Patience III
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Lorsqu'ils se retirèrent, les deux amis
échangèrent un regard charge de questions.
"- Je ne sais pas ce que tu en penses, mais malgré
toutes ses bonnes intentions, je n'aime guère cette Mme de Roussel. J'ignore encore
pourquoi et c'est peut-être par souci injustifié de Marie-Antoinette, mais elle ne
m'inspire pas confiance, fit Oscar, la mine inquiète.
- J'avoue qu'elle m'a quelque peu effraye, et pourtant, je ne
peux pas mettre le doigt sur ce qui me chiffonne, mais je suis de ton avis: on ne
peut pas faire confiance a cette femme. Que sait-on d'elle, d'ailleurs? Je
suis d'habitude assez bien informe sur les agissements de la Cour, mais cette fois, je
n'ai pu apprendre que quelques faits, tous allant en faveur de la Comtesse, et pourtant,
je pense qu'elle nous cache quelque-chose. Rosalie nous aidera peut-être en ce
sens. Elle devait déjeuner avec Mme de Rempoix aujourd'hui, et cette chère
Marquise est assez friande de ragots croustillants!
- Tes ressources ne cesseront donc jamais de m'étonner, mon
cher André, dit Oscar d'une voix légère pour la première fois depuis l'entretien avec
la Reine et la mystérieuse Comtesse, cependant, je ne suis pas sure de vouloir mêler
Rosalie a ces intrigues. Elle est encore bien naïve...
- Ce n'est pas mon idée, mais la Marquise s'est prise d'amitié
pour elle et Rosalie a décidé de profiter de l'occasion. Si tu le désires, je
l'accompagnerai! déclara vivement André, qui repensa alors au comportement
étrange de la jeune fille la veille.
- Non, je suis sure que Rosalie peut mener a bien un déjeuner,
et je ne veux pas qu'elle se sente épiée a chaque minute. De plus, je ne pense
vraiment pas que la vielle Mme de Rempoix soit un quelconque danger, même pour une frêle
jeune fille! reprit Oscar avec entrain. Non, André, tu vas m'aider, des cet
apres-midi, a organiser ces documents de vente. Plus vite l'affaire sera menée,
plus vite je saurai de quoi il retourne exactement.
- Très bien, nous pourrions commencer par le Trésor, il doit y
avoir un Titre et un inventaire des propriétés de la Couronne."
Et ils se rendirent ainsi a l'aile Ouest du
Château pour arranger une audience auprès de Mr le Trésorier du Roi.
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Rosalie s'était levée d'une humeur inquiète, ce qui ne lui
ressemblait pas. Elle fut même soulagée de n'apercevoir ni Oscar ni André au
domaine Jarjayes. Elle fit une rapide toilette et commença a s'habiller lorsque
Grand-mère, a son habitude, vint lui porter un thé au lait bien chaud avec du pain
d'amande, un petit-déjeuner copieux qui ravissait toujours la jeune fille, habituée au
vieux café et au pain dur.
"- Grand-mère! appela celle-ci, je dois me rendre chez
la Marquise de Rempoix avant Midi...
- Je sais bien, mon enfant, répondit la charmante vieille dame.
Un carrosse a été mis a votre disposition, afin que vous ne froissiez pas votre
jolie robe. Elle est nouvelle, n'est-ce pas?"
La jeune fille rougit a la pensée des atours qu'elle
possédait dorénavant, tous aussi somptueux les uns que les autres.
"- Et bien, il me faudrait bien de l'aide pour la
passer, vous pensez...
- Mais naturellement, ma petite. C'est une robe
magnifique, fit-elle en s'emparant du haut de robe fuchsia, vous allez ressembler a une
précieuse Pervenche! Si seulement ma petite Oscar faisait de même, vous seriez
saisissante a la Cour!
- ... ah, oui. C'est vraiment superbe... Tout de même, il
me faut souffrir dans cet étroit carcan juste pour la mettre, fit-elle en désignant le
corset qu'elle essayait de nouer.
- Attendez, laissez-moi faire!"
Et Grand-mère s'empara des lacets et serra si fort que le
souffle manqua a la pauvre Rosalie. Elle empoigna ensuite le calicot qu'elle ajusta
d'une main de maître, avant de présenter a la jeune fille éberluée de nouveaux jupons
qu'elle lui fit enfiler, et finalement la jupe immense et l'arrangea jusqu'a ce qu'elle
eut l'effet voulu.
"- Voila, fit Grand-mère d'une voix satisfaite, cette
tenue vous va a ravir! Finissez donc votre thé. Vous pourrez ainsi finir vos
études. J'ai demande au cocher de vous indiquer l'heure du départ."
