COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°151)
Vendredi 14/07/00

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3- Un an après Cologne, le point sur les allègements
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Le 19 juin 1999, suite au dépôt de 17 millions de signatures demandant
l'annulation de la dette de 50 pays par la coalition Jubilé 2000, le
G7 de Cologne s'était engagé à annuler 90% de la dette des 41 pays de
la liste PPTE (Pays Pauvres Très Endettés). En septembre de la même
année, plusieurs pays du Nord (dont la Belgique) prenaient le relais
de ces engagements. La presse internationale avait largement fait
l'écho de cette générosité. C'en était fini du fardeau de la dette
pour les pays pauvres très endettés. Lors du sommet euro-africain
d'avril 2000, cette affirmation était renforcée : on parlait alors de
100% d'annulation pour les pays africains. Qu'en est-il un an après
Cologne ?

Les conditions

On connaît les clauses de l'initiative PPTE : elles ne visent qu'à
rendre soutenable le fardeau de la dette de ces pays et se basent sur
la logique ayant mené à leur endettement et à leur appauvrissement.
Les conditions d'éligibilité à l'initiative imposent en effet trois
ans minimum d'ajustement structurel, ce qui sous-entend une hausse de
la fiscalité indirecte (ce qui touche les plus pauvres), une austérité
budgétaire (ce qui limite les budgets d'éducation et de santé à leur
plus simple expression), des privatisations massives (ce qui engendre
des licenciements massifs) et une politique économique tournée vers le
'tout à l'exportation' (ce qui marginalise l'économie locale et rend
les pays dépendants de fluctuations extérieures). A l'arrivée, les
prix des matières premières continuent de baisser, les rentrées de
l'Etat s'amenuisent et l'endettement continue de croître, tandis que
les populations sont maintenues dans une pauvreté extrême.

A ces conditions économiques sont liées des conditions politiques :
les gouvernements doivent pour être élus être 'politiquement corrects'
aux yeux des créditeurs et présenter un 'Cadre Stratégique de Lutte
contre la Pauvreté' (CSLP) rédigé avec la société civile.

Les résultats

Un an après Cologne, on ne peut que constater la faiblesse des
résultats obtenus. Seuls cinq pays ont été élus pour un allègement (il
s'agit de la Bolivie - réduction de 27% du service de la dette -, de
l'Ouganda - 62% -, de la Mauritanie - 31% -, de la Tanzanie - 7% - et
du Mozambique - 60% -) et on est loin des 90% annoncés avec grand
fracas : ce sont en moyenne moins de 40% de la dette de ces cinq pays
qui sont concernés - soit moins de 6% de la dette totale des HIPC. Or,
si on prend notamment en compte le fait que les prix des matières
premières exportées ne cessent de chuter, on peut craindre que
l'allègement accordé ne réduira qu'à court terme et de manière
marginale la somme à rembourser par la plupart des pays concernés. En
effet, si les conditions offertes à l'Ouganda semblent relativement
intéressantes (bien qu'encore loin des 90% annoncés), à l'opposé, le
cas de la Tanzanie se révèle nettement moins enviable, puisqu'il se
voit gratifier après quatre ans d'ajustement d'un allègement ridicule
de 7% de son service annuel de la dette (passant de 162 à 150 millions
de dollars). A l'arrivée, la Tanzanie devra encore dépenser près de
deux fois plus pour sa dette que pour son budget de santé (qui s'élève
à 87 millions de dollars). Il suffira donc qu'une chute des cours du
riz survienne pour que le fardeau de sa dette redevienne insoutenable
!

Le 23 juin 2000, un sixième pays a été élu pour un allègement : il
s'agit du Sénégal, qui est élu pour un allègement nominal de 450
millions de dollars (en valeur nette actualisée), sous condition de
rendre un Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) qui
implique de nouvelles réformes structurelles. Le CSLP doit être
terminé avant fin 2000. Il est censé faire avaliser par la "société
civile" (terme devenu malheureusement chewing-gum) des mesures telles
que la privatisation des structures économiques du pays (soit les 40%
restants, vu que 60% de ces structures ont déjà été vendues aux
investisseurs privés) ou le passage à une TVA unique de 18%. Le
gouvernement fraîchement élu de Wade a reçu comme encouragement du FMI
un crédit supplémentaire de 19 millions de dollars, ce qui porte à 142
millions le montant du crédit étalé sur trois ans et décidé en 1998.
Le thème de campagne de Wade ("sopi", c'est-à-dire "changement" en
wolof) risque de se muer en "changement dans la continuité" au vu des
réformes annoncées. Le Sénégal consacre 40% de son budget au
remboursement de sa dette, alors que 66,4% de sa population est
analphabète et que son budget d'éducation plafonne à 3,5% du PIB.
L'allègement annoncé, s'il a effectivement lieu, ne modifiera que
marginalement cette situation. Le Sénégal a été habitué à recevoir des
allègements minimes au cours des années 90. Pourtant, en atteignant
323 millions de dollars, le service de la dette sénégalaise a augmenté
de 31% par rapport à 1997 et atteint la valeur la plus élevée depuis
1990. Nouvelle preuve que la logique d'ajustement du FMI aboutit en
définitive à aggraver le problème de la dette et de la pauvreté (54%
des Sénégalais vivent avec moins d'un dollar quotidien).

