|
Ces lieux de visites encadrées le sont parce que bien souvent l'enfant
se trouve aux prises avec une violence intrafamiliale lors de la séparation
qu'il est impossible de s'en dégager ensuite. Les juges aux affaires
familiales, les juges des enfants, les administrations font alors appel
à ces lieux encadrés pour tenter de dégager l'enfant
de ces passages à l'acte dont il pourrait être la victime
ou encore le témoin.
2.1 Violences exprimées dans les décisions au Point-rencontre
à Cholet 5
Point rencontre
Cholet |
Dossiers ouverts |
Violence explicite |
Violence évoquée |
Total Violences |
1993 |
19 |
3 |
2 |
5 |
1994 |
20 |
2 |
4 |
6 |
1995 |
24 |
3 |
5 |
8 |
1996 |
16 |
3 |
4 |
7 |
Total |
79 |
11 |
17 |
28 |
Nous entendons par " violence explicite ", soit des passages
à l'acte violents, coups repérés, arrêts de
travail, etc. par " violence évoquée " des témoignages
ou des propos énoncés dans les ordonnances, les jugements
ou les arrêts. Il s'agit là de violences souvent liées
au dysfonctionnement conjugal avant, pendant ou après la séparation
beaucoup plus que des violences parentales.
Ces violences sont significatives lors des décisions de justice
et les enfants en ont été souvent plus les témoins
que les victimes.
Pour Jacques PAIN, " La violence, c'est une commotion... , çà
touche en plein dans le vécu..., C'est toujours une atteinte...,
La violence c'est le débordement du pouvoir. C'est ce qui reste
comme recours ultime pour le pouvoir, quand il n'y a plus l'institution
pour le servir ". 6
Et dans le cercle familial, nous sommes bien là avec ce problème
du pouvoir non maîtrisé où " violenter l'autre"
devient une forme d'intimidation, de domination et de prise de risque
d'une maîtrise sans débat, la guerre conjugale fournissant
les munitions.
2.2 "Conflictualisation" conjugale, atteinte parentale
Dans la "conflictualisation" des relations conjugales, ce sont
bien souvent les enfants qui ne bénéficient plus des relations
sereines avec père et mère alors qu'ils ne sont pas forcément
visés par cette violence intrafamiliale.
Ces violences parentales qui attestent d'un conflit conjugal viennent
barrer la route à l'expression affective souhaitée et souhaitable
pour l'enfant dans sa double filiation. C'est ainsi que nous rencontrons
des parents qui ne savent plus comment " rejoindre " leur enfant
qu'ils reconnaissent à peine. La reprise relationnelle ne peut
se dérouler sans quelques difficultés et garde la nécessité
d'une présence sécurisante et affective.
Généralement, les parents qui viennent au Point-rencontre
ont connu de telles difficultés relationnelles qu'il leur est devenu
impossible d'accepter la moindre conciliation et la négociation
servirait plus leur différend que le bonheur futur de leur enfant.
Ces relations perturbées renvoient aux protagonistes des problématiques
narcissiques encore mal étayées et ne pouvant s'assumer
sereinement.
2.3 Emprise du désir parental sur l'enfant.
On observe également l'emprise du désir parental sur l'enfant.
L'enfant devient le bouclier de son parent hébergeant principal.
Le parent visiteur n'existe pas. La justice, pour le porteur du bouclier,
a tort de favoriser des relations entre parent visiteur et enfant... La
violence est présente faute de vraie rencontre car l'enfant est
confondu avec son parent " hébergeant " quand il n'est
pas utilisé comme justification d'un " je n'ai pas le choix
de le conduire " et/ou parfois porteur d'une parole d'abus, vrai
ou fantasmé.
Et nous pouvons faire notre les propos de Ronaldo PERRONE sur l'emprise
: " Dans l'emprise, on observe une colonisation de l'esprit de l'un
par l'autre "une mainmise", une invasion du territoire, un déni
de l'existence du désir chez l'autre, une négation de l'altérité
et de l'étrangeté de la victime... La différenciation
devient floue, les frontières interindividuelles sont progressivement
gommées et la victime est mise dans une relation d'aliénation.
" 7
Au-delà de l'emprise violente entre membres du couple, c'est de
l'emprise de l'enfant dont il sera question ici indirectement.
