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  "L'ECRITURE COMME DOUBLE DE L'EMOTION CHEZ LOUIS FERDINAND CELINE"

 

 

 

 de Jean-Pierre Vérot

 
 

(article en français)

 

 


 

La contribution essentielle de L.F. Céline à la littérature française est d’avoir provoqué des écarts.

La parution de son premier roman « Voyage au bout de la nuit » en 1932,  représente l’écart esthétique le plus significatif avec les différents styles littéraires de la même époque.

L’auteur, reconnaissant à plusieurs reprises que son style traduit ses émotions, il en résulte une œuvre dont les ressources expressives demeurent inédites, y compris dans la correspondance et les inouïs pamphlets interdits de réédition.

 

 

 

                

Mots clé :          Vie psychique   Ecriture     Emotions    Esthétisme   Style

 

                    

 «  C’est même à partir de ce moment là, je crois, que ma tête est devenue si difficile à tranquilliser avec ses idées dedans » p. 59, Voyage au bout de la nuit, LF Céline, Ed. Gallimard, Col. Folio, 1996, Paris.

 

 

 

Stylo-plume émotif

 

 

 

Question de style, la publication en 1932 de « Voyage au bout de la nuit » par un écrivain inconnu, fut suivie d’un climat passionnel, tant sur le plan idéologique, politique que littéraire.

Si le fond ne posait pas problème, la manière dont il était traité, c’était à dire son style, s’accordait bien avec certaines revendications du moment.

 

Il conviendrait d’examiner plus en détails, le décalage ou l’écart esthétique que l’écriture de L.F. Céline représentait pour cette époque.

Une lecture attentive, si possible non partisane des textes de Céline, notamment les pamphlets, fait apparaître que son style, plus erratique que pamphlétaire à mon avis,  réalise un accord « presque parfait » avec la crise intellectuelle des années 30.

En reprenant la formule de B. Jouy (1), il s’agit probablement d’un horizon d’attente dans lequel, les codes éthiques et surtout esthétiques sont d’une part, fortement remis en cause sur le plan économique et social, mais plus encore sur le plan littéraire.

Inaugurant avec une logique de l’interruption dans la syntaxe de l’écriture académique, le style émotif de L.F. Céline réalise un grand écart esthétique avec l’ensemble des courants de la littérature, au moment où les attentes du public étaient en mutation.

Question style, Céline était un mutant.

Pour aller plus loin, il faudrait se reporter au contexte historique des années 1920-30, dans lequel les publications, notamment aux éditions Grasset et Gallimard qui utilisèrent les techniques commerciales modernes pour produire des « Best Seller ».

A titre d’exemples, les publications du « Diable au corps » de Raymond Radiguet chez Grasset, ou du prix Goncourt de 1932 « Les Loups » de Guy Mazeline, contre L.F.Céline obtenant le prix Renaudot, furent précédées, accompagnées et suivies d’affiches, articles, interviews, photos etc, conduisant presse écrite et clientèles à regarder l’auteur d’un roman comme une vedette du show bis, plutôt que comme un écrivain.

C’est le moment où les grandes maisons d’éditions distribuent les livres dans les nouveaux points de vente : halls de gare, kiosques à journaux... Les bénéfices montent. Une littérature de consommation de masse voit le jour.

Image + écrit = Des cyclones de pèze ! formulation célinienne.

 

Dans la mesure où il intègre bien la nouvelle promotion du livre, le problème des prix littéraires devrait être examiné.

La place réservée à cet article ne permet pas de reprendre le contexte historique, économique, idéologique et littéraire des années 1920-1930.

 

 

L’écriture comme double de l’émotion

 

« Le style c’est une émotion, d’abord, avant tout, par-dessus tout… » L.F. Céline, Bagatelles pour un massacre  p.164, Ed. Denoël, Paris, 1938.

 

Aujourd’hui, toute réflexion sur les rapports entre écriture et vie psychique concernant L.F. Céline, ne peut ignorer les travaux d’Isabelle Blondiaux, titulaire d’une thèse de littérature sur Céline « Une écriture psychotique : Louis Ferdinand Céline » Ed. Nizet, Paris, 1985.

En 2004, elle publie également « Céline. Portait de l’artiste en psychiatre » aux éditions de la Société des Etudes Céliniennes.

Ses recherches sur la littérature se double d’une activité de médecin psychiatre. Comme L.F. Céline, elle mène donc une double activité, à la fois de médecin et d’auteur.

Retenons que les travaux d’I. Blondiaux font référence, le fait est assez rare pour être souligné, à la psychiatrie et non à la psychanalyse.

Il faut résister à la tentation du diagnostic clinique tant L.F. Céline nous y incite. On verse facilement dans c’est du délire, de l’hystérie etc, de même qu’il pousse le lecteur à être pour ou contre lui, c’est le second traquenard tendu. Les métaphores « agité du bocal, face de citrouille, ornithorynque, couscous,  loukoum…», points de suspension et d’exclamation tombants sur le papier comme une pluie de bombes (!!! ... !!!), gouaille surabondante, argot, cuistreries, onomatopées, néologismes (amourerie, blavouiller, bifteker, ménaupauserie, trouducteur, trompenserie etc), troncation, mots valise etc, rendent cet auteur ; émouvant, curieux, choquant, contradictoire, étonnant, raffiné, amusant, détonant, mais surtout dénotant, Céline dénote avec sa « petite musique » pour reprendre sa métaphore favorite lorsqu’il parle de son style.

