BOLLETTINO N° 5 - MAGGIO 2000


Ecole Dispersée de Santé Européenne

Cher(e)s ami(e)s,

Je me permets d'adresser ce document à qui me semble pouvoir l'entendre et
notamment aux membres de l'Association Française de Réduction des Risques
(AFR) et de l'Ecole Dispersée de Santé Européenne (EDSE). Pour ces derniers,
en effet, ce dont il est question tombe en plein dans la préparation du
prochain colloque de Berlin  du 31/5 au 4/6 2000 (voir rappel à la fin).
Amitiés
Jean Carpentier

- Note personnelle pour Renato di Michele :
. C'est dans le livre IV des Lois, 720 (abcde), que Platon compare la
médecine des hommes libres et celle des esclaves. C'est ce qui nous avait
conduit à penser que nous travaillons tous aujourd'hui dans l'ordre de la
médecine des esclaves...
- Notes pour l'AFR :
. merci de répandre le plus largement possible auprès des médecins
généralistes et des pharmaciens la brochure intitulée "accueillir et prendre
soin d'un usager de drogues en médecine de ville" (la commander à la MILDT,
10 place des Cinq Martyrs du Lycée Buffon, 75506 Paris Cedex 15) en
précisant bien le titre et le nom de l'auteur). C'est, entre autre, un bon
moyen pour calmer le jeu et mobiliser en rappelant à la primauté de la
clinique.
. "Des toxicomanes et des médecins", tel est le titre du livre rassemblant
47 cas cliniques discutés aux trois rencontres REPSUD-ECIMUD 97, 98, 99. Il
va sortir d'ici quinze jours. Je vous tiens au courant.

* * *

LE SCIENTISME NE PASSERA PAS !

Il y a une idée à faire entendre à ceux qui voudraient bien faire de
l'humanisme, à condition qu'il ne coûte pas trop cher : ce que les médecins
font, en s'appuyant sur l'idée de la "réduction des risques", ne relève pas
de l'humanisme mais de la science et, plus exactement de "l'art médical".
L'homme que nous avons devant nous est "un". Il est fait inséparablement
d'objectif et de subjectif (tout agit sur tout et réciproquement) : tel est
notre modèle de référence qui n'est réductible, ni à la science, ni, a
fortiori, à une bureaucratie tatillonne. Un être humain, ça vit, ça souffre,
ça parle et quelquefois ça hurle, et c'est un tel être que nous sommes
mandatés par la communauté d'aider à cheminer d'une façon vivante.
L'art médical se réfère à la science car il ne peut qu'assumer un désir de
maîtrise de la maladie ; formellement d'ailleurs, telle est la demande de la
collectivité. Mais le soignant n'est pas dupe : d'expérience, il apprend
vite que seul le malade peut éventuellement maîtriser. De son côté, le
soignant, ne peut que mettre à la disposition du malade une oreille
attentive et solidaire, et, pour gagner du temps, quelques instruments (les
médicaments de substitution par exemple).
C'est la raison pour laquelle nous défendons cet espace de liberté de parole
et d'acte que constitue l'espace du soin (lieu et temps) : il garantit
l'écoute réciproque et l'articulation vivante du normal et du pathologique.
... Nous pouvons exiger des représentants du "normal" qu'ils nous parlent
poliment. D'où le texte qui suit. (PS : il ne se veut pas polémique.)

