Jean-Baptiste Picy

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Walter Pater, Platon, le Platonisme







Music resembles poetry, in each
Are nameless graces which no methods teach,
And which a master-hand alone can reach.
Alexander Pope, An Essay on Criticism (1711), I.145-147.

 

Pratique et profond... tel est le présent ouvrage de critique philosophique laissé par Walter Pater (1839-1894) quelques temps avant son décès, il y a maintenant plus d'un siècle. A tort aujourd'hui bien méconnu, en dehors des anglicistes et des historiens de l'art, celui qui fut peut-être malgré lui le grand-prêtre des Esthètes britanniques après 1875 demeurait néanmoins un universitaire spécialiste des lettres classiques et des questions grecques.

Inhabituel professeur du Brasenose College d'Oxford la Faculté du heurtoir de bronze qui lui donne son nom il démontre dans ce recueil de dix conférences magistrales que ses jugements esthétiques ne se dissociaient pas d'une maîtrise de la pensée que l'on croit plus générale. Plongeant aux racines antiques avec une décision toute nietzschéenne, il en revient pourtant conforté dans sa distance : pour lui l'esthétique forme bien le primum mobile de l'histoire de l'esprit.

Et cette maîtrise distante se communique sans peine à son lecteur. S'il l'on sait discerner, la résurrection de ce bref ouvrage permet en effet à l'étudiant philosophe, bien mieux qu'un manuel, d'acquérir une solide connaissance de Platon et d'intéressants éléments touchant aussi ses deux antipodes : les Présocratiques et, comme nous le suggérons, Nietzsche.

D'une prose diaphane, inimitable, semée d'humour, ces textes stimulants méritaient de reparaître sous une forme accessible au lecteur français. Ces fleurs d'érudition apportent encore beaucoup d'intelligence, en exhalent comme le parfum caractéristique.

L'existence de Pater est à la fois discrète et remarquable. Né le 4 août 1839 à Stepney (quartier fort modeste au nord de la City de Londres), il appartient nettement à la seconde génération victorienne. Son père, à peine aisé pour autant, exerce la médecine et la chirurgie libérale. Pater le perd à l'âge de deux ans, puis sa mère à l'âge de quatorze ans. Durablement marqué par ce dernier drame au coeur d'un monde de sensibilité qui s'enrichit déjà, il vit une enfance plus solitaire que celle des autres. Ses souvenirs voilés, " The Child in the House " (1878, repris dans les Miscellaneous Studies en 1895), notent pour partie ces années.

Sensible à la beauté, sensible aussi à ce que ce même " portrait imaginaire " avant la lettre nomme the element of pain in things, Pater est envoyé à la King's School de Canterbury. Il y fait de bonnes études, étant surtout remarqué par ses camarades pour sa componction, cette dernière lui valant le surnom de Parson Pater. Ayant rencontré le révérend et poète John Keble, l'un des précurseurs des `Tractarians', il songe quelques temps à combiner lui aussi les ordres et la lyre.

Mais à partir de 1858, Pater poursuit ses études au Queen's College d'Oxford, dont il obtient la licence d'humanités classiques en 1862. Il renonce bientôt aux ordres anglicans de même qu'il brûle ses poèmes. La foi n'est plus là et Pater se nourrit abondamment de littérature et de philosophie continentale. Ces connaissances et l'amitié des jeunes hégéliens d'Oxford (voir plus bas) lui valent d'être, au sortir de ses études, élu Fellow de Brasenose en 1864.

Dès lors assuré d'une existence universitaire (en vingt ans de carrière, il aura pour étudiants Wilde et le poète Gerard Manley Hopkins), Pater peut écrire et voyager. Il visite ainsi la France, l'Allemagne rhénane et surtout l'Italie. Sa passion pour l'histoire de l'art y trouve une source inépuisable. Il veut en ramener au nord avec lui les couleurs et les formes, une lumière enthousiaste à répandre.