2.4 Autorité parentale conjointe, violences et paradoxes
Les décisions de justice attribuent généralement
(90 % des cas) l'exercice de l'autorité parentale aux deux parents
et, en conséquence, la relation aux enfants doit garder un minimum
d'échanges pour s'assumer dans un partage de cette autorité
mise à mal par la violence.
La loi du 8 janvier 1993 est venue modifier le processus de reprise de
relations et les parents qui gardent une part de responsabilité
à partager sont bien souvent dans l'incapacité de l'assumer
concrètement tellement les dimensions de la violence viennent parasiter
la construction relationnelle et affective.
Les parents ont-ils alors d'autres choix que d'accepter cette solution
quand la rencontre est devenue impossible au domicile de l'un ou l'autre
des parents pour cet exercice d'un droit de visite ?
Père et mère sont chacun de leur côté aux prises
avec de nombreux paradoxes :
· Responsabilité parentale souhaitée dans l'irresponsabilité
à l'assumer face à la loi,
· Regard parental envers l'enfant qui doit grandir à la
seule condition qu'il leur reste soumis et conforme,
· Accords pour l'exercice d'un droit de visite dans un lieu neutre
où l'on pense à l'enfant en ne pensant surtout qu'à
soi.
Le Point-rencontre devient lui aussi ce lieu d'expression paradoxale d'une
violence dans la cristallisation de tous ces paradoxes (les leurs et les
nôtres). La réponse, pour l'enfant, doit être cadrée
et encadrée au risque de ne pas être entendu pour ce qu'il
est lui, un enfant.
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Face à cette réalité complexe, les intervenants vont
devoir entendre ces multiples violences avant de les prendre dans la trame
de leur action. En effet, les parents sont " attachés "
à cette contradiction de ne pas avoir d'autre choix que de "
pactiser
" Ils permettent une rencontre qui ne pourrait qu'être
insatisfaisante ou viennent visiter leur enfant dans des conditions qui
gardent toujours une part d'insatisfaction.
S'il y a triple intervention, (la loi, le cadre, la relation) si simple
qu'elle soit au Point-rencontre, elle est généralement vécue
comme une intrusion dans une relation qui " normalement " n'aurait
pas de raison d'être. Généralement, il n'est pas indispensable
d'avoir recours à cet espace-temps, nommé comme tel "
Point-rencontre ", pour pouvoir échanger et être tout
simplement père ou mère avec ses enfants.
Dans notre cas de figure Point-rencontre, non seulement le parent visiteur
n'est qu'à moitié seul avec son ou ses enfants, mais encore
il est généralement dans un espace clos (A notre Point-rencontre,
90 % des visites sont prescrites " à l'intérieur du lieu
"). En clair, cela veut souvent dire que le parent visiteur ou les
parents ensemble n'ont pu ou n'ont su proposer d'autres alternatives immédiates
dans un autre espace-temps de construction de relations.
Il y a décision de justice qui arbitre et non médiation 8
au sens où nous l'entendons dans le cas d'une séparation
et d'un divorce. Il y a eu nécessité d'un tiers " arbitral
" dans le conflit aigu et l'indispensable décision devra permettre
la naissance d'une " alter-native non violente ". Quelques "
points-rencontres " peuvent aboutir, en deuxième temps, à
une médiation mais très rarement au début, surtout
en cas de violence.
Il n'y a pas eu " accord entre parents " mais la justice a dû
" trancher " dans plus de 80 % des cas, même si les parents
ont donné leur aval à une telle décision.
Cette réalité est doublement violente pour " la clientèle
Point-rencontre " :
· institution familiale violentée par une part de son échec.
· "institution Point-rencontre forcée ", ou "
passage en force ".
Pour nous, intervenants, à chaque fois, nous sommes renvoyés
à la double institution : la leur (leurs familles, si diversifiées
soit-elle), et les nôtres (le Point-rencontre pris dans l'organisation
fonctionnelle d'une association, notre propre fonctionnement familial
conscient ou inconscient, la mise en place de ces visites).
Mais en plus, cette mise en forme relationnelle nous ramène, à
chaque fois à un problème de relations en mal d'élaborations,
quel que soit l'angle sous lequel nous l'abordons.
