Last updated: 30, Aug., 2010 

     THALASSA. Portolano of Psychoanalysis

 

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CONVEGNO 2010

COLLOQUE 2010

CONGRESS 2010

ATTI DEL  CONVEGNO

ACTES COLLOQUE

CHRONOLOGIE DE LA PSYCHANALYSE

TEXTS ON LINE:

"Return to Dresden" by Maria Ritter

 

"Trauma and Resilience" by Sverre Varvin

 

"The lost object-the object regained" by Gerhard Schneider

 

"Split loyalties of third generation children of Nazi's" by H.C. Halberstadt- Freud

 

"Psychoanalytic Thoughts on Israel and the Siege of Gaza" by J. Deutsch

 

"Remembering, repeating and not working through: on the interactability of the palestinian israeli conflict" by H.-J. Wirth

 

"J'ai la honte" de Abram Coen 

 

"Remémoration, traumatisme et mémoire collective - Le combat pour la emémoration en psychanalyse"  de W. Bohleber

 

 

"De quoi témoignent les mains des survivants? De l'anéantissement des vivants, de l'affirmation de la vie" de Janine Altounian

"Les cachés de la folie" de J.-P. Verot  

   

 

 

 

 

Austria/Hungary
Balkans        *Serbia (History of Psychoanalysis in)
Eastern Europe
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Greece/Malta
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Spain/Portugal
Switzerland
Turkey, Armenia and Caucasian Rep.
Vatican
Tatiana Rosenthal and Russian Psychoanalysis

 History of Russian Psychoanalysis by Larissa Sazanovitch
-

 Israel/Palestine

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- Libya

 

 

Questo testo è tratto dal discorso pronunciato da J.-P. Vernant (morto il 9.01.2007) nel 1999, in occasione del 50° anniversario del Consiglio d'Europa, e che è inscritto sul ponte che collega Strasburgo a Kehl:

<<Passare un ponte, traversare un fiume, varcare una frontiera, è lasciare lo spazio intimo e familiare ove si è a casa propria per penetrare in un orizzonte differente, uno spazio estraneo, incognito, ove si rischia - confrontati a ciò che è altro - di scoprirsi senza

 "luogo proprio", senza identità. Polarità dunque dello spazio umano, fatto di un dentro e di un fuori. Questo "dentro" rassicurante, turrito, stabile, e questo "fuori" inquietante, aperto, mobile, i Greci antichi hanno espresso sotto la forma di una coppia di divinità unite e opposte: Hestia e Hermes. Hestia è la dea del focolare, nel cuore della casa. Tanto Hestia è sedentaria, vigilante sugli esseri umani e le ricchezze che protegge, altrettanto Hermes è nomade, vagabondo: passa incessantemente da un luogo all'altro, incurante delle frontiere, delle chiusure, delle barriere. Maestro degli scambi, dei contatti, è il dio delle strade ove guida il viaggiatore, quanto Hestia mette al riparo tesori nei segreti penetrali delle case.  Divinità che si oppongono, certo, e che pure sono indissociabili. E' infatti all'altare della dea, nel cuore delle dimore private e degli edifici pubblici che sono, secondo il rito, accolti, nutriti, ospitati gli stranieri venuti di lontano. Perché ci sia veramente un "dentro", bisogna che possa aprirsi su un "fuori", per accoglierlo in sé. Così ogni individuo umano deve assumere la parte di Hestia e la parte di Hermes. Tra le rive del Medesimo e dell'Altro, l'uomo è un ponte>>.

 


 


 
 
 
 
 
                      

 

 

 
 
 
 

 (en français)

 

FACE AU NéGATIONNISME,  rôle des instances tierces dans la vie psychique et politique des héritiers de survivants

 

 

 

Janine Altounian

 

 

 

 

 

 

Dans cette page a eté publié le texte  de l'intervention de Janine Altounian au colloque  "Id-entités méditérranéennes. Psychanalyse et lieux de la négation"(Lecce,  30 Octobre  2010).

 

 

JANINE ALTOUNIAN, essayiste et traductrice, un des membres fondateurs d’AIRCRIGE Association internationale de recherche sur les crimes contre l’humanité et les génocides  (http://aircrigeweb.free.fr ), est co-traductrice de  Freud depuis 1970 et responsable de l’harmonisation dans l’équipe éditoriale des Œuvres Complètes de Freud aux Presses Universitaires de France.

Née à Paris de parents arméniens rescapés du génocide de 1915, elle travaille par ailleurs sur la « traduction » de ce qui se transmet d’un trauma collectif aux héritiers des survivants.

