Mahsa Amini est torturée à mort pour n’avoir pas bien porté « le voile islamique » dans son pays, en Iran. Elle avait vingt-deux ans. La vie l’attendait : la mort l’a sauvagement emportée parce qu’elle ne voulait pas obéir à l’ordre féodal, patriarcal, théocratique et fasciste des mollahs qui avaient fait, eux, leur révolution islamiste, en 1979 ; cette révolution qui avait excité intellectuellement même le philosophe Michel Foucault (qui s’était lourdement trompé sur son sens) mais n’avait pas impressionné la journaliste Oriana Fallaci qui avait arraché le voile, l’avait jeté devant Khomeiny et l’avait quitté sans finir son interview avec lui.

L’ordre théocratique iranien voulait libérer les Iraniens de la dictature impériale féodale du shah d’Iran, couronné empereur sur un trône d’or serti de milliers de pierreries, une vision que l’histoire a déjà jugée : on ne méprise pas impunément les peuples…

Le voile islamique a fait couler beaucoup d’encre et a servi à dire aux islamistes qu’il libère les femmes, plus que cela il est leur symbole, leur étendard, leur marque agissante sur le tissu social iranien ; en Occident, également, certains gauchistes laïques, et ils sont très nombreux, défendent le port du voile pour les femmes musulmanes, comme une liberté de choix, comme un droit parce qu’il correspond aux croyances religieuses que chacun doit respecter, même athée et même agnostique. C’est la liberté de croire telle que s’exprimant dans les démocraties occidentales.

En fait, les musulmanes qui le portent et qui en parlent disent qu’elles le portent fièrement parce qu’elles ont la profonde certitude que c’est un devoir religieux et que cela correspond à leurs plus intimes foi et convictions religieuses. Dans la réalité, il y a une infinité de possibilités physiques de porter le voile, intégral couvrant tout le corps ou ne couvrant que la chevelure, hijab, niqab, etc. Celles qui le portent sans problème sont de vieilles femmes qui y sont habituées depuis l’enfance, soit ce sont celles qui sont obligées par les pères, maris ou frères, soit ce sont celles qui se sont secondairement voilées après avoir eu plus ou moins longtemps les cheveux au vent. Certaines voilées sont des converties, à partir d’autres religions, en général, des chrétiennes vivant en Europe. Des petites filles sont voilées sans qu’elles sachent pourquoi on enveloppe leur chevelure : le médecin psychiatre Saadeddine Othmani, ex-premier ministre du gouvernement islamiste (2011-2021) au Maroc, a déclaré, avec bonheur, que sa fille s’était voilée toute seule à l’âge de huit ans, ce qui l’avait profondément contenté : c’est une aporie qui apparait dans cette attitude affichée par un scientifique.

Il y a celles qui trichent en s’en revêtant puisqu’on rencontre même des prostituées qui le portent. Il y a celles qui le portent comme une protection contre les hommes dans la rue qui n’oseraient plus les harceler de ce fait : c’est en tous cas ce que beaucoup d’entre elles prétendent. Beaucoup d’adolescentes et de jeunes filles disent qu’elles le portent parce que c’est imposé dans leur quartier, par les frères, les voisins, les femmes plus âgées. D’autres enfin prétendent que c’est une forme de la beauté féminine musulmane car il met en valeur le visage et les yeux. En fait, les filles et les femmes se voilent en majorité sur le désir, l’injonction ou l’ordre d’hommes qui le leur recommandent ou les obligent à le porter, parfois de façon drastique comme dans le régime iranien.

Le problème du voile n’est pas résolu parce qu’il est très complexe et fait intervenir des paramètres religieux, sociaux, traditionnels familiaux, historiques et surtout psychologiques.

Ce que l’on ne sait souvent pas et ce que les journalistes occidentaux ne savent pas ou ne disent pas ou négligent de le dire, c’est qu’il y a des femmes musulmanes ou nées musulmanes qui refusent absolument de porter le voile, qui pensent que c’est une servitude, une agression contre leur féminité, une castration et une destruction de leur liberté.