Après que l'Atalanta in Calydon de Swinburne eut provoqué le choc littéraire nécessaire en 1865, les temps de l'esthétisme semblent en effet s'annoncer. Pater a vingt-sept ans et publie ses premiers articles de revue dans la Westminster et la Fortnightly. Les sujets traités, de 1866 à 1871, introduisent une large vision critique, de la poétique en particulier (au travers de Coleridge ou du contemporain William Morris) autant que de l'art le plus général (au travers de Winckelmann, de Léonard, de Botticelli, de Michel-Ange). Ces textes font de Pater un maître en prose et dès lors comme la caution universitaire d'un courant encore souterrain de rejet des rigueurs chrétiennes et de la pesanteur des normes morales du plein milieu de l'ère victorienne.

Encouragé par le succès de ses essais, Pater décide d'en rassembler huit en un recueil thématique dont la portée s'avère remarquable. Les Studies in the History of the Renaissance paraissent au printemps 1873, complétée d'une Conclusion flamboyante, proclamant la force de l'instant :

Philosophieren, says Novalis, ist dephlegmatisieren, vivifizieren. The service of philosophy, of speculative culture, towards the human spirit, is to rouse, to startle it to a life of constant and eager observation. Every moment some form grows perfect in hand or face ; some tone on the hills or the sea is choicer than the rest ; some mood of passion or insight or intellectual excitement is irresistibly real and attractive to us, for that moment only. Not the fruit of experience, but experience itself, is the end. A counted number of pulses only is given to us of a variegated dramatic life. How may we see in them all that is to be seen in them by the finest senses ? How shall we pass most swiftly from point to point, and be present always at the focus where the greatest number of vital forces unite in their purest energy ? To burn always with this hard, gem-like flame, to maintain this ecstasy is success in life.

Philosophieren, nous dit Novalis, ist dephlegmatisieren, vivifizieren. La mission de la philosophie, le service que doit rendre la culture des spéculations philosophiques à l'esprit de l'homme, est de provoquer son sursaut, de l'éveiller à une vie toute entière faite d'avides et permanentes observations. A chaque instant, une forme peut atteindre sa perfection, en une main, en un visage ; l'atmosphère des monts ou des flots peut se distinguer de l'ensemble naturel ; une passion, une intuition, un intérêt intellectuel, se font soudain pour nous irrésistiblement plus attirants et plus réels... ceci pour la durée de ces moments seuls. L'expérience elle-même et non son fruit forme alors une fin propre. Un nombre limité nous étant accordé de tels instants de vie, intenses et changeants, comment parvenir à saisir en eux tout ce qui doit y être saisi ? Comment passer rapidement de case en case, afin de nous trouver toujours au foyer où s'unissent le plus grand nombre de forces vitales dans leur plus pure énergie ? Brûler sans cesse au coeur de ce diamant de flamme, en maintenir l'extase, telle est la réussite de l'existence. (" Conclusion ", Studies in the History of the Renaissance, 1re édition [1873]).

 

Le livre et sa conclusion déclenchent une polémique accusant Pater d'hédonisme irresponsable et de paganisme rampant. Ces études, devenues le livre de chevet des Esthètes, valent simultanément à l'auteur de solides inimitiés et la célébrité. Bien que sa production de nouveaux "essays " sur les mêmes thèmes ne cesse de s'accroître pour répondre à la demande, au fil de dix années de succès, Pater doit pourtant retirer la fameuse conclusion de la seconde édition de l'ouvrage en 1877 et subit la même année une campagne de presse l'obligeant à renoncer à une chaire. On le caricature en " Mr Rose ", grand-prêtre languide et décadent. Il finit d'ailleurs en 1883 par limiter ses cours au minimum du tutorat. Il a maintenant quarante-quatre ans et la période brillante de l'esthétisme s'achève.

La pression vengeresse de l'establishment victorien se double d'une maturation personnelle tout au long des années 1880. D'une part, Pater revient à une appréciation plus favorable du Christianisme, au travers du héros de son premier roman : Marius the Epicurean (1885). Ce dernier vit aux temps de Marc Aurèle et trouve dans la mort l'acceptation d'une rédemption. D'autre part, dans le sillage de cette oeuvre déjà plus longue, Pater oriente ses essais vers la forme étendue, romanesque mais intime, des Imaginary Portraits (1887). Des personnages imaginaires mais recréés dans un cadre historique y offrent leurs expériences tragiques de l'art et de sa valeur relative. Un second roman demeure inachevé, Gaston de Latour (1888) : il évoque précisément les temps troublés de Michel de Montaigne, imposant une vérité relative elle-aussi. Pater poursuit néanmoins son oeuvre de critique et rassemble de nouveaux textes dans les Appreciations (1889). Très riche, cet ensemble de créations porte le style de Pater à son apogée et sa réflexion à une profondeur dans la variété... que ne saurions vraiment évoquer en quelques lignes.