Et la vieille dame, encore fort vive, ferma la porte
derrière elle comme un ouragan s'éloigne des côtes.
"- Et bien, pensa Rosalie qui ne pouvait réprimer un
sourire, voila qui pourrait expliquer bien des choses sur le tempérament d'Oscar
puisqu'elle l'a élevée..."
Délaissant le thé, elle vint s'asseoir devant sa coiffeuse
et entreprit de se poudrer et arranger sa coiffure. Son déjeuner, après tout,
serait peut-être l'une de ses premières sorties seule, et elle entendait bien mettre
toutes les chances de son cote pour plaire a la Marquise qui l'avait si gracieusement
invitée.
A Onze heure, un laquais vint la chercher dans le salon ou
elle s'était plongée dans la lecture, et elle aborda le large carrosse avec un peu
d'hésitation, mais aussi beaucoup d'excitation.
"- Oscar m'a bien préparée pour ces rencontres
sociales, et je ne suis pas bête. Calme toi, Rosalie, tout ira bien..." se
repetait-elle pourtant.
Son appréhension fut de courte durée. Après avoir
été introduite dans la demeure de famille des Rempoix, elle fut conviée a un déjeuner
intime sur l'herbe avec la Marquise seule. Celle-ci, d'ailleurs, ne faisait pas de
manières, et Rosalie se demanda si c'était une des raisons pour laquelle elle aimait
tant cette femme d'âge mur.
"- Rosalie, mon enfant, asseyez-vous a votre guise, je
vous remercie de partager votre jeunesse avec une personne telle que moi qui ne peut plus
que l'admirer de loin. Voila...tres bien. Vous verrez, il y a dans ces paniers
toutes les délicatesses dont vous pourrez rêver. Je m'excuse beaucoup, mais j'aime
a manger tôt. Je fais ainsi un petit somme en début d'apres-midi.
- ... oh, bien. Je vous remercie beaucoup, Madame, cet un
honneur que de partager votre compagnie.
- Bien, et maintenant, assez de civilités. Goutez-moi ce
fin pâté d'oie, vous m'en direz des nouvelles. Mais dites-moi donc, ma chère,
comment vous occupez vos journées. Restez-vous au domaine Jarjayes? J'ai
beaucoup d'admiration pour le Colonel, vous savez..."
Et ce fut ainsi que Rosalie se lança dans la description de
la droiture et la gentillesse sans borne d'Oscar. La Marquise écoutait, fascinée
par la conviction de cet être si jeune, et l'appréciait encore d'avantage. Elle
n'avait jamais trop aimé la Cour avec ses intrigues, et Rosalie lui rappelait le temps
ou, a son âge, elle tenait la même attitude d'honnêteté envers et contre tout.
"- Mais que voila une délicieuse enfant!"
Pensa-t-elle, et cela la réconcilia un peu avec la nature humaine.
"- ... et c'est ainsi, disait a ce moment Rosalie, que
le Colonel a fait la connaissance de Mme de Roussel. Personnellement, je ne vois pas
d'inconvénient a cette dame qui, dit-on, est d'une grande beauté et ne semble pas
vouloir profiter de la bonté de notre Reine!
- Mme de Roussel, avez-vous dit? Petite noblesse du Nord?
La marquise semblait stupéfaite.
- En effet. Qu'y-a-t-il? Vous êtes toute
pale!"
La Marquise, en effet, semblait fort inquiète et avait
arrêté son bras qui venait pourtant de se saisir d'un biscuit dore.
"- Mon enfant, je vous conseille, a vous et vos amis, de
vous tenir bien loin de cette dame. Elle est dangereuse. On dit qu'elle
n'hésite devant rien pour obtenir ce qu'elle désire, et qu'elle collectionne les amants,
de quelque classe sociale, par ailleurs. Mais ils finissent tous par disparaître,
de sorte qu'aujourd'hui, personne ne peut rien prouver et nul n'ose dire mot devant une
telle efficacité. Ce n'est rien d'autre qu'une intrigante aux moeurs dissolues!
S'exclama la vieille dame avec une pointe de colère et d'orgueil.
- ...aux ...moeurs dissolues?
- Oui, mon enfant, Mme de Roussel aime a abîmer les âmes.
Les plus nobles et les plus belles. Je vous conseillerais de notifier
immédiatement vos amis. Elle doit etre aigrie par un mariage qui ne la satisfait
guère, et elle semble tirer de ses tortures un plaisir malsain. Croyez-moi, vous
seriez bien mieux très loin d'elle."