 Elle a publié de nombreux articles sur la langue de Freud, la transmission traumatique et les ouvrages suivants:  « Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie »/ Un génocide aux déserts de l’inconscient (Préface de René Kaës), Les Belles Lettres/ Confluents psychanalytiques, 1990, 2003 (2° éd.);  La Survivance / Traduire le trauma collectif (Préface de Pierre Fédida, Postface de René Kaës), Dunod / Inconscient et Culture, 2000, 2003 (réimp.);  L’écriture de Freud/ Traversée traumatique et traduction, PUF/ bibliothèque de psychanalyse, 2003;  L’intraduisible / Deuil, mémoire, transmission, Dunod/ Psychismes, 2005, 2008 (réimp.);  Ricordare per Dimenticare. Il genocidio armeno nel diario di un padre e nella memoria di una figlia, Janine e Vahram Altounian, con un saggio di Manuela Fraire, Donzelli Editore, Saggine/107, 2007;  Mémoires du Génocide arménien. Héritage traumatique et travail analytique, Vahram et Janine Altounian, avec la contribution de K. Beledian, J.F. Chiantaretto, M. Fraire, Y. Gampel, R. Kaës, R. Waintrater, PUF, 2009.

 


 

 

 

Résumé:

Si, sur le plan politique, les meurtres collectifs ne sont rendus possibles que grâce à l'impuissance, voire la complicité des tiers avec le crime, dans la vie psychique des survivants, ils ont pour conséquence l'effondrement de la figure du tiers. Aussi le négationnisme ne peut-il être combattu frontalement mais seulement par la recherche ou la création de tiers "suffisamment démocratiques".

 

 

 

 

 

 

Les réflexions qui vont suivre se situeront dans le cadre restreint d’une triple délimitation:

1- Cet exposé se réfère à la problématique du négationnisme en rapport avec les effets psychiques des meurtres de masse sur la personne individuelle et sa relation envers ceux qui eurent pouvoir de vie ou de mort sur les siens;

2- Cette prise en considération du point de vue individuel et traumatique porte plus particulièrement sur l’héritier des survivants à ces violences en tant qu’il se voit contraint d’effectuer un travail psychique pour se dégager de leur emprise, tout en gardant fidèlement en mémoire la valeur subjectivante et politique de son histoire. Ce travail de l’héritier est bien sûr directement affecté par le maintien de la violence du passé dû au négationnisme au présent;

3- Ce qui est proposé est l’hypothèse d’une modalité de réponse au négationnisme qui évite tout autant l’aliénation stérile d’un quelconque intégrisme que l’oubli de la prise en charge du travail de mémoire et de justice, dû aux ascendants impunément assassinés. Cette proposition ne peut toutefois être considérée que comme un pari à soutenir face à l’évolution inquiétante des conditions politiques actuelles dont dépend, évidemment, la possibilité de cette réponse.

Cet exposé qui porte en fait sur le rapport des héritiers des survivants vis à vis de ceux qui nient les déterminations de leur destin répond, d’une certaine façon, à l’invitation que Paul Ricœur adresse « au niveau le plus intime de chaque citoyen, en son for intérieur »:

«  Un problème philosophique demeure :la pratique de l’amnistie n’est–elle pas nuisible à la vérité et à la justice ? où passe la ligne de démarcation entre l’amnistie et l’amnésie ? La réponse à ces questions ne se trouve pas au niveau politique, mais au niveau le plus intime de chaque citoyen, en son for intérieur. Grâce au travail de mémoire, complété par celui de deuil, chacun de nous a le devoir de ne pas oublier mais de dire le passé, si douloureux soit-il, sur un mode apaisé, sans colère »[1]

 

*

En guise d’introduction à mon propos, j’avouerais la vive irritation que je ressens lorsque je rencontre, chez mes interlocuteurs, des complaisances oublieuses des crimes passés ou bien des naïvetés qui s’attendraient à ce que les puissants de ce monde fassent régner la justice.  S’il n’y a, concernant les crimes contre l’humanité perpétrés envers les siens, aucun pardon à prodiguer ni aux bourreaux, ni à ceux qui les ont laissé faire, il s’agit en fait de se soustraire à la relation de dépendance, voire à un lien passionnel aux criminels ou à leurs descendants. Il importe avant tout de déjouer l’emprise de ces attentats à l’humain qu’entretiennent précisément le négationnisme et son audience au sein des pays d’accueil où vivent les héritiers des victimes. Être en mesure psychiquement, culturellement, politiquement de faire entendre ce que Hermann Broch nomme « le mutisme du meurtre »[2] exige que l’on se soit dégagé de cette emprise. Quelle posture libérerait de la portée aliénante des crimes et de leur négation dont il faut nécessairement, pour parvenir à y survivre, invalider avant tout leur pouvoir de destruction dans l’après-coup de leur transmission traumatique - faute d’avoir pu le faire au temps de leur perpétration ? Quelle position permettrait l’indépendance d’un travail de subjectivation où, cessant de se sentir victime de son histoire, on en deviendrait le sujet, à vrai dire un sujet dépourvu de toute illusion quant aux rapports politiques alimentant actuellement le négationnisme?