C'est enfin le présent ouvrage Plato and Platonism que Pater publie en 1893. Retiré, ayant la discrétion d'un colonel en retraite le mot est de Henry James qui l'approche alors en curieux , Pater vit calmement ses dernières années, entre Oxford et Londres, auprès de sessoeurs Clara et Hester. Il publie quelques derniers essais et critiques pour la presse magazine, encore et toujours soucieux d'affiner le style et de défendre peintres et auteurs présents ou passés pour leurs qualités esthétiques.

Pater meurt le 30 juillet 1894 d'un arrêt du coeur, à cinquante-quatre ans, après avoir travaillé à une dernière conférence sur Blaise Pascal. Son ami et exécuteur testamentaire, Shadwell, se charge de plusieurs publications posthumes dès 1895 (Greek Studies, Miscellaneous Studies) et de mettre en bon ordre l'édition de référence de ses ouvrages qui parait en 1910, en 10 volumes, chez Macmillan, son éditeur depuis 1873.

Pater entre dès lors dans une demi-légende, celle des souvenirs d'un monde balayé par la première guerre mondiale. Encore lié quelque peu à l'élite britannique de l'entre-deux-guerres (ainsi l'une de ses soeurs enseigne-t-elle le grec et le latin à Virginia Woolf), Pater s'effaçe par la suite, figé en une sorte d'esthète " high-brow ", méticuleux, définitivement victorien, ou pire encore, en tant que " décadent fumeux ", toutes choses que les générations d'après 1945 n'ont guère de chances d'apprécier...

Mais toujours réédités, la Renaissance et Marius continuent du moins de frapper l'esprit, ne serait-ce que par la qualité formelle d'une prose merveilleuse, par des passages et des formules inoubliables, jusqu'aux redécouvertes de notre propre fin de siècle.

 

Plutôt que de donner une appréciation critique exhaustive des conférences ici présentées, nous préférrons laisser au lecteur le plaisir des perspectives souvent impressionnantes qu'elles suggèrent. Les notes fournies, très générales, outre leur mission factuelle de renseignement, ne font que souligner parfois certains dessins, qu'éclairer certaines allusions. Car il serait en vérité difficile de faire mieux que l'auteur lui-même en la matière, lequel tend à égaler son sujet philosophe dans l'art des suggestions. Il est donc fort suffisant de rappeler les trois facteurs décisifs et circonstanciés ayant agi sur cet ouvrage tardif mais non dénué de continuité avec l'ensemble de l'oeuvre.

Vivant au calme d'une forme de retraite, choisie d'ailleurs autant en accord avec son âge qu'avec les circonstances intellectuelles du moment, ayant mis un terme à son enseignement public depuis 1883, Pater rédige ces textes dans l'intimité de ses livres et de ses notes de cours, reprises, mises en ordres et publiées. Cela tout d'abord dans la presse magazine (conférences I, VI et VIII), puis en un recueil destiné, dit-il, aux étudiants philosophes, mais aussi certes à son public habituel, à la sorte d'avide " fan-club " que constituent depuis ses coups d'éclats des années 1870 tant ses anciens disciples soucieux de rétrospective (dont Wilde) que ses détracteurs soucieux de surveillance...

Bien que le retour à l'antique soit un trait marquant général de l'imaginaire victorien se détournant enfin du Moyen Age, il s'agit pour Pater de mettre à profit son expérience passée des sources païennes de la culture et de conclure sa propre rétrospective. Alors qu'une certaine stratégie critique anglo-saxonne a toujours voulu faire s'achever l'oeuvre de Pater sur le roman Marius the Epicurean (1885), ces cours magistraux méticuleusement transformés en essais nous rappellent, de même que les posthumes Greek Studies (1895), que l'auteur ne s'abîmait nullement dans une forme unique de retour crépusculaire et doloriste au Christianisme.