* * *

TOXICOMANIE

À PROPOS DE QUELQUES PROCÉDURES EN COURS


Il y a quelques mois, en Seine-et-Marne, Mme X., médecin généraliste, était
mise en examen par un juge pour entretien de la toxicomanie de ses patients,
voire pour trafic de stupéfiants. Hier, dans l'Hérault, Mme Y.,
pharmacienne, liée au réseau local de ceux qui soignent les patients
toxicomanes, poursuivie par la Sécurité Sociale pour quelques délivrances
non réglementaires de médicaments opiacés, était interdite d'exercer pendant
huit mois par le Conseil de l'Ordre Régional des Pharmaciens. Elle a fait
appel de cette décision et doit passer bientôt devant la juridiction
nationale de son Ordre. Aujourd'hui, dans les Hauts-de-Seine, Mr Z., médecin
généraliste, également poursuivi par la Sécurité Sociale pour quelques
"débordements", doit être bientôt convoqué devant la juridiction régionale
de l'Ordre des Médecins.
Certes les médecins et les pharmaciens sont des gens comme les autres, et on
ne voit pas pourquoi il n'y aurait pas de délinquants parmi eux. Mais la
question, ici, est d'un autre ordre : il concerne la mise en application
d'une politique.
Pour les trois affaires sus-citées, à lire les documents afférents, on peut
se dire que tous ceux qui, sérieusement, soignent des patients
pharmaco-dépendants peuvent, un jour ou l'autre, se trouver dans le même
cas. C'est assez angoissant pour les praticiens de la santé et, en
conséquence, contre-productif au regard d'une politique qui les appelle à se
mobiliser. Il y a là un double appel ("dubble-bind") qui revient à dire
"mettez-vous au travail, mais on vous attend au tournant !" Ceci ne convient
guère au développement d'une politique. Il ne s'agit pas de crier par avance
à l'injustice. En effet, dans une société démocratique le Tribunal est l'un
des lieux où l'on peut répondre de ses actes et les argumenter. Mais ceci
est une vision de principe, il faudrait avoir le coeur bien accroché pour
passer sa vie au tribunal et on peut sans doute imaginer des procédures plus
souples... D'où les quelques remarques qui suivent.
Précisons pour commencer que les trois médecins et pharmaciens en question
répondent à l'appel d'une politique de santé publique. On nomme cette
dernière "politique de réduction des risques" dans la mesure où elle a, pour
premier objectif, la survie des malades et pour second leur guérison. C'est
l'aboutissement d'un débat de près de dix ans qui a vu s'affronter, en
matière de toxicomanie à l'héroïne, les tenants de la prescription au long
cours de médicaments apparentés à la morphine et ceux qui s'y refusaient
violemment. Face aux anciennes pratiques, les premiers ont fait valoir des
résultats positifs (dans l'ordre de la survie, de la réinsertion et même de
la guérison) et leur façon d'agir a été adoptée.
Souligner que la pratique d'une aide au soin par la substitution opiacée
relève d'une politique, c'est dire qu'il ne s'agit pas seulement de la
réglementation d'une "offre" de soins. Les soignants ne s'offrent pas
simplement à soigner, ils vont chercher les gens là où ils sont, et plus
exactement là où ils en sont. Prenons une image simple : quand un imprudent
se noie et appelle au secours, nous pouvons, de la rive, nous offrir à lui
apprendre à nager. Ce qu'il advient est écrit d'avance. Nous pouvons
également aller le chercher ; dans ce cas, bien sûr, il vaut mieux savoir
nager, mais n'est-ce pas l'une des premières qualités du soignant ? Quoi
qu'il en soit, le soignant se "mouille", dans tous les sens du terme,
d'autant plus qu'affolé, l'imprudent se débat et il est bien difficile de
regagner la terre ferme avec lui. Il va sans dire que la communauté s'est
ralliée à la deuxième solution, mais le professionnel de santé nage plus ou
moins bien ; quant à celui qui se noie il est plus ou moins tendu et apte à
collaborer avec qui essaie de le tirer de là...
Cette politique - se donner le maximum de moyens pour éviter la mort d'une
partie de notre jeunesse - est un choix, y compris sur le plan de
l'investissement financier. Il est préférable d'en parler plutôt que de
jouer l'innocence humanitaire. Certaines données récentes étonnent même les
partisans de cette politique. À Strasbourg, Nice, Le Havre, Rennes et Paris
notamment, portant sur plusieurs milliers de patients, des études ont été
réalisées à la Sécurité Sociale à partir des remboursements. Elles montrent
que pour l'essentiel tout se passe d'une manière très satisfaisante : 90 à
95% des patients ne voient qu'un seul médecin prescripteur, vont chez le
même pharmacien, et prennent des doses correspondant à leurs besoins réels.
Si l'on veut bien admettre que les débuts de traitement médicamenteux sont
rendus difficiles, par les aspects délinquanciels qui perdurent et par les
incertitudes du patient quant à son désir de sortie de la dépendance, on
conviendra du caractère encourageant de ces résultats (ici, sur plus de 4000
personnes 27 cas relèvent du petit banditisme le plus banal, là on en
découvre 2 sur plus de 400 personnes).
Ces études valident la politique engagée.
Les cas litigieux, sont trop marginaux, pour qu'il soit raisonnable de les
agiter comme des épouvantails, y compris au plan économique ; pour 2 à 5% de
"marché noir" et de "nomadisme" faudrait-il nous démettre ? Au regard de la
réalité de l'équilibre budgétaire de la Sécurité Sociale ces cas s'avèrent
dérisoires. Par contre, au regard de la survie de milliers de jeunes gens,
une telle démission serait meurtrière. La peur n'évite pas le danger.
Ceci ne nous empêchent pas de prendre acte des dérives.
Plus que partout ailleurs dans le domaine de la pathologie, répondre à la
demande de soin d'un patient pharmaco-dépendant est difficile. Ici très
fortement s'applique ce que disait Jacques Lacan du malade en général, à
savoir qu'à son insu, il ne demande pas la guérison mais l'autorisation
d'être malade. En matière de toxicomanie, entre le moment où le "peut-être
futur patient" vient faire sa première demande et le moment où le "désormais
patient" s'inscrit uniquement dans le registre du soin, il se passe un temps
(plusieurs mois ou années) long et coûteux aussi bien sur le plan
énergétique que sur le plan financier.
Certes, pour le médecin, il y a des repères théoriques utiles, des
protocoles de soin issus des statistiques, mais il y a d'abord le réel de la
personne qui s'adresse à lui ; il y a d'abord ce qui est faisable en
fonction des ciconstances et de la situation. Cette dernière ne se traite
pas au scalpel, sur ordre. Le soignant fait avec qui est devant lui et ce
n'est jamais une abstraction. Au lieu de lui intenter des procès, ne
pourrait-on lui tendre la main ? Si le sauveteur se noie, que des collègues
viennent le soutenir, chercher des solutions avec lui, prendre en charge un
patient qui le met en échec, etc. C'est, en principe, l'une des raisons
d'être des "réseaux".
Mais, pour l'heure, les choses se passent autrement. Ainsi, dans un cas qui
est censé charger le Dr Z., on peut lire : "De plus, entre le 15 mars 1998
et le 18 mars 1999, 18 consultations ont été réalisées et facturées par le
Dr Z., soit une moyenne de une consultation tous les 20 jours environ." Or,
ce que le clinicien averti pourrait reprocher au Dr Z, c'est de ne pas avoir
réalisé et facturé une consultation par semaine. Conclusion du
médecin-conseil - il faut la lire en sachant que le patient ne s'est pas
présenté à deux convocations successives ; il ne le connait donc pas - :
"L'état de ce patient, sans autre traitement et n'ayant pas fait l'objet
d'une demande de longue maladie ne nécessitait pas ce rythme de
consultations. Griefs retenus : abus de prescriptions, thérapeutique
potentiellement dangereuse, abus d'actes." En somme, sur le terrain le
soignant est pris dans le labyrinthe du réel, tandis que, de son côté, le
gestionnaire reste prisonnier d'une fiction.
Il est urgent d'imaginer des modes de relation entre le terrain et la
gestion qui ouvrent sur de l'entraide et non sur un anéantissement
réciproque. On ne peut avancer vers la rigueur que par une mobilisation
générale des professionnels de santé. La peur n'est pas l'instrument d'une
mobilisation.