Souvent, nous avons à nous faire violence en permanence pour intervenir
de manière pertinente. Comment n'être ni intrusif, ni "obstructeur"
à la mise en place d'une relation, mais devenir constructeurs de
cette alternative nouvelle ?
4.1 Violence de toute intervention. 9
Depuis l'ordonnance jusqu'au cadre et ses rigidités toute organisation
présente sa part de violence.
Il reste " l'accrochage "... le temps de la rencontre, à
quoi il faut ajouter, probablement, nombreuses de nos représentations
personnelles dans des interventions où émerge souvent la
violence.
Nos interventions viennent positionner l'Institution Point-rencontre dans
un " entre-trois " : le parent " visiteur ", le parent
" hébergeant " et l'enfant.
C'est toute la sphère de l'enfant, fils de ses deux parents que
la séparation vient relier autrement.
La position intermédiaire que nous souhaitons tenir est délicate.
Elle est cet " entre-trois d'un triangle " mère, père,
enfant. Elle est tout autant une présence intervenante qu'un tiers
capable d'articuler la loi (inter-dire), le cadre (Point-rencontre) et
les interactions (inter-venir) familiales souvent violentes.
4.2 " S'entre-tenir ", " in-ter-venir
"
" S'entretenir " au sens étymologique du terme c'est
" se tenir entre... " et aussi discuter avec : " je m'entretiens
avec vous ".
Au Point-rencontre, l'écueil à éviter dans ce "tenir
entre", c'est la transformation en images exclusivement négatives
(cibles de violence) de celui qui n'est pas là, du parent que,
finalement, nous remplacerions à chaque fois que nous sommes sans
l'autre
Par contre, tenir " une position de relais 10
" , dans l'attente d'un contact entre parent visiteur et enfant
" en angoisse ", c'est assumer un entre-deux temporaire et constructif.
C'est aussi passer d'une position de dualité à une position
triangulaire de médiation où la " neutralité
" vient agir comme caisse de résonances, pas de côté,
et, si possible, ouverture du système enfermé dans un jeu
transactionnel fou du " jeu de massacre réciproque, "
du " qui perd gagne " ! ".
Mais cette position de " relais " oblige " l'entretien
relationnel " équilibré et durable avec chacun des
parents, séparément puis avec l'enfant.
Quand il y a violence, le positionnement est particulièrement ardu.
La loi vient servir cette tenue, le cadre permet le discours de violence
déplacé, la relation filiale vient alimenter le lien.
L'intervenant devient un articulateur qui fonctionne dans un cadre précis
avec lequel il doit être au clair. Il articule son intervention
structurante avec les personnes venues soit conduire l'enfant soit le
visiter, là et pas ailleurs dans un cadre passager où "
la loi est venue fonder la relation.11"
Mais le lieu Point-rencontre est aussi un grand activateur de processus
violents retrouvés dans la relation Intervenant/individu acteur
où l'angoisse pourra souvent se traduire rapidement en violence
si rien ne vient faire trait d'union : parole, écoute attentive,
vigilance. Et c'est là toute la relation qui s'éprouve lors
des rencontres.
4.3 Contraintes : " nous ne pouvons pas ne pas nous
rencontrer... "
Cette " aide contrainte " est une sorte d'injonction relationnelle
prenant un double sens séparateur :
· Il y a renforcement de la contrainte : l'autre parent n'est pas
là, il ne doit pas être là et doit même quitter
les lieux, pour justement permettre la mise en place d'autre chose avec
le parent visiteur.
· Il se crée un nouvel espace totalement en décalage
aux espaces précédents et ce dernier garde, pour beaucoup
de parents visiteurs, une forme de frustration mal digérée
au départ.
La " contrainte ", dans le cas d'une ordonnance ou d'un jugement
plus ou moins accepté, est renforcée par cette sorte d'astreinte
à la gestion d'un droit de visite, vécu comme " sous
surveillance ", même si ce n'est pas le cas. Obligation de
partage
d'une autorité de père et mère. Droits
et devoirs
4.4 D'une violence à l'autre : la violence " fonctionnelle
"
Mais cette violence deviendra en quelque sorte " fonctionnelle "
dans le sens où elle aura une " fonction de relation "
signant ainsi l'attachement relationnel sur lequel vont prendre place
les intervenants attachés eux aussi à construire la relation
pas à pas moins contraignante.