C'est au contraire toute la jeunesse universitaire de Pater qui peut à juste titre revendiquer le premier arrière plan de cet ouvrage : l'influence de Friedrich Hegel, au travers de ses collègues philosophes de l'école hégélienne d'Oxford. Féru de philosophie grecque, allemande et française, Pater obtint en effet par ces connaissances sa cooptation professorale et l'amitié des penseurs oxfordiens succédant à la génération des controverses, celle de Newman et Froude. Moins tentés par le catholicisme que séduits par le prestige de l'historicisme germanique introduit par Arnold, Green, Caird et Bosanquet partagèrent avec notre auteur l'ambition d'une vision rigoureuse de l'histoire des idées et des arts, plus exacte et moins romantique que celles de Coleridge et Ruskin.

Mais l'on verra bien vite qu'en anglais poétique, Pater n'utilise Hegel qu'en complément d'une gamme personnelle basée sur l'alliance du néoclassicisme de Winckelmann et d'un héritage néanmoins romantique, sensible et subjectif. Sa critique est " diaphane " et comme l'indique cet adjectif parmi ses préférés, laisse passer diverses lumières afin de faire contraster successivement les divers détails de l'objet soumis à l'examen. Mieux encore, c'est en Platon lui-même que Pater entend trouver l'exemple paradoxal parfait d'une liberté créatrice ondoyante, d'une méthode n'étant au fond pas une méthode, mais un parcours.

Le second arrière plan de ces textes est dès lors bien l'amour de l'essai que Pater maintint toute sa vie et défend de même encore très explicitement dans la VIIe conférence. Nous ne saurions répéter les arguments qu'il donne à l'appui de cette forme chère à Montaigne et de sa coïncidence avec la modernité : c'est en lisant ces pages marquantes que le lecteur comprendra de lui-même leur rapport immédiat avec l'ensemble. Il verra de plus combien l'ondoiement de Pater ne conduit nullement à la confusion mais fait au contraire oeuvre de clarté totale, exposant les approximations et le vague pour ce qu'ils sont précisément, y compris chez Socrate et Platon.

Le troisième et dernier facteur essentiel au livre est donc le souci d'un jugement final quant à la vérité relative. Naguère accusé de relativisme moral hédoniste, Pater ne s'égare nullement dans quelques considérations nostalgiques mais résume au contraire l'ensemble de sa pensée et de sa carrière en une dernière analyse capitale, celle de l'homme et de l'oeuvre qui se situent précisément à l'un des carrefours généalogiques centraux de la morale. Décelant aussi finement que le fit Nietzsche la grande motivation d'ascèse et de négation du Multiple derrière la philosophie platonicienne, Pater conclut néanmoins à la primauté absolue de l'esthétique.

Si la vérité de Platon est relative jusqu'au mensonge, le culte de la chose en soi ( tò ón) est avant tout une tentation esthétique, fidèle à la nature multiple de l'humain. Aussi le jugement final rendu justifie-t-il la vérité relative, mais au nom de la permanence de cette libre diversité, de cette poikila que Platon disait pourtant vouloir rectifier. Face au rêve moral totalitaire de la Cité Parfaite, Pater démontre en la personne même du rêveur la supériorité finale des libertés attiques.


Est-ce à dire que Pater s'identifiât à Platon ? Les parallèles sont en effet tentants, de sorte que philosophes, anglicistes et hellénistes pourraient aujourd'hui assigner ensemble bien des éléments à une lecture trop personnelle et trop datée. Mais les textes ici présentés ne sauraient être réduits, au travers du grand athénien, à une autodéfense justifiant Pater dans ses rapports avec le pharisaïsme victorien ni à une proclamation narcissique des droits de l'esthète vers 1890 en milieu britannique.

Bien au contraire, comme nous l'avons souligné, Pater ne consacre pas ses derniers efforts à une série de vignettes célébrant Platon mais tâche au contraire d'établir le cadre exact des motivations et des responsabilités du penseur, de manière atemporelle et froide. Pater prend vraiment la peine de l'objectivité et dissèque sans complaisance ce qu'est la tentation esthétique...