Proust avait sa petite sonate, Céline sa petite musique.

 

La position de clinicien permet de refouler facilement les enjeux idéologiques, financiers, et narcissiques de l’auteur.

L’écriture de Céline a déjà conduit inexorablement, de nombreux critiques littéraires et autres lecteurs de son œuvre dans le labyrinthe des diagnostics : paranoïa…troubles thymiques… mythomanie… hystérie… névrose traumatique… hypocondrie…

Loin d’être neutres, voire s’annulant elles-mêmes, ces approches s’inscrivent dans une culture héritée du romantisme associant génie littéraire et folie, et en disent « davantage sur le lecteur que sur l’auteur du texte qu’elles se donnent pour objet » p. 149 I. Blondiaux, « Portrait de l’artiste en psychiatre. » Ibidem

 

Tout comme Maupassant, Zola, et notamment Proust dont le père était médecin, Céline n’était pas sans avoir acquis des connaissances en psychopathologie, surtout après avoir lu les travaux de Charcot sur l’hystérie et ceux de Dupré sur les névroses traumatiques. Par ailleurs, on peut supposer que son hébergement à l’hôpital psychiatrique de Quimper en 1942, ne fut pas sans lui apporter quelques connaissances en psychiatrie. Tout lecteur de « Voyage au bout de la nuit » peut se reporter au passage où Bardamu, héros légendaire du roman, est interné dans un asile réservé au traumatisés de la première guerre mondiale.

Bardamu raconte à Robinson ce qu’il a subi. Sans retenue et à sa manière, vidant le barda qu’il traîne depuis la guerre 14-18, la mue opère à mesure que les affects traumatiques se détachent de la vie psychique au rythme haletant de l’écriture, du moins en apparence. Ceci est également remarquable dans les pamphlets, notamment « Bagatelles pour un massacre ». En réalité, c’est le langage écrit, la belle « phraaase filée », le « style prout prout » comme aimait à le répéter L.F. Céline, qui est massacré.

« Bagatelles pour un massacre », titre qui pourrait chapeauter l’ensemble de l’œuvre. Pour L.F. Céline l’émotion est embastillée, enfermée dans le mensonge du langage académique incapable de rendre compte de la réalité émotive. 

«En ce qui concerne la littérature française (…) nous sommes les pupilles des religions catholique, protestante, juive…enfin des religions chrétiennes. Ceux qui ont dirigé au cours des siècles l’instruction des français, ce sont les jésuites. Ils nous ont appris à faire des belles phrases traduites du latin, du prêchi-prêcha, du sermon. On dit d’un auteur : « Il file bien la phraaase » moi je dis : « C’est pas lisible. » On dit « Quel magnifique langage de théâtre. » Je regarde, j’écoute : c’est plat, c’est rien, c’est zéro. Moi j’ai fait passer le langage parlé à travers l’écrit. D’un seul coup. » (2)

Et à la question « Que cherchez-vous à montrer ? » Céline répond : « L’émotion. Le biologiste Savy a dit une chose très juste : au commencement était l’émotion et pas du tout au commencement était le verbe. Quand vous chatouillez une amibe, elle se rétracte, elle a de l’émotion ; elle parle pas mais elle a de l’émotion. (…) Seulement, nous, on nous a donné le verbe. Ca donne l’homme politique, l’écrivain, le prophète. Le verbe c’est horrible, c’est pas sentable. Mais arriver à traduire cette émotion, c’est une difficulté qu’on ne s’imagine pas…c’est horrible…c’est surhumain…c’est un truc qui vous tue le bonhomme. » (3)

 

Le dédoublement s’établit à différents niveaux.

-         L’enveloppe de ce qui n’a jamais été dit ou la peau du non dit : « Ca a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. » (4),

l’aparté souvent cité, devient le support de l’expression des émotions céliniennes, créant un nouveau style, identifié à tort comme le passage de la langue parlée dans le langue écrite, alors que l’écart entre les deux est seulement réduit, s’agissant d’un rapproché inédit. Et si le contenu évolue au fil du temps dans ses différents romans, le style reste le même.

Retenons toutefois que la dernière phrase de « Voyage au bout de la nuit » se conclut par une formule dont le sens n’a pas été repris ; « De loin, le remorqueur a sifflé, son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l’écluse, un autre pont, loin, plus loin…il appelait (…) tout, qu’on en parle plus.» (5)

Rien que ça, dirai-je… après tout ce qui a été écrit et dit « qu’on en parle plus », rien que ça !

- Le surprenant pseudonyme que le Dr L. F. Destouches se donne ; « Céline », prénom

de sa grand-mère et de sa mère. Il y aurait beaucoup à dire sur le double, concernant l’héritage maternel dans ses rapports avec l’appartenance sexuelle de l’auteur. Jusqu’à sa mort, il a conservé une vieille casserole cassée venant de sa mère.