     Je commencerai par citer deux témoignages sur la terreur qui s’est exercée sur les persécutés vivant sous menace de mort. C’est en effet cette expérience de la terreur - qui ne peut se penser mais se transmet - que les héritiers des survivants ont notamment à métaboliser pour tenter de ne sombrer, ni dans l’agir autodestructeur des revendications impuissantes, ni dans la paresse du pardon profanateur des morts sans sépulture. La trace de cette terreur génère une profonde angoisse chez celui qui, insensible aux tentations paranoïaques, préfère ne pas la projeter sur son entourage ou le monde entier, afin d’obéir en cela à la double injonction émanant de ses ascendants : « assurer sa propre vie pour qu’ils n’aient pas survécu pour rien », « révéler leur histoire aux non exterminables », donc acquérir les moyens de le faire.

J’apporterai d’abord le témoignage d’un écrivain: Aharon Appelfeld puis celui d’un journaliste: Jean Kéhayan. Tous deux, le premier, survivant de la Shoah, le second, fils de survivant du génocide arménien de 1915, évoquent en effet un lien paradoxal douloureux qui noue parents et enfants sous terreur et qui marque d’une empreinte indélébile ce qui s’est transmis à eux. La vie affective de ceux qui partagent cet héritage se constitue pour ainsi dire de l’inconfortable alliage d’un tendre attachement aux parents ou à la famille d’appartenance et d’un savoir partagé mortifère sur ce qu’est vivre ses jours sous menace de mort. Or ce savoir intime, imprégnant d’une inquiétude diffuse les jours de leur enfance, est au plus haut point handicapant pour eux car, si l’effroi traumatique, peut-être non éprouvé par le sujet expulsé lors de l’effraction[3], traverse souvent les générations, il creuse chez ses héritiers un écart, une inhibition du contact spontané avec ceux qui semblent ignorer cet envers du monde : ce savoir suffocant que n’ont pas ceux qui vivent dans la sécurité et ses vaines certitudes tend à enfermer dans un repli ghettoïsant les parents survivants et leur enfant, à les séparer du reste du monde demeuré indifférent, voire complice ou impuissant face au pouvoir exterminateur.

Aharon Appelfeld:

     « À cause de cette terreur prolongée pendant tant d’années, chacun de nos sentiments, chacune de nos pensées passa par la fournaise raffinée de la souffrance […] Une telle souffrance ne fut pas le lot des enfants, bien qu’ils l’aient absorbée aveuglément par toutes leurs cellules, comme seuls les enfants peuvent absorber les choses. Dans cette confusion, il n’y avait pas de place pour les mots et les questions. Ils apprirent donc très vite à ne pas demander. Les expressions silencieuses leur apprirent comment emprisonner la peur.[…] Comment sauver les enfants ? […] Nous étions le sens de leur vie. Déjà à cette époque, à la hâte, dans la fuite, alors que nous voyions comment ils se sacrifiaient pour chercher un refuge où nous mettre en sécurité, nous sûmes que, dans leur autosacrifice, au bord de l’abîme, ils nous léguaient non seulement la vie mais la signification ultime de leur propre existence »[4].

 

Jean Kéhayan :

     « Nos parents, pénétrés par la mort, inspiraient naturellement le silence. Surtout pas de questions [...] nos jours et nos nuits se teintaient toujours de noir. Des récits de terreur à n’en plus finir. L’impossible à transmettre que ces litanies de peur et de souffrances devant lesquelles nous n’avions pas le droit de nous révolter. Les morts vivants peuvent-ils penser au destin des enfants? Je n’ai pas encore la réponse tellement la culture de la mémoire - par tous les moyens - me semble vitale [...] Il suffit de remonter la rue [de ma little Armenia marseillaise]. Chaque porte, chaque père, chaque mère colporte son histoire. Par cette obstination orale, ils ont réussi à garder la mémoire des suppliciés de Kars, des enterrés vivants d’Erzeroum. Ils ont perpétué l’histoire de la solution finale dans le désert de Der-Zor en Syrie où l’on violait les mères et les sœurs, où l’on étripait les nourrissons [...] Nous ne nous sentions pas étrangers mais plutôt d’étranges inconnus. Porteurs d’un secret intransmissible »[5].