Nous pouvons dire qu'il y a trois niveaux de décisions qui viennent
fonder le travail d'intervention :
· la décision
· les règles de fonctionnement
· la mise en relation dans les interactions.
Il y a toujours " arrachement " dans les séparations
qui viennent au Point-rencontre car l'attachement fondamental s'est souvent
opéré de manière complexe, avec bien souvent "
un travail de deuil non effectué pour accepter cette frustrante
réalité 12", comme nous
le précise Jean-G LEMAIRE.
4.4.1 Violence du cadre séparateur.
Pour l'étranger au Point-rencontre, le cadre présente une
rigueur qui renvoie lui aussi à la violence de par son fonctionnement
et son contexte environnemental plus ou moins facile.
Six règles définissent le fonctionnement de ce cadre :
- 1 - le temps qui est le temps de l'enfant et de son parent visiteur,
- 2 - les conditions d'accueil à respecter,
- 3 - la vacance du parent visiteur ou du parent disposant de l'hébergement,
- 4 - la violence interdite,
- 5 - le respect des autres familles,
- 6 - l'agrément du temps par le parent visiteur.
Mais le cadre, défini clairement, viendrait apporter un espace
de rituel pour construire une relation nouvelle, si possible non violente
pour l'enfant. Mais, de par sa nature, il est violent... au-delà
même de l'article qui stipule l'inacceptation de la violence.
Cette violence de la séparation s'entretient d'une dynamique parentale
mal assumée, s'accompagne d'une violence reprochée à
" l'autre ", ou d'un attachement fusionnel problématique
avec le ou les enfants :
- " Pourquoi aller voir cet étranger (le père biologique)
moi qui ai maintenant un autre papa (le beau-père, marié
avec maman) à la maison... ", nous dit E. qui vient voir son
père venu de Toulon et qui refuse de quitter sa mère. Il
faudra rester avec cet enfant pendant une bonne partie de la rencontre.
Mais avant, il s'agrippe à sa mère, prise dans un double
discours : " Va, -c'est la loi- voir ce type que je ne veux surtout
plus voir " !
- " Vous n'allez pas m'imposer de partir d'ici ", s'insurge
une mère n'a pas présenté son enfant pendant cinq
samedis et qui voudrait être présente au Point-rencontre,
le temps de la visite, avec, bien entendu, celui à qui elle voue
une haine sans merci pour contrôler la visite à son enfant.
Comment accepter de laisser l'enfant, " son enfant " (et surtout
pas " leur enfant ") à cet(te) autre décrit(e),
étiqueté(e) et désigné(e) comme " violent(e)
", auteur de traumatismes par ses excès de violence, "
à l'origine exclusive du climat de violence entretenue ",
précise une ordonnance pour un parent violent ?
Quant à l'enfant, en le rencontrant et en lui proposant une mise
hors du " danger parental " (" exercice en lieu neutre
pour préserver l'enfant d'éventuelles violences dont il
pourrait être le témoin ", précise une ordonnance),
nous lui donnons un espace de transition anxiogène qui sera un
moment de solitude, mais espace constructeur au moment où il pourrait
penser qu'il n'a aucune subjectivité mais qu'il doit rester "
collé " à son parent " hébergeant "
pour s'opposer à son parent " visiteur "...
4.4.2 Violence de " l'abandon " de l'enfant au Point-rencontre.
L'enfant laissé auprès des intervenants se trouve "
abandonné ", si rassurantes que puissent être les paroles
chaleureuses et le sens que chacun peut donner aux mots et gestes effectués.
Même si nous savons la fonction structurante de cette " angoisse
d'abandon ", l'enfant va aussi construire son devenir intersubjectif
de filiation dans ce cadre.
C'est toujours un arrachement car comme le précise BERGERET, toute
séparation garde un caractère de violence au sens de "
dynamisme fondamental 13" .
Parmi les enfants venus au Point-rencontre, plus de 30 % ont moins de
six ans, âge où pour les populations rencontrées bien
souvent "la séparation fait problème" et il n'est
pas rare de voir les enfants s'accrocher, s'agripper au parent, faute
de pouvoir encore prendre une distance qui devienne négoce, variation
ou transition. La difficulté est double quand l'autre parent n'a
jamais pris sa place. Ici, la dimension subjective va devenir prise de
sens et l'enfant va porter en lui toute cette dynamique conflictuelle.