* * *

RAPPEL : GESUNDHEITSTAG 2000 - BERLIN, DU 31 MAI AU 4 JUIN

Les organisateurs de cette rencontre, sont heureux de nous accueillir et
nous proposent d'animer avec nos amis allemands, pendant une après midi, un
forum sur ce thème que nous ruminons depuis un certain temps déjà : la
défense, sinon la reconquête de l'espace de liberté que constitue le lieu et
le temps du soin. Nous nous sommes rencontrés à Osnabrück Beate Schücking,
Clarisse Boisseau et moi. Voici, traduit d'une façon hative et parcellaire
avec l'aide d'une patiente du cabinet, l'annonce qui paraîtra dans le
programme du Gesundheitstag :

Aufwiegelung zur therapeutischen freiheit

Forum international animé par les membres de l'EDSE sur l'importance de la
liberté thérapeutique dans toute situation et rapport de soins, en médecine
générale, à l'hôpital ou en clinique.
Quelles sont les limites sur les plans économique, idéologique ,
individuel ? Existe-t-il des solutions pour dépasser ces limites ?
Les conditions réglementaires des systèmes de santé européens se
différencient de moins en moins. Les cadres privilégiés sont de plus en plus
légiférés.
Il s'agira de discuter et d'apprendre les uns des autres. C'est un forum qui
s'adresse aux professionnels de santé qui s'ouvrent à de nouveaux champs de
réflexion, indépendamment de leurs spécialités. Il n'est pas réservé aux
francophones et nous tenterons de communiquer avec l'aide de traducteurs bi
ou trilingues.
Outre son inscription, il est recommandé d'envoyer le plus tôt possible des
textes préalables par email à Beate Schücking :
beate.schuecking@rz.uni-osnabrueck.de
Il est demandé d'en avertir en même temps le secrétariat latinophone :
jcarp@wanadoo.fr (courriers et appels téléphoniques ne sont pas interdits).

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