 

    Mon troisième témoignage, celui du cinéaste Emmanuel Finkiel, suggère avec une particulière discrétion cet affect en double lien dans un épisode secrètement émouvant du film Voyages (1999) : Nous assistons à une fête de retrouvailles entre hommes et femmes rescapés de la Shoah qui, dans une ambiance commémorative, se réjouissent probablement d’être restés en vie, d’être réunis et de se revoir. Ils semblent être ensemble pour se parler, manger et boire, danser même, comme s’ils appartenaient à une association locale « d’anciens combattants » qui se seraient rencontrés pour s’adonner aux souvenirs rajeunissants de leur passé. Pourquoi sommes nous si bouleversés par un tel moment, tout compte fait, le seul joyeux de ce film éprouvant ? Sans doute parce que la tonalité festive de ces comportements implicitement codés qui cherche à étouffer les traces des terreurs inoubliées, réveille brusquement en nous les perceptions enfouies de semblables commémorations que nous avons bien connues, enfants, lorsque, blottis dans la chaleur particulière de notre abri familial, nous en ressentions pourtant l’insondable angoisse. Cette séquence constitue comme une métaphore de la douloureuse joie de vivre, transmise aux descendants des victimes, que ceux-ci se doivent, avant tout et durant toute leur vie, déchiffrer, dénouer, libérer de sa gangue émotionnelle explosive pour pouvoir, en y puisant, en extraire leur rapport singulier à leur propre destin.

En effet j’aurais envie de dire que, chez un enfant de survivant englué dans le lien fusionnel de cet alliage, le travail psychique consiste à en extraire, comme seul viatique pour ses jours à venir, l’affirmation et le plaisir à vivre de ses parents, le sens générateur de vie qui les habitaient avant la catastrophe. Aussi la construction et la mise en récit qu’élabore l’héritier pour se constituer ce trésor identifiant n’est-il en réalité rien d’autre que l’acquittement d’une dette à « honorer » envers cette vie qui lui a coûteusement été donnée.

« Dans le récit, écrit Jean François Lyotard, il faut [...] reconnaître [la dette], l’honorer, la différer. Dans la délibération, la questionner, donc la différer aussi. (Et c’est ainsi que le différend se fait jour dans la délibération et même dans le récit, ou autour de lui)[6].

 

Autrement dit, ce que réclame l’amour des parents, réapproprié après coup grâce au travail de deuil, ce n’est guère de se battre frontalement contre les négateurs, alliés de ceux qui attentèrent à leurs proches, leurs biens, leurs liens, mais de réduire ceux-ci à l’impuissance en acquérant une place de sujet là où celle des ascendants avait été éliminée, une place en leur nom et parmi les autres. On se rappellera ici l’analyse du philosophe pour qui cette destruction ne relève pas d’un « dommage » réparable mais d’un « tort », soit d’un « différend » non réductible à un « litige »:

« Un tort serait ceci: un dommage accompagné de la perte des moyens de faire la preuve du dommage. C’est le cas si [...] la phrase du témoignage est elle-même privée d’autorité [...] À la privation qu’est le dommage s’ajoute l’impossibilité de le porter à la connaissance d’autrui, et notamment à la connaissance d’un tribunal »[7].

 

Bien sûr, face aux pressions actuelles des intégrismes et négationnismes  florissants, on peut douter de la portée politique de cet affranchissement psychique qui, au sein d’un débat démocratique, conférerait à la parole de l’héritier une quelconque « autorité » susceptible de porter à la connaissance du monde le « tort » encouru. Mais au cas où l’on ne croirait plus que la métabolisation et la sublimation de la violence peuvent engendrer un dialogue où l’altérité des partenaires se négocie, malgré les exigences de la Realpolitik, dans un certain discours de vérité, au cas où cette issue serait désormais caduque, les fondements mêmes de notre civilisation s’en trouveraient anéantis. Mon hypothèse optimiste, acculée ainsi à l’espoir malgré la perte en crédibilité des institutions démocratiques en Europe, avancera donc que ce qui provoque l’implosion de l’emprise de la violence c’est le désinvestissement de toute adresse à un pseudo-autre -, grâce à l’élaboration de situations imprévues d’interlocution avec des tiers à trouver ou à créer.