L'enfant devra trouver dans l'espace psychique de construction du Point-rencontre
les bénéfices de cette frustrante réalité
que représente la séparation.
4.4.3 Violence de l'intrusion dans une relation privée.
S'introduire dans une relation au Point-rencontre, c'est se mettre en
contact avec deux systèmes en recherche de nouveaux repères
dans un contexte d'exclusion souvent réciproque.
Pour les enfants présents, au début, chevaucher les frontières
c'est avoir choisi son camp... La " guerre ", entretenue par
les parents, ne peut laisser à l'enfant qu'un espace impossible
où la double appartenance serait une vengeance, un " tu ne
m'aimes plus " entraînant la rancur.
L'espace personnel qui serait d'être un peu chez l'un (le parent
chargé de l'hébergement principal) mais aussi un peu chez
l'autre (le parent visiteur) devient trahison, voire rejet mais de toute
façon violence inacceptable et objet de la haine encore violente.
4.4.4 Violence de la séparation d'avec le parent
visiteur.
Deux heures d'exercice du droit de visite, soit quatre heures mensuelles,
soit 0,55 % du temps passé avec l'enfant dans une année...
soit 1/200ème du temps pour construire une relation affective en
mal de tissage, privée de liens... dans un contexte de dénégation
du sujet, estampillé une fois sur trois, de " violent... "
Si rien ne bouge et que tout est figé, ce lien ne peut s'élaborer
tout seul, il lui faut du répondant et la séparation de
fin de Point-rencontre devient épreuve de violence si les mots
ne viennent pas entourer cette distanciation :
è - Eric entend sa mère arriver à l'accueil et s'en
va en courant sans rien dire à son père. L'intervenant doit
venir le chercher pour qu'il puisse dire "Au revoir" à
son père. sinon quelle violence ?
- M. B. vient rendre visite à ses deux filles. A cinq minutes de
la fin des deux heures, d'une part, il épie l'arrivée de
son ex-femme et d'autre part, il profite du désordre du départ
pour "badigeonner" ses filles de crayon feutre (les mains les
cils et sourcils), les marquant de son emprise violente.
Il faudra faire une mise au point pour parler avec Monsieur B. de ce qu'il
inflige comme violence à ses enfants en faisant de la sorte.
- " Tu vas revoir ton parent dans 15 jours,... Vous allez terminer
cette rencontre et vous vous reverrez dans deux semaines, il ne te reste
plus qu'à dire à ta mère. A dans 15 jours, etc. "
C'est tout le travail d'intervenant sur la relation.
A ce moment là, la violence de cette séparation commence
à devenir vitale parce qu'elle introduit un espace et un temps
déplacé mais devenant plein de sens si le rituel de la rencontre
devient acceptable.
Alors, la relation au point-rencontre acquiert une fonction symbolique
chargée en communications affectives et donne sens à la
filiation revisitée.
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L'introduction prudente d'un " autre, alter, altérité,
alternative ", dans cette dualité d'opposition vient recréer,
voire créer tout simplement une possibilité innovante, mais
intrusive et source de violences intérieures. Il n'est pas rare que
certains adolescents nous demandent de fermer les portes et de ne pas les
déranger, par exemple.
Mais, à chaque fois, " les situations sont des espaces, temps
propres, signifiants " comme l'écrit Jacques PAIN 14.
Et dans ces signifiants, le Point-rencontre vient introduire l'altérité
là où chacun en est encore à de la fusion violente
et sans partage.
N'est-ce point là ces " espaces potentiels ", décrit
par WINNICOTT comme " espaces intermédiaires ", que la
violence reconnue pourra s'abandonner et créer l'avenir des relations
de l'enfant et de son père ou sa mère qu'il ne voyait plus
au service de la subjectivité de chacun ?
La loi vient introduire une ponctuation par l'ordonnance ou le jugement.
En décidant du Point-rencontre comme lieu d'exercice d'un droit
de visite, le juge aux affaires familiales, le juge des enfants vient
désigner un lieu tiers catalyseur d'une relation.
