BOLLETTINO N° 5 - MAGGIO 2000


Ecole Dispersée de Santé Européenne

E D S E
Bulletin intérieur. Numéro spécial du 5 avril 2000



GESUNDHEITSTAG 2000

BERLIN, DU 31 MAI AU 4 JUIN

Les organisateurs de cette rencontre, sont heureux de nous accueillir et
nous proposent d'animer avec nos amis allemands, pendant une après midi, un
forum sur ce thème que nous ruminons depuis un certain temps déjà : la
défense, sinon la reconquête de l'espace de liberté que constitue le lieu et
le temps du soin. Nous nous sommes rencontrés à Osnabrück Beate Schücking,
Clarisse Boisseau et moi. Voici, traduit d'une façon hative et parcellaire
avec l'aide d'une patiente du cabinet, l'annonce qui paraîtra dans le
programme du Gesundheitstag :

Aufwiegelung zur therapeutischen freiheit

Forum international animé par les membres de l'EDSE sur l'importance de la
liberté thérapeutique dans toute situation et rapport de soins, en médecine
générale, à l'hôpital ou en clinique.
Quelles sont les limites sur les plans économique, idéologique ,
individuel ? Existe-t-il des solutions pour dépasser ces limites ?
Les conditions réglementaires des systèmes de santé européens se
différencient de moins en moins. Les cadres privilégiés sont de plus en plus
légiférés.

Il s'agira de discuter et d'apprendre les uns des autres. C'est un forum qui
s'adresse aux professionnels de santé qui s'ouvrent à de nouveaux champs de
réflexion, indépendamment de leurs spécialités. Il n'est pas réservé aux
francophones et nous tenterons de communiquer avec l'aide de traducteurs bi
ou trilingues.

Outre son inscription, il est recommandé d'envoyer le plus tôt possible des
textes préalables par email à Beate Schücking :
beate.schuecking@rz.uni-osnabrueck.de

Il est demandé d'en avertir en même temps le secrétariat latinophone :
jcarp@wanadoo.fr (courriers et appels téléphoniques ne sont pas interdits).

Le supplément du bulletin intérieur daté du 3 février dernier apportait déjà
quelques arguments pour ce forum. Vous trouverez, ci-dessous, un exposé qui
en apporte d'autres. Merci de vos nouvelles.

Jean Carpentier

*  *  *

Coloquios del sur (Séville/Cordoue 30 octobre-5novembre)
Politique et santé et/ou politique de santé

L'ESPACE DU SOIN COMME ESPACE DE LIBERTÉS

Bernard Cassou, médecin hospitalier, enseignant en médecine
École dispersée de santé européenne (EDSE, Paris)

1ère idée :
- La pratique soignante se développe dans un espace dit du soin.
2ème idée :
- L'enjeu des réformes, actuellement en cours en France, dans le système de
soins est de restructurer cet espace.
3ème idée :
- Il importe de faire évoluer cet espace afin qu'il devienne un lieu de
liberté pour les personnes.
4ème idée :
- L'espace du soin devient un espace de liberté lorsque les décisions sont
élaborées avec le patient et que sa singularité est prise en compte.