Rosalie renversa son verre, éberluée, sa
bouche traçant un grand "O" de surprise, et d'effroi devant le potentiel danger
que courraient ses amis. Elle fit ses excuses a la Marquise qui la remercia avec
effusion et la pria, une fois encore, d'éviter la Comtesse vénale.
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A la trésorerie, les affaires d'Oscar furent plus aisées
qu'elle n'avait pu l'imaginer, car le Trésorier avait déjà été expressément informe
par Sa Majesté et avait préparé tous les documents. Ils n'avaient plus qu'à
être signes par la Comtesse, et l'échange se ferait des qu'elle aurait préparé les
fonds nécessaires.
Elle s'empressa de s'emparer des documents et se rendit
encore au petit salon ou elle espérait que la Reine et la Comtesse se tiendraient encore,
André a ses talons. Ils ne trouvèrent que la Comtesse, qui contemplait une toile
couvrant tout le mur et qui, éclairé par les grandes baies vitrées, étincelait a la
lumière.
"- Colonel Jarjayes, quelle plaisante surprise!
s'exclama-t-elle, un grand sourire aux lèvres. Vous venez me parler de mes
affaires, je suppose. Comme vous êtes rapide. J'ai bien eu raison de m'en
remettre a vous!"
Oscar grinça des dents et balayait la pièce des yeux.
A part quelques gentilshommes et dames affairés a un jeu de cartes, il n'y avait
pas foule, et la Reine n'était pas en attendance.
"- Sa Majesté a du s'excuser pour affaires du royaume.
Je ne souffrirais pas qu'elle les néglige par ma faute, aussi l'ai-je enjointe de
tenir ses audiences au plus vite!" reprit-elle avec un regard plus moqueur.
"Cette femme Colonel est donc vraiment dévouée a la
Reine. C'est admirable, enfin, on verra!" Se dit-elle, la pensée allumant une
lueur dans ses yeux.
"- Très bien, Madame, voila un fait qui vous
honore", dit Oscar, plus froidement qu'elle ne le voulait, mais cette femme
déclenchait en elle une animosité qu'elle avait peine a contenir.
"- Et voila donc votre charmant serviteur, André,
n'est-ce pas? fit la Comtesse en se tournant vers lui, aux cote d'Oscar. On
voit tout de suite qu'il vous est dévoué! Très bien, je vais signer les papiers
nécessaires, mais il me faut y joindre un décret qui se trouve dans mes appartements, et
je m'y trouverai pas avant ce soir: j'ai promis de jouer pour la Reine des son
retour, qui ne saurait tarder. Vous serait-il possible de venir le quérir vers huit
heures? Je réalise bien que vous avez d'autres choses a faire, Colonel, et que
votre service est déjà fini, mais peut-être votre dévoué serviteur daignerait
m'apporter une bouteille que j'ai commande et qui sera prête vers ces heures-la, et ainsi
assurer la signature et la remise du décret en de bonnes mains? Je vous donne tout
de suite les détails..."
Si Oscar en fut étonnée, ce fut André qui fut retourné.
Il jeta un coup d'oeil désespéré a Oscar, mais celle-ci semblait livrer une
bataille intérieure a la rage qui commençait a l'étouffer. Fidèle a elle-même,
elle se devait de ne rien en montrer et décida que, somme toute, ce serait probablement
la meilleure façon d'en finir.
"- Très bien, vous pouvez faire confiance a André
comme a moi-même. André, suit donc les instructions de la Comtesse, je vais aller
vérifier quelque-chose qui me chiffonne ailleurs", lui intima-t-elle d'un ton de
glace.
André la regarda, stupéfait, saluer, avant de s'échapper a
grandes enjambées.
"- Le Colonel est malaisé en ma présence?
s'enquit la Comtesse, avec un ton sucré, regardant André droit dans les yeux.
- Non, je pense qu'il y a effectivement d'autres affaires qui
l'occupent peut-être plus qu'une vente de domaine, aussi importante soit-elle....
(il réalisa son erreur en voyant le petit sourire sardonique de la Comtesse).. enfin, je
veux dire, votre achat est de la plus haute importance, mais..."
bredouilla-t-il encore.
La Comtesse riait a gorge déployée:
"- Comme vous êtes aimable, André. Je vois que vous
lui êtes très attaché! Ne vous en faites pas, je comprends tout-a-fait qu'un
échange de contrats ne représente guère d'intérêt pour un habile officier!
Bien, revenons-en a nos affaires. Laissez-moi vous donner les détails des caves ou
vous trouverez ce cru. On m'en a dit du grand bien, et j'aime les plaisirs du
palais. A vrai dire, j'aime le plaisir... et vous, André? Quel est
votre plaisir?"