Les relations de filiation deviendraient perméables et, de ce fait,
modifieraient le rapport à la subjectivité de chacun. La
blessure narcissique se refermerait un peu, la violence se métaboliserait
pour des investissements relationnels autrement dynamiques...
è Grégory vient voir son père au Point-rencontre.
L'accès chez ce dernier lui a été refusé pour
cause de violence paternelle. Son père reconnaît sa part
de souffrance et de violence au moment des faits.
Il dit clairement aussi son attachement et son désir de construire
une autre relation que nous verrons évoluer dans l'espace de huit
mois de Point-rencontre.
Face à ces complexes violents pour tout enfant au Point-rencontre,
l'intervenant devient l'acteur relationnel qui va relier l'enfant par
le fil de sa lignée à ses deux parents sans danger.
Si la violence, au Point-rencontre, est partout et du côté
de tous : parents, enfants, intervenants, ordonnances ou jugements, elle
est aussi, comme l'exprime, Jean BERGERET, " fondatrice ". Elle
est là, présente, dans les mots, les gestes parfois et,
ces " deux fois deux heures mensuelles ", vont cristalliser
plusieurs phénomènes nouveaux pour chacun des acteurs présents
:
· Il y a la dimension subjective de chacun qui revit des affects
liés à une histoire subjective et familiale,
· Il y a les phénomènes de groupes souvent peu maîtrisables,
· il y les multiples tensions, "sous-tendues" par les
problématiques de chacun.
L'intrapsychique violent envahit l'interpersonnel créant un climat
anxiogène et tendu, parfois limite mais toujours limité
par ces deux dimensions que sont le cadre et la subjectivité de
chacun.
C'est bien là toute la dynamique du Point-rencontre comme "
sous-tension fondatrice " d'une nouvelle position faite pour bouger.
Et comme l'exprime Jacques PAIN : " Nous sommes enjoints de faire
ce qui, dans le cadrage, n'est plus possible à tenir par d'autres.15"
Finalement contraints nous aussi à réaliser ce que les parents
n'ont jamais pu réaliser : leur séparation... Quels paradoxes
!
5.1 Fonction symbolique et violence au Point-rencontre.
Le Point-rencontre est une institution qui met en mouvement la double
violence : celle du cadre de toute institution qui porte en elle les germes
de la violence et celle de familles à transactions violentes.
L'articulation au symbolique ne se fait pas sans tiers et le Point-rencontre
occupe cet espace de tiers régulateur quand les personnes en présence
acceptent la triangulation de leur violence.
Face à la cristallisation de l'échec de la famille condensée
dans l'échec de la vie du couple, la violence de la décision
vient déterminer un enjeu : enjeu d'un après moins mouvementé,
enjeu d'un lien de filiation à sauvegarder, enjeu d'un espoir de
recompositions familiales sereines.
Quand la décision de justice impose le détour au Point-rencontre,
le passage par ce lieu est toujours une contrainte renvoyant à
chacun père, mère, enfant la violence des affects positifs
retournés en négatif. Le lieu vient automatiquement réactiver
la dynamique violente et l'impossible accordage pour le bénéfice
de l'enfant.
L'angoisse est au cur même de cette relation et pose rapidement
le sujet comme celui qui voudrait immoler l'ex-partenaire ou son substitut
(l'enfant) sur l'autel de la vie. Supprimer l'autre devient une sorte
de réflexe archaïque de défense et de pulsion de mort
dans un rapport au pouvoir de la binarité : c'est lui ou c'est
moi.
Le Point-rencontre aura là à utiliser cette violence pour
que cette force anxiogène se métabolise en interaction d'attachement
et de relation dynamique et constructive au rythme d'un espace-temps encadrant
la mise à nu de cette énergie mal canalisable. La violence
va devoir se transformer en force vitale et productive d'une énergie
positive au profit de l'enfant.
Le Point-rencontre est un espace violent qui fonctionne comme mise à
l'écart, le temps de la rencontre, des projections et des résistances
individuelles et collectives. Mais il est un espace-temps créateur
et potentiel s'il y a "autorisation" (la loi) puis cadrage pour
faire aller-retour laissant place aux échanges verbaux et non-verbaux.
Dans cet espace le jeu devient constructeur du "Je" de l'enfant.