La pratique médicale est en pleine évolution en France. L'encadrement des
prescriptions, la création de médecins référents, la fermeture de services,
notamment de maternités ou le vote d'une enveloppe financière par le
Parlement chaque année, toutes ces réformes modifient la pratique médicale
en agissant sur l'espace du soin.
Nous entendons par espace du soin l'ensemble des lieux où se déroule la
rencontre entre une personne, sa maladie et celle qui prétend la soigner.
Cet espace est privé et public. Il est régulé, par les codes familiaux,
culturels et par les lois de la société (code de déontologie par exemple).
Il a, ainsi, plusieurs dimensions, universelles (scientifiques),
particulières (sociétales) et singulières (individuelles). Il est, enfin,
plus ou moins limité, se contractant ou se dilatant, selon les époques et
les pays.
La question est de savoir comment les réformes actuelles (ou plutôt les
restructurations) et les politiques de santé modifient l'espace du soin et
entravent ou non la liberté des patients. Un retour historique est
nécessaire pour comprendre la construction de l'espace du soin et les forces
qui tendent à le réduire.
La pratique médicale dite scientifique s'est construite en réduisant
l'espace du soin. Hippocrate en écartant les pratiques magiques et en
proposant une approche rationnelle du malade a réorganisé cet espace. Mais
le changement le plus important est survenu au XIXème siècle lorsque
Magendie (1789-1855), puis son élève Claude Bernard ont évincé du champ de
leur investigation le malade. L'espace du soin se réduit à l'espace de la
maladie.
En 1861, en France, c'est une épreuve de physique qui a remplacé celle de
philosophie lors de l'examen préliminaire pour le futur étudiant en
médecine. Cette contraction de l'espace du soin est lié à la logique
d'objectivation sur laquelle s'est fondée le savoir clinique, notamment
hospitalier. Il constitue ce que l'on appelle de nos jours "l'evidence-based
medicine" . C'est la dimension universelle des soins qui est privilégiée. La
liberté du patient est réduite à son observance ou non des prescriptions et
des recommandations. Cette conception se prête à une approche administrative
des soins.
La montée des maladies chroniques, qui se substituent aux maladies
infectieuses dans la deuxième moitié du XXème siècle, est à l'origine d'une
nouvelle logique de soins (qui n'est pas contradictoire avec la précédente).
On assiste à une réorganisation de l'espace du soin qui concerne les
relations entre le malade, le soignant et la maladie. Le soin glisse,
progressivement, d'une prise en charge du patient par le soignant, dans le
cadre d'un affrontement à la maladie, à une coopération entre les deux
protagonistes autour d'une gestion de la maladie. Dans cette approche, la
personne, dans sa singularité et sa globalité, est l'objet d'attention des
soignants (ce que certains appellent la "narrative-based medicine ". La
liberté du patient est accrue dans la mesure où le soin consiste à lui
donner ou à élargir ses marges de manoeuvre. Il s'agit d'accroître ses
degrés de liberté. Cette conception ne se prête pas à une approche
normative.

L'un des enjeux des réformes est de maîtriser les fondements de la décision
médicale. "L'evidence-based medicine" risque de conduire à l'exercice d'une
médecine sous contrainte si elle est mal assimilée. Dans cette conception
des soins, le système de soins diffuse des directives sur les conditions
optimales de prodiguer les soins aux patients. Le degré de soumission des
médecins aux directives devient l'indicateur de choix pour envisager, entre
autres, la rémunération des praticiens. Dans cette conception des soins, les
"bons" soins sont ceux qui ont fait la preuve de leur efficacité lors
d'essais randomisés ou qui ont obtenu un consensus chez les experts. La
nécessité médicale de soigner glisse des soignants aux gestionnaires des
soins (qui poursuivent selon les systèmes de soins l'équilibre des comptes
ou le profit).
En fait la décision de soigner relève de plusieurs sources qui ne peuvent
être réduites aux deux précédentes (essais randomisés et opinions
d'experts). L'expérience du soignant et l'avis du patient sont des sources
plus importantes que les deux précédentes lorsque l'on privilégie la
dimension singulière de l'espace du soin. Une "bonne" décision dans cet
espace, est une décision médicalement nécessaire (de la responsabilité du
médecin), raisonnable (qui découle de l'échange entre le soignant et le
patient) et qui s'applique spécifiquement à un patient donné (qui est du
ressort du patient). Par exemple, on peut juger médicalement justifié de
prescrire un repos à un lombalgique, raisonnable de conseiller un arrêt de
travail et laisser l'appréciation de la durée de cet arrêt au patient compte
tenu de son vécu professionnel.
Dans cette conception, la pratique soignante consiste, entre autres, à faire
accéder le patient à des espaces de choix qui permettent l'expression de sa
liberté, de son autonomie. C'est, dans cette mesure, que la maladie peut
être envisagée comme une condition de la santé. L'évaluation des retombées
de cette approche repose sur l'évolution à moyen et long terme de la vie des
patients et non sur les résultats intermédiaires, à cour terme, des soins
prodigués.
Privilégier la dimension singulière de l'espace du soin, développer une
pratique soignante qui favorise l'autonomie des patients et évaluer leurs
trajectoires nous paraissent des éléments que devraient prendre en compte
toute réforme du système de soins qui prétend réformer ce dernier dans
l'intérêt de la population.


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