André rougit furieusement de la tête aux pieds et la sueur
commença a perler a son front. Non seulement il ne trouvait pas la personne de Mme
de Roussel très engageante, mais son sentiment de peur s'était soudain raffermi:
il savait a présent a quel jeu elle jouait. Il ne répondit pas, mais ne voulut pas
être impoli. Il désirait en finir avec cette petite discussion, puis parler a
Oscar pour prendre d'autres arrangements pour ce soir.
"- Je ... je serais plus intéressé de savoir ou Leurs
Majestés ont bien voulu vous loger, de sorte que nous puissions régler ceci au plus
vite. Dans l'intérêt de l'État, je pense que vous comprenez...
- Bien sur, André, je comprends même très bien..."
Mais elle ne fit plus d'autres remarques, et après quelques
minutes, André émergeait du Salon plus ébranlé que s'il avait mené une bataille.
Il trouva Oscar en grand discours avec Girodelle. Bien
qu'il n'aima pas le jeune aristocrate, ce fut presqu'avec plaisir qu'il l'aperçut.
Après son entretien avec la Comtesse, même les commentaires désobligeants d'un
gentilhomme sur de lui, lui semblaient engageants.
Oscar s'éloigna du jeune militaire des qu'elle vit l'air
agite de son ami et se planta fermement devant lui:
"- Et alors, André, tout sera donc prêt ce soir?
- C'est ce dont j'ai besoin de te parler Oscar. J'ai un
mauvais pressentiment. J'ai même plus qu'un pressentiment. Cette Mme de
Roussel a un agenda bien diffèrent de la simple transaction. Je ne sais pas comment
l'expliquer, mais je rechigne a faire cette démarche pour elle. Il se trame
quelque-chose, fit celui-ci, très vite, essayant de ne pas donner trop de détails.
- Et je suis censée être la plus méfiante? Je n'aime
pas la Comtesse et je peux apprécier que de la revoir ne doit pas t'enchanter, mais ne
pas ridicule... tu es assez grand pour te défendre contre une femme, oui ou non?
- Oscar, je ne pense pas que tu comprennes ce qui est en jeu!
s'exclama le jeune homme, alarme.
- Je comprends parfaitement, et c'est toi qui devrais réaliser
que le Trône de France a besoin de l'argent que cette vente va rapporter, alors,
méfiance ou pas, tu iras porter cette bouteille chez la Comtesse, et me rapporter ce
fameux décret! s'emporta cette dernière, s'avançant d'un pas vers André, qui avait
baisse les yeux. On dirait presque que tu as peur!
- Peut-être que j'ai peur, et peut-être que tu devrais aussi!
- Balivernes! Que t'arrive-t-il donc, André! Tu ne
me fais donc plus confiance?"
André avait relevé les yeux, et il fixait Oscar avec une
infinie douceur... une grande douleur aussi. Il prit une de ses mains dans la sienne
et murmura:
"- Je ferais ce que tu me demandes, mais non pas pour la
Couronne, mais pour toi, parce que tu me l'as demandé."
Oscar s'était recule d'un bond:
"- Mais enfin, André, reprend toi! Es-tu souffrant?
Qu'est-ce que tu fais! s'exclama-t-elle
- Je me le demande moi-même", fit le jeune homme d'un ton
triste, et il tourna les talons.
"Je ne suis pas un jouet, Oscar. Moi, je peux
me briser."
André avait porté contre lui la bouteille du fin cru qu'on
lui avait confie. Revenir a Versailles le soir sans Oscar lui donna un frisson, et
il pressa le pas dans les grands corridors ou sonnaient la musique et le rire des
courtisans occupés a un bal. Il tourna vite en haut des larges escaliers, et trouva
enfin, au fond d'un couloir, la porte qui signifiait sa destination. Son coeur
battait très fort, et il se dit que c'était sans doute sans raison. Il frappa.
Une voix ferme lui intima d'ouvrir la porte qui n'était pas fermée a clef, et il
pénétra dans les appartements de la Comtesse.
Ils étaient richement meublés, et on pouvait remarquer les
accessoires, peut-être un peu trop tapageurs, d'une femme aisée qui voulait plaire.
La Comtesse passa la porte qui séparait la chambre de l'antichambre et lui fit
mine d'avancer.