Annuler veut dire payer

Il est important de souligner que ces allègements ont été budgétés,
mais toujours quasi pas affectés. Au forum social de Genève, le
représentant ougandais expliquait ainsi que toute affectation à son
pays était suspendue suite à l'implication ougandaise dans le conflit
des Grands Lacs, rappelant que pourtant, ce sont quelques élites
ougandaises et pas les pauvres qui étaient responsables de cette
situation. Dans un cadre plus global, le responsable de l'initiative
PPTE à la Banque mondiale, Axel van Trotsenburg, a bien dû admettre à
Genève que les pays riches n'étaient guère pressés de verser les
sommes promises. Mais au fait, pourquoi ces allègements
supposent-t-ils un débours de la part des créditeurs ? Pourquoi ne
suffit-il pas de stopper les remboursements des pays endettés ?
N'est-il pas étrange de présenter comme obstacle à une annulation de
dette le fait que les pays créditeurs ne veulent pas verser d'argent ?

Non. En tout cas, pas dans la logique des institutions financières
internationales. Pourquoi ? Parce que sur les marchés internationaux,
les agents économiques sont cotés de AAA à D, suivant la confiance
qu'on peut leur octroyer en matière de respect de leurs engagements
financiers. Ainsi, plus un agent économique est riche, plus il est
"sûr" et mieux il est coté. Cela signifie qu'il a accès aux marchés à
des taux avantageux (la prime de risque est quasi nulle). C'est
évidemment le cas des pays riches, au contraire des pays pauvres et
endettés (les pays riches ont donc moins d'intérêts à rembourser pour
leurs emprunts que les pays pauvres). C'est aussi le cas de la Banque
mondiale, qui fait partie des meilleurs élèves de la classe des
marchés internationaux, puisqu'elle peut se targuer de la cote
maximale (AAA). Suivant cette logique, renoncer à une créance équivaut
à remettre en question cette sacro-sainte cotation. Et se voir
rétrograder signifie dans la logique de la Banque avoir moins de
marges de manouvre pour combattre la pauvreté. C'est pourquoi à chaque
allègement accordé par le FMI et la Banque mondiale doit correspondre
un dédommagement équivalent. Pour ce faire, les institutions
multilatérales puisent dans un Trust Fund (fonds fiduciaire) alimenté
par les Etats membres (y compris des pays très pauvres).

Ce qu'on ne dit pas, c'est que la Banque mondiale est couverte à
hauteur de 180 milliards de dollars et qu'elle voit ses bénéfices
propres augmenter chaque année (30 milliards en 1998 et plus du triple
en 1999). En clair, elle prête moins que ce qu'elle ne reçoit. Telle
est la logique de la Banque dans son combat contre la pauvreté. En
résumé, un an après les annonces de 90% d'annulation de la dette des
HIPC, seuls 6% d'allègement de cette dette ont été budgétés. C'est
dramatiquement peu.

Cas par cas

On connaît la logique des créditeurs en matière d'allègement de dette
: les pays endettés doivent se présenter individuellement et c'est au
cas par cas que les allègements sont accordés. Retournons cette
logique envers les pays créditeurs et analysons au cas par cas ce qui
a été affecté par les pays riches, qui tous avaient annoncés leur
détermination à en finir avec cette dette odieuse qui paralyse les
pays pauvres.

- Les Etats-Unis, par la voix de son président Bill Clinton, avaient
annoncé financer les annulations par un versement immédiat de 250
millions de dollars. Un amendement devant le Congrès de la
Républicaine Nancy Pelosi visait à approuver une contribution de 435
millions. Le Congrès a fini par trancher : seuls 69 millions de
dollars ont finalement été budgétés pour l'année 2001, ceci alors que
les Etats-Unis prévoient dans un même temps un excédent budgétaire
annuel de 1000 milliards au cours des dix prochaines années. On peut
également comparer les 69 millions budgétés aux 50 milliards que les
Etats-Unis planifient d'investir pour un bouclier anti-missile.

- L'Union européenne a décidé début juillet de verser 1 milliard
d'euros au Trust Fund du FMI et de la Banque mondiale. Ce milliard se
divise en trois types d'affectation : 680 millions d'euros destinés
aux banques de développement d'Afrique et des Caraïbes, 54 millions
destinés aux banques de développement d'Amérique latine et d'Asie de
l'Est et 348 millions destinés à l'allègement de dettes contractées
par des PPTE à l'égard de l'Union européenne.

