Franco
Santamaria: Image et Parole
par Vittorio Mazzone
A)
Riche et
complexe apparaît le chemin de recherche de Franco Santamaria, un artiste
qui, soutenu par une solide tension idéale et par une tenace hantise
morale, profondément et douloureusement vécue, a su se mesurer avec une
multiplicité de langages, visant toujours le même objectif: créer une
expression artistique capable de représenter sincèrement ses inquiétudes
et en même temps de provoquer des émotions et des occasions de profonde
réflexion.
Pendant
plusieurs années l’engagement artistique de Santamaria a embrassé la
peinture et la production littéraire avec la participation à des
vernissages personnels et collectifs et avec la publication de recueils de
poèmes, le dernier desquels particulièrement apprécié, au titre
"Histoire d’échos", publié par les Frères Ferraro de
Naples.
Aujourd’hui
Santamaria nous offre un nouveau travail plus absorbant encore qui se présente
comme une nouvelle épreuve. En effet, l’artiste nous offre une série
de poèmes et de tableaux, qui vont de 1984 à 1998, réunis dans un seul
volume sous le titre de "Parole et Image (Poésie et Peinture)".
Dans cette
oeuvre la parole a plusieurs significations et s’intègre à la représentation
chromatique, donnant naissance à un dialogue serré et passionné entre
poésie et peinture à l’angoissante recherche de ce "fil à débrouiller"
(E. Montale), qui permettrait d’ouvrir plusieurs mondes et de déchirer
le cône d’ombre qui nous tenaille. L’expérience nous apparaît complètement
réussie et représente parfaitement les qualités artistiques et la
personnalité délicate de Santamaria.
Presque
seul dans le désert de l’actuelle mode dominante, loin de cligner de l’œil
au lecteur/bénéficiaire d’images, le poète ressent, au
contraire, très fort l’impératif catégorique qui l’aiguillonne et
le pousse, finalement, au-delà de la perception sensible. Il en résulte,
ainsi, une forte incitation et une pressante sollicitation à aller au-delà
et à retrouver en nous mêmes la juste force morale et une adéquate
disposition d’âme, qui nous facilite dans un travail d’analyse et de
sondage dans les replis de notre "moi", en nous aidant à
remonter aux raisons intimes des choses et à l’essence même de
l’homme et de la vie.
L’art,
dans ses expressions les plus différentes, et particulièrement la poésie
et la peinture ne peuvent pas être un pur "divertissement".
Elles peuvent, ou mieux, elles doivent représenter l’occasion d’élévation,
de recherche de pureté idéale, un puissant levier pour changer et pour réaliser
un monde nouveau.
Voilà
l’idée, en bref, de la "socialité de l’art" dont
l’auteur nous parle dans une sorte de préface théorique que nous
retrouvons dans les premières pages de l’œuvre et qui nous renvoie à
l’évanescence de l’ "apparaître" et à la nécessité
de l’ "être".
Mais ce
rappel à l’attention et à la réflexion la plus convenable, n’a
jamais avancé pédagogiquement. Il trouve sa force, au contraire, dans la
capacité de l’auteur de savoir provoquer des émotions, en se proposant
dans toute son authenticité et en soulignant le sens profond de quelques
valeurs fondamentales.
Particulièrement
touchante est la chaleureuse référence de l’auteur à sa terre, à ses
racines qu’on ne peut pas négliger si on se dirige dans un parcours de
redéfinition de son identité.
"Sur
le faîte
d’une calanque était ma terre,
bercée par une coquille de fossile millénaire".
De sa terre
Santamaria garde un souvenir très douce, presque un Eden lointain aux
pures sources auquel il faut puiser pour guérir les blessures. Et le
tableau, au même titre que le poème, "Dans une coquille ma
terre", nous aide à mieux comprendre les raisons de ce lien fort et
auquel on ne peut pas renoncer.
La coquille
de fossile millénaire, qui protège jalousement de la contamination du
temps les bras des hommes, obstinément tendus dans une étreinte de
fraternité assoiffée, met en évidence symboliquement les fortes valeurs
de l’amitié, du lien solidaire que les hommes semblent avoir désormais
abandonné distraitement et qui, au contraire, représentent les
sentiments qui comptent et qu’il faut de nouveau s’approprier pour
inventer encore une nouvelle ère de l’histoire humaine. L’homme a
vraiment un grand besoin de la force vive de ces sentiments, s’il ne
veut pas succomber, comme victime sacrificielle dans un monde hostile qui
renie la beauté, la pureté et la sincérité.
Du sort des
vivants Santamaria a une vision inconsolable. Le "mal", comme un
monstre protéiforme, est éternellement aux aguets et tend à tout détruire
avec sa voracité insatiable. La stupidité humaine, les égoïsmes les
plus farouches, les différentes formes de violence, au lieu de construire
un frein possible à la force brute de la nature, représentent des
manifestations insupportables d’avidité et d’agressivité en décrétant
la mortification de toute idée de respect et de solidarité.
"Là,
et ici, c’est un champ de virginités violées,
de barbarie réfléchie, de veilles et d’amours
qui n’ont jamais
connu l’étreinte de la pitié silencieuse".