- Dans « Voyage au bout de la nuit », le couple Bardamu/Robinson, au nom révélateur,

allusion au héros du roman de D. Defoë « Robinson Crusoé » et à son  double Vendredi. Robinson, c’est un peu l’ombre ou l’envers de Bardamu, comme Vendredi serait l’ombre du Robinson Crusoë, ombre noire de surcroît.

Le choix de Céline n’est pas anodin, loin s’en faut.

- La gouaille, persiflante comme il se doit, s’efface de temps à autre devant le recours

à des expressions du XVIème ou XVIIème, « dame ! » par exemple, exclamation désuète qui signifiait « ma foi » ou « pardi » au XVIIème. De même que « Soye héroïque ! » qui doit être une forme subjectivo-impérative du verbe être dans le langage célinien, ce qui ne doit pas être simple à réaliser. Ou bien alors, lui qui a tant voyagé, « De Gold Coast à Chicago ! et de Berg-Zoom à Cuba ! ». Lui qui a « tellement expertisé de laiteries, … vu fonctionner de belles casernes » p. 99, Bagatelles pour un massacre.

- La ponctuation (… !!!...), déjà bien présente dans « Voyage au bout de la nuit »,

surabonde dans « Mort à crédit » et les textes suivants. Elle devient l’élément essentiel pour traduire ses émotions. Question d’altercation, reprendre son souffle, trouver une autre respiration, suivre le rythme haletant de la vie émotionnelle à transférer dans l’écriture. Céline trace, suspend, exclame, néologise, gouaille, ironise, se pose rarement, du moins le croit-on. En réalité, il accompli un énorme travail de relecture et correction des manuscrits. C’est dans l’altercation et en réduisant au maximum l’écart entre le français qui se cause et celui de l’écrit, que Céline s’empare des mots et de la syntaxe, pour produire une altérité, « une langue mineure » (cf. Gilles Deleuze et son travail sur F. Kafka) se nourrissant de tout ce qu’il à dû vaincre au cours de sa vie pour exister. Céline rechausse les mots, les replace, les recalibre, les enlève là où le lecteur les attend, bref ! il n’écrit pas le français central, courant, solide et reconnu.

 

Il semble inconcevable d’écrire quoi que ce soit sur Céline sans faire état des pamphlets : « Bagatelles pour un massacre », « L’école des cadavres », « Les beaux draps », « Mea culpa ».

Il  n’y a pas rupture mais continuité du style dans les pamphlets. Le fond change, notoirement anti-sémite, mais aussi anti-communiste, contre les francs-maçons, école, oisiveté, alcoolisme, protestants, catholiques, cinéma, congés payés, allocations familiales, urbanisation, avortement etc, responsables selon lui de la décadence dans laquelle la France est embourbée. Céline est avant tout, contre tout, vraiment tout contre tout, sauf le travail et la langue française dont il fait l’apologie.

 

Dans ses rapports avec la vie émotionnelle, l’écriture de L.F. Céline réalise un mixage singulier entre langue écrite et parlée, provoquant un rapproché inédit et un écart esthétique rarement atteint dans la littérature française.

La contribution la plus importante du style émotif représente un bouleversement dans l’histoire du récit romanesque. Codes et repères traditionnels ont été subvertis. Un nouveau plaisir du texte apparaît.

 

Notes:

(1)     Bruno Jouy, « Etude d’une réception », 1991 

(2)     CF. Interview avec Claude Sarraute pour le quotidien Le Monde, dans les cahiers Céline 2 : Céline et l’actualité littéraire : 1957-1961, Paris, NRF, Gallimard, 1978, p. 170-171.

(3)     Ibidem, p. 171.

(4)      P. 7 « Voyage au bout de la nuit, LF Céline », Ed. Gallimard, Col. Folio, 1996, Paris.

(5)     P. 505 « Voyage au bout de la nuit », LF Céline, Ed. Gallimard, Col. Folio, 1996, Paris

                                             

 

Biographie de Louis Ferdinand Céline

http://www.libriszone.com/lib/biblio/auteurs/louis-ferdinand.htm

 

Bibliographie:

« Voyage au bout de nuit » Voyage au bout de la nuit, LF Céline, Ed. Gallimard, Col. Folio, 1996, Paris.

« Mort à crédit » Col. Folio, Paris,

« Bagatelles pour un massacre » L.F. Céline,  Ed. Denoël, Paris, 1938.

« L’école des cadavres » L.F. Céline,  Ed. Denoël, Paris, 1938.

« Mea culpa » L.F. Céline,  Ed. Denoël, Paris

« Les beaux draps » L.F. Céline,  Ed. Denoël, Paris, 1941.

« Féerie pour une autre fois »

« D’un château l’autre » Col. Folio, Paris ,1973

« Rigodon »

« Guignol’s band »

 

        

 

 

 

 

 

 
 

 

 

 

 
 

 
 

 

 

 

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