- Le Japon avait annoncé une annulation de 100% des dettes liées aux
crédits à l'exportation, ce qui représente 1,4 milliards de dollars. A
l'analyse, on constate que seule la dette due avant tout
rééchelonnement est prise en compte. Or, c'est en moyenne au milieu
des années 80 qu'ont eu lieu les premiers rééchelonnements. Cela
signifie que seule la dette antérieure à cette date est prise en
compte. Cette position est également défendue par la France,
l'Allemagne et l'Italie.

- La France avait annoncé 63 milliards de francs français d'annulation
et s'était engagée à annuler 100% de la dette publique des douze pays
de la zone franc (FCFA) faisant partie des PPTE. Elle vient de lancer
un plan original pour les créances de ces pays contractées au titre de
l'Aide Publique au Développement (ce qui représente quelque 4
milliards d'euros) : le refinancement par dons. Avec ce système, les
pays endettés poursuivent leurs remboursements, mais ceux-ci leur sont
ensuite reversés par la France sous la forme de dons en faveur de
programmes de réduction de la pauvreté. Le gouvernement présente ce
mécanisme comme un 'contrat de confiance pour le désendettement et le
développement'. Mais les dons sont en fait comptabilisés dans le
budget de l'Aide Publique au Développement. En clair, la France se
donne le loisirs de suspendre ses dons à un pays jugé 'politiquement
incorrect' et d'ainsi faire une pierre deux coups en augmentant son
budget d'Aide Publique sur le dos du pays en question.

- Le Royaume-Uni annonçait 100% d'annulation, ajoutant que cela ne
prendrait ni des années, ni des mois, mais quelques semaines. A
l'arrivée, 500 millions de dollars ont été affectés (étalés sur 20 ans
minimum). Cela représente au total 0,05% de son budget militaire.

- La Belgique avait pris le relais du G7 et annoncé 90% d'annulation.
A l'arrivée, il verse 800 millions de francs belges, ce qui équivaut à
0,87% de ses créances envers les PPTE. Le gouvernement belge annonce
également le versement, réparti sur plusieurs années, d'une
contribution de 3,6 milliards BEF (85 millions d'euros) au Trust Fund
de la Banque mondiale et du FMI pour l'initiative HIPC. Il ne s'agit
en fait que de sa contribution habituelle aux institutions
internationales.

- Des augmentations de contributions au Trust Fund ont été accordées
par le Japon (200 millions de dollars), l'Espagne (85 millions), la
Suisse (58 millions) et le Canada (104 millions).

- La Nouvelle-Zélande a contribué pour la première fois au Trust Fund
à hauteur de 2 millions de dollars.

Au total, à peine 2,5 milliards de dollars ont été versés jusqu'ici
(soit un peu plus de 1% de la dette des PPTE et de 0,1% de la dette du
Tiers Monde), ceci alors que le G7 de Cologne annonçait un débours de
quelque 100 milliards. En ce qui concerne la dette multilatérale,
seule la Banque mondiale a annoncé vouloir effacer 1,8 milliards de
dette. Le FMI n'en a quant à lui apparemment pas l'intention. La dette
des PPTE s'élève toujours à quelque 200 milliards de dollars. Elle
continue de ronger les budgets des pays pauvres de manière
insoutenable. L'Afrique continue par exemple de rembourser 15
milliards de dollars par an (soit 292 millions par semaine). Même les
rares pays élus restent avec un réel fardeau sur les bras : le
Mozambique va devoir rembourser 45 millions de dollars par an, pour 57
millions affectés à la santé; la Tanzanie continuera de rembourser 150
millions en service de la dette, pour 154 millions destinés à
l'éducation; la Mauritanie reste condamnée à rembourser 80 millions
pour sa dette, alors qu'elle ne dépense que 68 millions pour ses
budgets d'éducation et de santé réunis.

La dette empêche tout espoir de développement dans le Tiers Monde. Son
annulation ne serait qu'un pas, insuffisant mais nécessaire, vers un
modèle de développement endogène capable d'éradiquer la pauvreté dans
le Sud. Pourtant, à l'analyse, les annonces spectaculaires du G7 à
Cologne se résument à des résultats dramatiquement timides. Si
certaines vieilles créances que l'on sait impayables depuis des années
vont sans doute être effacées, la logique néo-coloniale de dépendance
maintenue par le biais de la dette semble loin d'être abandonnée.
Reste une question avant le sommet du G7 à Okinawa et l'Assemblée du
FMI et de la Banque mondiale à Prague : comment vont-ils pouvoir
justifier de telles contradictions ?

Arnaud Zacharie (CADTM).
cadtm@skynet.be