La mort qui
avance inexorablement et la vie qui se défend désespérément: voilà
l’essence même du temps qui passe. Et il ne reste plus à la terre que
confier son existence "à des alvéoles pas encore violées".
Dans cette
lutte pour l’existence et pour la dignité de la vie il ne faut pas se
rendre. Et de Santamaria dérive une claire déclaration d’intentions:
"Je ne
crains pas de m’arrêter ou, qui sait, d’escalader le mur
en quête du verger aux mille couleurs".
L’auteur
est conscient qu’il ne pourra pas y réussir tout seul et que son
engagement d’homme et d’artiste n’est qu’une petite partie d’un
tout qu’on ne voit pas encore.
Cependant
le rêve est grand, est présent et en soi il constitue un projet:
"Si
seulement je pouvais transformer ce coup éteint
en musique d’ailes, de voix, de mains
joyeuses autour du feu rallumé, et arracher
aux abîmes les présences solitaires et sans défenses".
L’homme a
le droit de rêver. Nourrir des utopies est un besoin nécessaire pour
retrouver la juste dimension qui nous aide à regarder au-delà de la réalité
aride et à reconstruire d’abord en nous-mêmes cette paix de l’âme
qui ressemble à un "rêve de papillon".
Sans jamais
se laisser aller. Le mal nous menace sans arrêt.
"Sur
la terre que je connais les volcans répandent de la lave
pour pétrifier les fleurs de genêt".
Voilà le
message conclusif que Santamaria nous confie à la fin de son travail. Un
travail qui sollicite une pleine participation émotive, en se confiant à
la sincère disponibilité de son interlocuteur à se laisser impliquer
dans un dialogue idéal, qui le rend plus fort et plus averti.
Et dans
cette opération de reconstitution d’une identité de l’homme on
ressent des sensations de véritable émotion, grâce à une utilisation
"chaude" de la parole, des formes et des couleurs qui résument
substantiellement un langage du cœur capable de communiquer des messages
universels.
B)
Une première
sensation de profonde chaleur humaine te saisit immédiatement en
regardant les tableaux de Franco Santamaria. Ce sont d’abord les
couleurs chaudes et pâteuses, placées là presque exprès pour te faire
sentir à ton aise, qui t’invitent à t’arrêter, à réfléchir, à
entrer en syntonie avec la personnalité de l’artiste.
Le premier
miracle a eu lieu; le feeling s’est produit; alors, le dialogue le plus
intime peut commencer. Presque par inadvertance tu te trouves à flâner
dans le complexe monde onirique de l’auteur, qui avec sincérité et
sans pudeur te déclare ouvertement des rêves et des peurs, des
frustrations et des espoirs, qui, à bien réfléchir, représentent des
sentiments et des états d’âme qui ne sont point lointains de ta
condition existentielle.
Les thèmes
de la vie, de l’amour, de la paix, de la fraternité parmi les hommes,
semblent dominer la peinture de Santamaria. Proposés avec confiance et
habilité, les thèmes reviennent avec une insistance presque
obsessionnelle, à signifier que ces valeurs ne sont pas pour l’auteur
des événements passagers ou une simple concession aux modes du moment,
mais qu’elles représentent la partie constitutive d’un homme qui,
avec sa peinture semble vouloir plutôt nous inciter tous à nous mettre à
l’épreuve avec lui, avec une cohérence toujours plus grande,
avec les nombreux aspects de la moderne condition humaine.
La richesse
de ce monde intérieur tend à frapper directement les replis les plus
secrets de notre "moi", en nous obligeant à mettre de côté
les façons d’agir stéréotypées et de manière, pour donner la voix,
au contraire, à la partie la plus cachée et la plus vraie de nous-mêmes.
C’est
presque comme si l’artiste, avec ses provocations, voulait nous
accompagner dans un voyage dans notre mémoire, à la recherche de ce que
nous sommes et/ou voudrions être vraiment. Et tout cela se passe
naturellement, seulement si nous mettons de côté pour un moment le monde
qui nous entoure, un monde qui, dans la dureté et dans la tragique
"normalité" de la vie quotidienne nous apparaît comme un tout
compact et non modifiable.
Santamaria,
en fait, veut nous dire que ce n’est pas comme ça: la réalité, avec
ses laideurs et ses chagrins, n’est pas une donnée à priori vis-à-vis
de laquelle l’homme ne peut que rester passif.
Dans ses
tableaux, alors, l’artiste joue avec la réalité. Il ne l’annule pas,
mais il la brise et nous la présente dans ses parties les plus
significatives, comme des morceaux d’un puzzle imaginaire que l’homme
est appelé à recomposer, se servant de sa sensibilité et d’une anxiété
qui souhaite le rachat.
Les mains
qui s’avancent désespérément à la recherche de liens forts et
salutaires témoignent, symboliquement, cette poignante tension idéale
qui anime la production de Santamaria.
Elles représentent,
en définitive, un acte de confiance dans les ressources rationnelles et
spirituelles de l’homme et en même temps un message d’espoir pour
chacun de nous, engagé fiévreusement dans la bataille quotidienne de la
vie.
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