On lira certes combien Pater partage l'admiration de Platon envers Sparte et se repaît des mêmes songes lumineux d'ordre et de beauté. Mais jamais il n'oublie d'en détailler tous les ressorts artificiels, théâtre et manipulations... Si toute philosophie est musique et si toute musique est charme, la lecture serrée de la partition est non seulement nécessaire à la reproduction des sons mais aussi indispensable au maintien d'une saine distance, d'une liberté morale envers la servitude qu'imposent ces mêmes charmes.


Bien mieux qu'un document historique poussiéreux des dernières décennies du règne de Victoria, ces dix études portent ainsi beaucoup de sens philosophique indépendant et permettent de mieux comprendre le sérieux de l'esthétisme et du symbolisme d'avant le premier conflit mondial, d'un dix-neuvième siècle que l'on a nullement le droit de qualifier de frivole. Alors même qu'on traite encore avec un léger sourire des oeillets verts et des peacock-rooms, alors qu'on écarte les " vrais penseurs " au loin des " symbolards " (le mot est de Drieu La Rochelle, pourtant lui-même passionné par Mallarmé), il est utile de renvoyer à Walter Pater pour y voir déjà pensé et traité le constructivisme en action du siècle suivant...

Connaître Pater, c'est en effet connaître le maître d'une génération, bien différent du maître de l'Académie, laissant à ses lecteurs une entière liberté. Il convient d'ailleurs de laisser la parole aux souvenirs de l'un de ces jeunes gens pour clore cette brève introduction :


He had noticed books on political economy among Pater's books, and Pater had said, `Everything that has occupied man, for any length of time, is worthy of our study.' Perhaps it was because of Pater's influence that we, with an affectation of learning, claimed the whole past of literature for our authority, instead of finding it, like the young men in the age of comedy that followed us, in some new, and so still unrefuted authority ; that we preferred what seemed still uncrumbled rock to the still unspotted foam ; that we were traditional alike in our dress, in our manner, in our opinions, and in our style.

Why should men who spoke their opinions in low voices, as though they feared to disturb the readers in some ancient library, and timidly as though they knew that all subjects had long since been explored, all questions long since decided in books whereon the dust settled, live lives of such disorder and seek to rediscover in verse the syntax of impulsive common life ? Was it that we lived in what is called `an age of transition' and so lacked coherence, or did we but pursue antithesis ?


Il avait remarqué des ouvrages d'économie politique parmi les livres de Pater et ce dernier lui avait dit : " Tout ce qui a pu préoccuper l'homme un jour ou un autre demeure digne de notre attention ". Peut-être était-ce sous l'influence de Pater que nous nous réclamions, en affectant l'érudition, de l'autorité de tout le passé littéraire, au lieu de nous réclamer, comme le firent les jeunes gens de l'ère de comédie qui nous succéda, d'autorités nouvelles et dès lors encore incontestées ; que nous préférions le roc d'apparence encore solide à l'écume encore blanche ; que nous étions traditionnels dans notre costume, nos manières, nos opinions et notre style.

Mais pourquoi des hommes livrant ainsi leurs avis à voix basse, comme s'ils craignaient de déranger la salle de lecture de quelque antique bibliothèque, timidement, comme s'ils pensaient que tous les sujets avaient tous été depuis longtemps explorés et que toutes les questions avaient été résolues dans des livres sur lesquels la poussière s'était accumulée déjà, pourquoi de tels hommes vécurent-ils des vies si désordonnées et cherchèrent-ils à retrouver en poésie la syntaxe des instincts d'une vie vulgaire ? Etait-ce que nous vivions dans ce que l'on nomme " une période de transition " et manquions donc de cohérence, ou n'étions-nous à la recherche que d'antithèses ? (W.B. Yeats, Autobiographies (1926),'The Trembling of the Veil', IV, 5, 303-304).

 

Jean-Baptiste Picy

 

Aesthetic Pages remercie le Prof. Picy et l'Editeur pour ce texte, extrait de Walter Pater: Platon et le Platonisme. Conférences de 1893. Introduction, traduction et notes par Jean-Baptiste Picy. Paris, Vrin, 1998