D'après "Tauromachies" par Rossana Bossaglia                         
(essai tiré du Volume " Labyrinthes " - 1999)


Le Taureau dont M. Cannnaò nous parle est certainement victime; destinée à une défaite sanglante, la sauvage et humaine tête est, dès le début, dans sa brisante vitalité, symbole de macabre trophée. M.Cannaò réussit, d'une force expressive tout à fait singulière, à nous donner en même temps le sens de la vigoureuse et brutale innocence et de l'instinctive conscience de la douleur ; derrière sa grimace excitée pèse un voile de mélancolie suprême. Cela, à bien réfléchir, n'est seulement pas la mélancolie de se retenir victime prédestinée, mais aussi le fruit d'une large réflexion existentielle. M. Cannaò, artiste aux traits vigoureux, réussit à donner à ses personnages une variété extraordinaire d'expressions, chacune énergique et péremptoire : un cadeau où l'on reconnaît aussi l'artiste de théâtre, créateur de masques, non pas simplification mais sublimation de chaque moment psychologique.
La technique picturale satisfait cette qualité: une peinture tranchante, qui devient chaude au contact de la matérialité des personnages les rendant semblables à une présence physique directe. Dans son blanc et noir, surtout dans le dessin, l'événement est raconté en contre-chante, dans la profondeur de la non-couleur ; mais la matérialité reste ; et le signe subtil et vibré des excellentes eaux-fortes rend le boisé hirsute du toison bestial.

D'après " Luviatico " de Gian Luigi Falabrino 

(essai publié en occasion de l'exposition " Luviatico ". 2001)

…dans ses linoléums Cannaò - partagé entre l'amour et l'intolérance pour la terre d'origine d'un côté, et d'autres sentiments ambivalents pour la grande ville du nord, de l'autre - il voit la lune comme un point lumineux, l' " autre " par rapport à la métropole, q'on voudrait y être pour nous illuminer, mais qui souvent est absente : la ville est respectée et appréciée, mais M. Cannaò l'entend surtout obscure, dans tous les sens. Et en effet la lune, présente ou absente, est toujours acclimatée dans un paysage qui a quelque élément réaliste de la Sicile : la lune sphérique au-dessus d'une maison, d'un effet à coupole arabe, ou les oliviers si tordus qui paraissent se transformer en des animaux. Voilà que les éléments réalistes prennent une autre route, celle du surréel, qui caractérise beaucoup de ses peintures à l'huile, et la lune se cramponne de ses griffes à l'horizon, ou tirée en bas par un homme au long crochet, avec surprenante et inconsciente affinité à un manifeste du futuriste Sinòpico du 1928.
Il y a le retour du thème de l'arbre enraciné à la terre, et revient la capacité d'être supérieur à ses obsessions, comme avait déjà justement remarqué Angela Manganaro. Et, surtout, on entend l'écho de la multiplicité de ses expériences : la peinture, l'eau-forte, l'influence des écrivains siciliens (Lucio Piccolo avec " Le esequie della luna " et Vincenzo Consolo avec " Lunaria "), et son passer et repasser de l'art figuratif au théâtre. Ce n'est pas par hasard qui quelques linoléums paraissent des fonds de scénographies. Mais ce qui est important est la suggestion qui dégage par ces gravures : si la majeur utilisation des couleurs blanches dans les tableaux les plus grands les rend plus proches de la peinture, dans toutes le signe et la " couleur ", le contraste, sont l'expression d'autant plus réussie que la richesse du monde intérieur qui les crée. Dans les linoleums de M. Cannaò la nuit est mystérieuse, mais pas tout à fait ennemie, le langage des signes rend (romantiquement ?) présente la lune, c'est-à-dire la lumière, même lorsq'elle semble ne pas y être : " Tacitae per amica silentia lunae "…Pas tout est obscur dans la nuit de notre temps, l'espoir ne nous laisse pas dans une totale solitude.

D'après " La sfida " (" Le défi ") par Angela Manganaro 

(essai tiré du Volume " Labyrinthes " - 1999)

Le labyrinthe en soi n'existe que pour celui qui est à l'intérieur du "mécanisme " : d'un côté le constructeur/auteur, pour qui le labyrinthe est un jeu de combinaisons "appliquées" à un parcours connu pour le rendre méconnaissable ; pour lui le défi consiste à conduire celui qui erre (le seconde élément de la triade) à bout de forces pour lui faire entrevoir ensuite la "lumière"ou bien une chance qui le pousse à continuer. Au bout il y a le spectateur qui de l'extérieur voit quelque chose qui n'est plus un labyrinthe mais un dessin bizarre, un problème esthétique peut-être, jamais un problème éthique comme pour celui qui le parcourt. Pour Cannaò envisager le labyrinthe veut dire être en même temps l'artiste, celui qui erre et le spectateur. Il se rend à la tension de la sonde, il accepte de se mesurer avec le signe qui va au-delà du prédéterminé car il sait que quelque chose vit sous les apparences et demande être dévoilé. C'est le point de départ, cette exigence de rendre visible son labyrinthe, qui a en soi l'inévitable erreur. Vitale erreur d'un errer, dans son double sens de continuer apparemment sans destination et de se tromper, se perdre, justement.
En cette double opposition consiste tout le charme et la monstruosité du labyrinthe : une poussée à la recherche d'une issue accompagnée par une espèce d'amour pour le labyrinthe en soi, et le jeu de s'égarer qui contemple son acharnement pour trouver une voie d'issue. Dehors reste celui qui croit pouvoir l'emporter sur le labyrinthe fuyant ses difficultés, comme soutenait Calvino, l'art ne peut pas fournir la clé pour sortir du labyrinthe mais peut définir la meilleure attitude pour trouver l'issue. C'est le défi au labyrinthe que l'art doit sauver, l'alternative est la capitulation.