"- Vous voila donc, cher André. Vous êtes même
en avance, quel zèle! Si vous vous étonnez que je n'assiste pas au divertissements
de ce soir, c'est que j'ai déjà bien joue presque toute la journée et danser sur les
airs que je connais par coeur me lasse! Passez donc dans la chambre. J'ai
préparé deux verres. J'ai peu de compagnie ces jours-ci, alors vous ne voudriez
donc pas me laisser boire toute seule?
- C'est que je dois rentrer des ce soir avec le décret promis,
Madame.
- Sottise! Ce décret ne pourra être effectif que demain
matin. Nous avons bien le temps!"
Il avait avance de quelques pas et avait presque pénétré
dans la chambre. Elle était d'aussi riche apparence que la première pièce, mais
les tons en étaient plus sombres et le Bordeaux dominait l'ensemble. La Comtesse
était assise a sa coiffeuse et brossait ses cheveux défaits. Elle portait toujours
la majestueuse toilette de cet apres-midi.
André déposa le vin près des verres sur la commode.
"- Versez donc, mon ami. Vous me devez bien cela.
Après tout, je suis celle qui pourrait sauver la France! fit-elle avec un
ton moqueur.
- Un verre, Madame, et il me faudra prendre congé."
Souffla André, rigide.
La Comtesse s'était levée et avait pose sa main baguée sur
celle d'André alors qu'il saisissait la bouteille:
"- Assez joué, on bel ami! Je pense que vous
comprenez exactement ce que j'attend de vous, alors, cessons la les politesses! Vous
connaissez sans doute ma réputation? fit-elle d'un air prédateur.
- Je vous assure, Madame, que je ne désire rien d'autre que de
régler notre affaire et vous laisser en paix.
- Oh, mais nous allons régler NOTRE AFFAIRE..." Le ton
était froid, et le regard intense.
André se sentit pris dans un piège dont il savait qu'il ne
pourrait échapper.
"- Et si vous pensez a votre belle amie, je puis vous
assurer qu'elle devait se douter de la raison de ma démarche, alors, pourquoi ne pas en
profiter?"
La Comtesse caressait son bras, qui tremblait. Les
larmes vinrent aux yeux d'André, avec la réalisation de la trahison qu'il allait devoir
commettre.
"- Maintenant, vous allez vous asseoir sur le lit près
de moi et boire de cet excellent vin, vu votre état, je crois que cela vous fera le plus
grand bien!" fit la Comtesse d'un air faussement débonnaire.
Elle finit de verser elle-même le breuvage dont la couleur
s'apparentait tellement bien au décor, tandis qu'Andre obtempérait et fit un pas, tel un
pantin, dans la direction de l'imposant lit de Mme de Roussel. Elle lui tendit son
verre avant de se placer debout devant lui, et de lui placer un baiser sur la joue gauche.
Il repoussa vivement la tête.
"- N'oubliez pas que, si cette affaire n'est pas
conclue, vous aurez des comptes a rendre a l'État de France, et, de plus, vous ne
voudriez pas décevoir votre chère Oscar?"
Au nom d'Oscar, le dernier éclat de révolte qui brillait
encore en lui s'essouffla et il baissa la tête, vaincu. Quoi qu'il fasse, il ne
pouvait décevoir Oscar. Pourtant, il allait la trahir. Son corps allait
trahir celle qu'il aimait de toute son âme, mais il se devait de suivre les ordres
qu'elle lui avait donné. La Comtesse avait raison: l'affaire se devait
d'être conclue au plus vite.
"- Très bien, Madame, vous gagnez. Je resterai
donc, mais je regrette que vous ayez du user d'un tel chantage, fit-il d'un ton mort sans
la regarder.
- C'est très bien, mon cher André, vous comprenez vite, lui
lanca-t-elle en lui soulevant le menton de deux doigts et en noyant son regard dur dans le
sien, perdu dans ses larmes. Vous voyez, j'obtiens toujours ce que je
désire..."
Elle l'embrassa a pleine bouche, et cette fois, il ne fit
aucun mouvement, mais il ne pouvait la regarder. Lorsqu'il sentit une main glisser
sur sa chemise et défaire lentement, langoureuse ment, ses boutons, il ferma les yeux et
eut l'impression de mourir. La Comtesse s'en aperçut:
"- Vous n'auriez pas peur, dites moi? Une homme
aussi séduisant que vous... ne me dites pas que je suis la première?"
s'extasia-t-elle, et sa voix eut un accent presque tendre.
Mais ce ne fut pas la tendresse qui lui fit forcer la chemise
de sur son dos ni dégrafer sa propre robe, et lorsqu'Andre sentit le matelas s'affesser
sous le poids d'un deuxième corps, et un main curieuse sur sa cuisse, il sut que son
corps lui-même allait le trahir...
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