Pour l’héritier des survivants, l’autre s’est effondré aussi bien dans l’Histoire du monde - il fut assassin, complice ou spectateur impuissant - que dans les relations précoces de son histoire infantile - il fut indisponible ou absent car psychiquement détruit. La tâche prioritaire qui s’impose alors à lui est d’instaurer une situation triangulaire créant de l’autre, un autre susceptible d’entendre la vérité sur son histoire. Rappelons ici la définition que donne Dany-Robert Dufour quant aux processus de validation d’une histoire:

« Pour que la transmission d’une histoire soit certaine, il faut en effet qu’elle soit entendue d’un autre par l’un, dite (traduite [...]) par le même, et ré-entendue par un troisième. L’unité de mesure, dans la pragmatique narrative, est donc constituée d’une suite de trois allocutions. [...] La notion de transmission d’une histoire [...]implique une suite de trois allocutions .»[8]

 

Cette loi régissant la rhétorique du discours de transmission peut se transposer en pratique comme suit: pour que l’histoire de mes ancêtres exterminés trouve place dans l’histoire du monde, il me faut rencontrer une instance politico-culturelle extérieure à mon histoire, qui, trouvant néanmoins elle-même quelque intérêt propre à l’entendre, lui offre une chambre d’écho et s’en constitue le médiateur pour la « dire/traduire » aux autres.

***

Pour l’étude des conditions de possibilité de cette rencontre il faut rappeler que l’expérience politique présente ici un point de jonction avec l’expérience analytique de tel individu qui cherche à se dégager de l’emprise exercée sur lui par le déni de son existence, de son autonomie ou de son histoire:  De même que sur la scène du transfert ce dégagement hors de la portée d’un éventuel meurtre psychique donne place, chez l’analysant, à une instance d’énonciation jusqu’alors inexistante en lui, de même on voit, à la lumière des travaux de Jacques Rancière, comment sur la scène de la « mésentente » démocratique, c’est la « situation même d’interlocution » qu’il s’agit d’invalider:

« le litige politique se différencie de tout conflit d’intérêts entre parties constituées [...] puisqu’il n’est pas une discussion entre partenaires mais une interlocution qui met en jeu la situation même d’interlocution »[9]

 

Or la temporalité requise pour circonvenir celle-ci en instaurant une situation inédite dont l’émergence démantèlerait, dans le champ de l’Histoire du monde, les relations duelles bourreau/victime, témoins/négateurs correspond à celle que réclame, des  héritiers de survivants, le travail de subjectivation des événements vécus par ces derniers et, par conséquent, l’acquisition corrélative d’une langue adéquate pour ce faire. La déprivation quant à la langue, occultée le plus souvent par les tenants d’une conception positiviste de l’histoire lesquels servent précisément la cause des négateurs de l’histoire a été rarement dénoncée comme le fait Shoshana Felman:

« Une victime, par définition, ce n’est pas seulement quelqu’un qui est opprimé, mais aussi quelqu’un qui n’a pas de langage propre, quelqu’un qui s’est fait voler le langage dans lequel il aurait pu articuler sa victimisation .»[10]

 

Parler la langue du pays d’accueil  de la survie parentale, qui va paradoxalement contenir, par déplacement dans ses représentations de mot, les affects néantisants et néanmoins nourriciers, essentiels, transmis par l’angoisse familiale, s’identifier aux formes institutionnelles et politiques de sa culture, cet apprentissage nécessite, il va sans dire, plusieurs générations. La douleur des pertes et la révolte changent en effet psychiquement de place et de nature, soit par le passage d’une génération à l’autre et de leurs déterminations politiques respectives, soit par le parcours d’un travail psychique ou celui de toute autre forme d’élaboration créatrice. Un réel désinvestissement de l’instance meurtrière ne peut se faire chez un individu que s’il s’approprie les données de son héritage en position de citoyen sujet, par le détour d’un déplacement et le recours à des appartenances plurielles, par un métissage de ses identifications qui, après coup, ménagerait un enracinement à l’entreprise de la survie parentale. La recherche de ces identifications inédites doit emprunter l’espace transitionnel de médiation des institutions de la culture d’accueil, pour autant que ces institutions sont réellement démocratiques. Chez les héritiers de deuxième, troisième génération, elle ne peut que s’étayer sur une alliance exogamique avec ceux qui, nantis du langage, vivent dans un monde – peut-être provisoirement – non menacé. La blessure infligée demeure intacte dans l’intimité du sujet, mais cette nouvelle configuration opère chez lui un clivage salvateur qui, ménageant une séparation d’avec l’histoire de ses ascendants, libère l’espace d’un dialogue conflictuel avec de nouveaux partenaires.

