mais
d’une politique de la différence, où le maintien de certaines valeurs n’affecte
pas ceux qui ne les partagent pas, mais vise à défendre des choix de vie
davantage liés à la tradition, qu’il serait probablement difficile d’opérer
dans un marché culturel libre.
Merci encore à la Jeunesse Valdôtaine pour ces
journées magnifiques et un grand « ciao » à tous !
A propos, le saviez-vous que « ciao »
vient de l’ancienne expression vénitienne « s-ciao vostro » (= votre
esclave) ?
Movimento Giovanile dei Veneti
d’Europa
Mauro Bergamin