Passer des "maux de ventre violents" (agressivités réactionnelles
et/ou blessures narcissiques) au mot à mot d'un nouveau lien de
filiation c'est, au sein du Point-rencontre, se faire violence pour tenter
d'élaborer cette redécouverte que pourrait être le
balbutiement d'une relation affective avec des mots qui se conjuguent
lentement. C'est le plus souvent au travers de cet espace potentiel, décrit
par WINNICOTT, ici espace de jeu, jardin, goûter partagé,
parole dite, souvent mal dite mais soutenue, pas à pas relationnel
où le dire violent permet le franchissement de toute trajectoire
violente.
Au-delà de la cristallisation de la violence condensée au
Point-rencontre, c'est la permanence d'un tiers social permettant une
sorte d'exutoire. La loi d'abord, le lieu et son cadre ensuite, les intervenants
enfin sont là pour endiguer le déferlement d'une violence
affective sauvage. Ils sont aussi porteurs d'une violence légitime
mais tournés vers la reconstruction d'un lien existant mais défait,
en mal de construction violentée par la rupture du lien affectif
précédent.
La révolte de chacun des parents ne pourrait-elle pas devenir
violence fondatrice de racines de l'enfant ?
5.2 Restauration narcissique d'une fonction parentale violente.
Mais en même temps, c'est toute une dynamique parentale qui se reconstruit
autrement donnant à la violence les aspects d'une vitalité
souveraine qui appréhende la vie avec d'autres sentiments.
Dans les espaces " de tension " du Point-rencontre, l'organisation
met en place du temps et des espaces divers constructeurs créant
des conflits qui déplacent la violence première pour servir
la dynamique conflictuelle parentale normale.
C'est cette permanence d'un lien de triangulation à multiples visages
que permet le Point-rencontre 16: assumer
un brin de parentalité, restaurer le symbolique à partir
soit du deuil d'une réalité, soit à partir de la
mise en place d'une responsabilité nouvelle mise en acte dans ce
cadre ritualisé. Tout ceci fait violence.
Le Point-rencontre donne alors un autre visage d'un autre aspect de la
violence quand un enfant vient questionner son parent hébergeant
et lui signifier son attachement partagé mais parlé en présence
d'un tiers...
· C'est un visage de la violence renversée quand un parent
après plusieurs rencontres infructueuses mais symboliquement présent
vient enfin de discuter avec ses enfants et parvient à renouer
un dialogue alors que tout pont était coupé depuis longtemps.
· C'est un visage de la violence apprivoisée quand un parent,
deux ans après, passe au Point-rencontre avec ses enfants devenus
grands pour dire sa joie de pouvoir s'en occuper et qui plus est le jour
de Noël alors que deux ans auparavant il cassait tout à la
maison.
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Le Point-rencontre est une entreprise violente qui oblige la parentalité
à aller au bout de ses responsabilités quand une défaillance,
un échec, des distances, des accrocs sont venus mettre à mal
le rapport à la filiation.
Permettre la constitution de racines et la création d'un lien entre
un avant affectif douloureux et une alternative autrement responsable, c'est
tracer un présent affectif nouveau au service d'un futur identitaire
durable.
Le Point-rencontre renvoie chacun des pères et mères à
son histoire de vie : vie amoureuse, vie affective, vie sociale, vie de
famille. Il est particulièrement histoire de vie pour l'histoire
du sujet enfant en construction. En traçant la part de double enracinement,
l'enfant affermit et consolide les affects de sa propre historicité.
Le terrain expérimental affectif que représente le Point-rencontre
est un terrain fertilisant de devenir pour l'enfant. La loi dont il est
question ici est " la loi de l'ordre de la réalité symbolique
; la loi de l'introduction et du maintien au langage, la loi du père,
la loi de l'interdit de l'inceste, la loi de la castration. La loi dont
il est question ici est la loi oedipienne en quoi se nouent ces pulsions
de vie et de mort qui déterminent l'existence de tout être
humain. "
Le paradoxe de l'intervention " Point-rencontre " en face de
parents confrontés à la violence mais en face d'une autorité
parentale conjointe oblige une part de triangulation des relations. C'est
bien plus cette fonction médiatrice qu'encourage l'intervention
Point-rencontre qu'une médiation directe au service de l'avenir
de l'enfant.