En fait, c’est le journalisme occidental qui a surmédiatisé jusqu’à l’intolérable, depuis une quarantaine d’années, « le voile islamique » et lui a donné une publicité planétaire : journaux, magazines, télévisions, radios, livres, n’ont jamais fait de publicité autour des femmes arabes et musulmanes non voilées, dites « modernes ».

La symbolique de Voile

Le voile, -du latin velum, rideau, tenture-, est un vêtement ou un tissu traditionnel et/ou religieux destiné généralement à masquer tout ou partie du corps et parfois du visage d'une femme. Il est donc associé à la dissimulation et au secret.

Dans l'antiquité romaine, le voile était associé au mariage (donc au sexe) et, à cet effet, les mariées portaient un voile de couleur rouge-orange. Dans le même temps ou bien longtemps auparavant, le port du voile est documenté dans des textes législatifs en Assyrie durant la période de 2400 à 1200 av. J.C., permettant d'établir la distinction entre hommes nobles ou mariés et esclaves : le voile était moins une restriction qu'une prérogative réservée aux hommes libres. Il leur laisse le visage découvert mais recouvre leur tête et descend jusqu'aux pieds.

Présent notamment dans les traditions chrétiennes et musulmanes et souvent associé aux femmes, il prend de multiples formes et est souvent fabriqué dans un tissu léger d'une certaine transparence, mais peut aussi être opaque. Le voile est un accessoire avec une tradition culturelle ancienne, attestée depuis l'Antiquité, empreint d'une symbolique propre à chaque contexte culturel ou religieux et à chaque époque.

Il renvoie à l'image qu'il convient de donner de soi et au rapport au corps.

Il a pour but de marquer les différences sexuelles, sociales, la respectabilité, la pudeur, le sacré. Les linges qui dissimulent le corps ou le visage d'hommes, comme celui des pénitents, des hommes bleus nomades du Sahara, etc. se désignent toujours par un autre mot que le mot voile.

Le voile couvrant les cheveux des femmes correspond à une tradition proche-orientale mentionnée dès le premier millénaire av. J.C et servant à distinguer les femmes libres des esclaves. Dans la tablette « A 40 » des lois assyriennes du roi Téglath-Phalasar I^er , vers 1000 av. J.-C., le voile est interdit aux esclaves et prostituées.

Les historiens s'accordent sur la fonction du voile lors de la diffusion de l'islam ; l’étoffe portée sur les cheveux avait pour vocation de distinguer les femmes esclaves des femmes libres. Aux premiers temps de l'islam, à Médine, il était recommandé aux femmes de le porter lorsqu'elles sortaient du domicile, la nuit, pour faire leurs besoins dans la rue (comme c'était l'usage à cette époque) afin que les hommes ne les confondent pas avec des esclaves dont ils pouvaient librement abuser ou des prostituées.

Cette origine, étroitement liée à l'esclavage dans les sociétés anciennes, n'est pas mentionnée par les partisans du voile dans les sociétés contemporaines, dans lesquelles cette raison d'être, historique, et l'esclavage, ont disparu. Bien que la façon de le porter soit contestée au sein même de l'islam, le port du voile est traditionnellement considéré comme obligatoire ; les deux écoles chiites et sunnites sont majoritairement d'accord sur cette question car l'obligation de porter le voile est de source divine, mentionnée dans le Coran à deux reprises.

Mais, paradoxalement, ce sont les femmes qui, aujourd’hui, se sont révoltées après la mort de Mahsa, la jeune étudiante : sa mort le 16 septembre 2022 à Téhéran trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés » est déniée dans sa violence par la police (qui affirme qu’elle a soudainement souffert d'un problème cardiaque et été immédiatement transportée à l’hôpital où elle est morte après trois jours de coma, sans s'être réveillée) : les autorités iraniennes nient toute responsabilité dans la mort de Mahsa Amini et affirment que la jeune femme aurait été victime d'un « problème cardiaque soudain » sans qu'il y ait eu « aucun contact physique » entre elle et les agents. La jeune femme se serait effondrée après un interrogatoire, face à une agente : il faut souligner que c’est aussi une femme qui manipule la répression et l’inquisition car le régime a ses fonctionnaires et tortionnaires féminines.

Le média « Iran International », basé à Londres, hostile au régime iranien actuel, diffuse des images présentées comme un scanner du crâne de Mahsa Amini, montrant « fracture osseuse, hémorragie et œdème cérébral », (blessures contradictoires avec la version des autorités), dues à des coups répétés portés à la tête de la victime. Le 7 octobre, le rapport médical officiel sur la mort annonce que celle-ci serait décédée suite à « une maladie au cerveau ».

Ce n’était pas la première fois que des Iraniennes étaient torturées et tuées.

Aujourd’hui, il y a 25 femmes et filles tuées par la révolution actuelle sur plus de 500 morts au 6 décembre 2022. L'annonce du décès de Mahsa provoqua de nombreuses réactions de protestations au Kurdistan iranien, dans les universités ou dans les rues en Iran.

L'état de santé du Guide actuel de la Révolution Ali Khamenei laisse craindre qu'il ne décède à brève échéance, ce qui incite les autorités à faire preuve de plus de rigueur dans l'application de la Velayat-e-faqih des conservateurs de la jurisprudence ou gouvernement du docte.

Mahsa Amini est née à Saqqez dans la province iranienne du Kurdistan. A son arrestation, elle était en vacances à Téhéran avec des membres de sa famille et s'apprêtait à suivre des études universitaires dans la province de l'Azerbaïdjan occidental : il faut insister sur le fait que les femmes kurdes sont laïques, ont fait la guerre armes sur l’épaule contre Daesh, ne sont pas voilées et font partie des quatre régions kurdes persécutées par les quatre pays auxquels elles appartiennent, Syrie, Iran, Turquie, Irak.

En ce sens, Mahsa, une Kurde, n’a bénéficié d’aucune compassion des « gardiens de la révolution » et de la police des mœurs. Elle fait partie d’un corps social rejeté par le pays, ce qui prédispose les Kurdes au nettoyage ethnique (sous Saddam Hussein) et à la persécution systématique par le régime fasciste turc actuel : Erdogan fait voter des lois en faveur du port du voile et en le recommandant ouvertement à toutes les femmes turques ; en ceci, il détruit l’héritage du Père de la Nation turque, Kemal Ata Turk, c’est le meurtre du père par un fils qui ne se contente pas de la mort consommée mais exerce un pouvoir détruisant le legs du patriarche.  

Des manifestations hostiles au régime ont eu lieu dès l'annonce de la mort de Mahsa Amini, se sont poursuivies les semaines suivantes, au Kurdistan iranien, à Téhéran et à Machhad, puis partout. Dans de nombreuses villes d'Iran, les femmes enlèvent publiquement leur hijab ou se coupent les cheveux. Fin novembre, plus de 300 personnes ont été tuées par les forces de l'ordre, usant de gaz lacrymogène et de vraies balles. Des enfants sont morts lors du "vendredi sanglant". Des canons à eau sont déployés face aux étudiants. Au Kurdistan, Internet est coupé.

Le 11 octobre 2022, la ville de Paris attribue la citoyenneté d'honneur —à titre posthume— à Jina Mahsa Amini « et à travers elle, aux femmes iraniennes luttant pour leurs droits ». La France a oublié qu’elle avait donné l’asile au vieillard qui a instauré ce régime en Iran : elle pensait récupérer les marchés iraniens en lâchant le shah malade : ce que la politique fomente, les sociétés en récoltent les conséquences.

On a vu les significations du voile et ses paramètres religieux, sociaux, traditionnels familiaux et historiques.