Aussi pour finir élargissons peut-être nos horizons au travers
de ces quelques réflexions de Pierre LEGENDRE intitulées
" La fabrique de l'homme occidental " :
" Nous avons oublié que la Fabrique de l'homme, partout sur
la planète, est la fabrique des fils de l'un et l'autre sexe, comme
dit la tradition juridique de l'Occident... "
La fabrique des fils est fragile, comme est fragile le lien qui relie
chacun à l'humanité et comme est fragile le lien à
la parole... "
Il faut des mots des images et un corps pour que s'élève
la voix humaine. Il faut cela, plus, en quatrième dimension ; il
faut la raison de vivre. "...
La raison de vivre, l'homme l'apprend par les emblèmes; les images,
les miroirs. Qui manie le miroir, tient l'homme à sa merci. "...
Il y a derrière les emblèmes, les images, les miroirs un
vide, le gouffre, l'abîme de l'existence humaine. C'est cet abîme,
qu'il nous faut habiter. La raison de vivre commence là.... Que
signifie le vide pour l'homme ? Nous savons qu'il faut du vide entre les
lettres pour qu'il y ait des mots et que sans la séparation des
mots et des choses il n'y aurait pas de vie dans l'espèce humaine.
"
Le langage nous sépare de choses, Il sépare l'homme de son
semblable et de lui-même. Le langage est le miroir pour l'homme.
"
Partout, on le constate au cours de notre histoire ensanglantée
: là où les humains ne supportent plus la parole, réapparaît
le massacre..."
Venir au monde, ce n'est pas seulement naître de ses parents, c'est
naître à l'humanité.
En occident comme dans toutes les civilisations, l'homme doit naître
une seconde fois, naître à ce qui le dépasse lui et
ses parents. Séparer l'homme, humainement, c'est lui enseigner
au-delà de sa personne, le conduire par la parole jusqu'aux portes
de l'Abîme, lui monter par ou passe le désir de l'homme ?
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(1) L'étiquette " Point-rencontre " est une appellation
ayant fait l'objet d'une déclaration à l'I.N.P.I. et déposée en France
par l'Association Française des Centres de Conseil Conjugaux (AFCCC).
(2) Document Point rencontre.
(3) GRÉCHEZ Jean, "A quoi servent nos enfants ? Tu nous
quittes ? Je t'attendrai à travers notre enfant ! ", Dialogue N° 125,
1992.
(4) FEDERATION DES LIEUX D'ACCUEIL POUR L'EXERCICE DES
DROITS DE VISITE
(5) Source, les 79 propositions judiciaires de Point-rencontre
effectuées entre le 20 mai 1993 et le 30 juin 1996.
(6) PAIN Jacques, Violence, conflit et médiation, Paris,
Idées, Matrices, p. 13.
(7) PERRONE Ronald, NANNINNI Martine, Violence et abus
sexuels dans la famille, ESF, Paris, 1995, p. 95.
(8) "permettre à deux personnes mariée ou non mariées
d'organiser leur séparation et d'aboutir à un protocole d'accords de telle
sorte que l'entente puisse répondre aux besoins de tous les membres de
la famille." Le médiateur N° 10, octobre 1995.
(9) Mémoire de fin de formation à la médiation
familiale, Christian CHAMBERT " Violence et point-rencontre, une
médiation impossible ", décembre 1996 Université
de Paris X Nanterre
(10) PERRONE Reynald, NANNINI Martine, Violence et abus
sexuels dans la famille, ESF, Paris, 1995, p. 40.
(11) Plaquette de présentation du Point-rencontre.
(12) LEMAIRE J.G. Le deuil du couple, Parents au singulier,
Revue Autrement, 1993 N° 134, p.78.
(13) BERGERET Jean, La violence fondamentale, PUF, Paris,
1985, p. 222.
(14) PAIN Jacques, Corps et langage, La violence à bras
le corps, "Pour une approche interne de la violence,"
(15) PAIN Jacques, L'institution, la Violence et l'intervention
sociale, Violence, conflit et médiation, IDEES, Matrices, 1994, p.13.
(16) CLERGET Joël et Marie Pierre, Place du père, Violence
et paternité. P.U. Lyon, 1992.
(17) CASTETS Bruno, La loi, l'enfant, la mort, Fleurus,
1971.
(18) Pierre LEGENDRE, Arte, Octobre 1997
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