Mais son explication est surtout symbolique et psychologique : le voile cache la beauté de la femme ; en cela, il diminue le désir de l’homme et ne le provoque pas, ce désir étant fortement lié à la chevelure qui est un symbole universel de beauté, de force et de santé. Dans la plupart des cultures, ils expriment le pouvoir, la fertilité, en lien avec la séduction et la sexualité. Ces phanères, productions fibreuses kératiniques forment un des rares éléments du corps qu’on peut modeler et cette plasticité rend les cheveux expression de la personnalité : ils renseignent sur l’individu, sa position sociale, sa fonction spirituelle, son âge, ainsi, par exemple, dans certaines sociétés traditionnelles, les femmes adoptent une coiffure différente selon qu’elles sont vierges ou mariées.

Par ailleurs, les cheveux évoquent la puissance des éléments (le soleil, le vent, les eaux qui ondulent), ce qui renvoie au mouvement, à l’énergie vitale. Mais le symbolisme des cheveux comporte aussi un aspect plus sombre et ambigu. Dans la mythologie grecque, la Méduse, une des trois Gorgones, avait une chevelure faite de serpents et un regard pétrifiant. A la Renaissance, ce pouvoir est associé à celui de la femme fatale, les cheveux ont un pouvoir envoûtant, presque dangereux, pouvant également évoquer les ténèbres, le mystère, l’inconnu ou encore la partie la plus animale de l’être humain.

La signification symbolique des cheveux varie selon leur aspect, leur longueur, leur amplitude et leur couleur. La chevelure est liée à la personnalité et à l’identité, les cheveux longs expriment la force, la noblesse et la puissance, par exemple chez les rois, les princes, les aristocrates et les chevaliers.

Les cheveux détachés et lâchés expriment l’indépendance, la liberté ou la disponibilité sexuelle et érotique féminine, tandis que les cheveux noués ou dissimulés sous un voile sont signe de réserve et les cheveux épars (c’est-à-dire en désordre) peuvent être un signe d’excentricité, de jeunesse, de révolte ou, chez les philosophes et les sages, de liberté de pensée, de renonciation aux conventions sociales,

Par ailleurs, couper ses cheveux revient à effacer une part de soi, de même, se voir imposer une coiffure particulière, comme le chignon imposé dans certaines professions, évoque la soumission.

Les cheveux sont indissociables de la sensualité et de la volupté. Ils évoquent le charme et la séduction féminine et ce qui est caché et mystérieux chez les filles et les femmes, dont les cheveux peuvent évoquer la vanité, l’attachement aux apparences ou au côté éphémère des choses.

Dans un sens plus large, les cheveux évoquent la force vitale, la fertilité et la fécondité de la nature, ils poussent comme les cultures ou comme les arbres de la forêt.

 En conclusion, les cheveux sont l’expression la plus parfaite de la personnalité, trahissant l’état intérieur et psychique, délivrant un message à l’entourage, un signal souvent bien plus explicite qu’on ne pourrait le croire.

Ces quelques explications révèlent pourquoi les mollahs iraniens coiffés comme au Moyen-âge sur les miniatures persanes, ont si peur de la chevelure des femmes : la cacher, c’est se soumettre, la montrer c’est la parole de la femme qui dit la beauté, la force, la volupté, l’énergie de vie, la puissance, la liberté. Les mollahs, véritable laboratoire d’étude de la répression affective et sexuelle, ayant tout à la fois une phobie, une compulsion de répétition à y penser tout le temps et une obsession de la Femme, se battent dans une névrose spectaculaire contre leurs désirs réprimés (désirs pathologiques en ce sens) en éloignant d’eux « cet obscur objet du désir » qu’est la féminité dans sa splendeur incarnée dans les chevelures, mais aussi dans les formes des corps de filles et de femmes tout en croyant que la femme obéit plus facilement à Satan et qu’elle a été créée d’une côte d’Adam, signes ontologiques de son infériorité, d’où la nécessité de la défendre contre elle-même et de défendre les hommes contre elle… C’est tout ce débat qui est derrière le voile islamique. Le problème est loin d’être résolu mais les vies sacrifiées, comme celle de Mahsa, restent l’immense question, en sachant que les vies sacrifiées sont elles-aussi de deux sortes, puisqu’il y a la mort physique et la mort symbolique qui, elle, fait des milliards de victimes sur terre.

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