Avant d’esquisser les conditions socio-politiques qui permettent de réaliser cet écart spatio-temporel par le double déplacement d’une génération à l’autre et du lieu exterminant à celui de la terre d’accueil, il faut rappeler néanmoins l’impasse du cas où aucun déplacement n’est praticable lorsqu’il s’agit de la génération du survivant lui-même et d’une situation où il se voit condamné à côtoyer ses bourreaux et ses négateurs. Il suffit de comparer le traitement esthétique, par l’héritier cinéaste, du regroupement amical de survivants dans la scène précédemment évoquée avec un type de socialité impossible où les survivants doivent partager le pays des criminels. Une survivante rwandaise nous décrit, par exemple, un autre type de regroupement de « semblables » qui plonge la victime « dans la douleur parce qu’on ne vit qu’avec elle, dans elle, à coté d’elle  [en étant] heureux dedans » :

« Une vraie victime est un mort vivant, un mort errant, un mort travaillant, il est pris dans la société comme les autres, alors qu’il a perdu tout ce qui lui était cher [...] Il est inguérissable parce qu’il se plonge dans ses semblables qui le plongent encore dans la douleur parce qu’on ne vit qu’avec elle, dans elle, à coté d’elle. Nous sommes heureux dedans, tellement que nous pouvons passer des jours entiers ensemble avec d’autres rescapés sans se lasser de parler du passé »[11]

 

Cet exemple montre comment l’impossibilité du déplacement qui permettrait l’avènement d’une parole de sujet citoyen signe en même temps l’impossibilité du travail de deuil. Il en alla de même dans une situation analogue de côtoiement assassins/victimes qui se vécut sur notre propre territoire, dans la France de Vichy où:

« La société, les pouvoirs qui régnaient sur la vie, l’État, qui a pour obligation de protéger la vie des enfants, étaient déterminés à détruire les enfants juifs ; [...] Impossible de pleurer un parent quand on sait qu’on est soi-même appelé à mourir [...] quand on va mourir rien ne sert de porter le deuil des autres. »[12]

 

***

Bien que cet exposé ne relève pas des sciences historiques notons que, dans chaque configuration contemporaine de rescapés transplantés des lieux de leur vie et de leur culture, on peut montrer comment les accords diplomatiques présidant à leur histoire accusèrent l’absence de tout tiers médiateur susceptible d’interdire le pouvoir absolu des criminels auxquels ils furent abandonnés. C’est cette absence, tout autant que les violences autorisées par elle qui produit, dans un retour du réel, le négationnisme. Conformément à l’opportunisme d’une Realpolitik donnée, les pays d’accueil  respectifs des rescapés furent souvent impliqués, soit directement soit par un laisser-faire prometteur de bénéfices politico-économiques, dans ces mêmes événements meurtriers qui les expatrièrent et en firent des interdits de séjour laissés à la merci de l’hospitalité de leurs pays hôtes. Ce scénario n’est en rien particulier à l’histoire de tel ou tel génocide (arménien, juif, cambodgien, rwandais, massacres d’ex-Yougoslavie, d’Algérie, etc...). On peut à chaque fois y reconnaître les processus diplomatiques où se combinent et s’agencent sans contradiction aucune la liquidation des uns et le bénéfice des autres. « La Turquie a pu supprimer « la question arménienne », parce que l’Occident le lui avait permis » écrit Atom Égoyan[13]. Cette scène du meurtre est emblématique pour tous les rescapés qui se voient miraculeusement transplantés d’une partie du monde exterminateur à cette autre partie, laquelle, ayant fermé les yeux sur l’élimination des leurs, leur offre un lieu où il leur devient paradoxalement possible de rester démocratiquement vivants.

Si leurs héritiers doivent, chacun selon leurs moyens, élaborer psychiquement et politiquement le trauma collectif de l’Histoire qui a frappé leur famille d’appartenance, il ne leur devient possible de rechercher une position faisant entendre leur parole que dans certaines conditions sociopolitiques. Dans la mesure, en effet, où ils portent les traces d’une extermination qui s’est effectuée dans le silence d’un monde impuissant ou complice et sous le coup d’une violence en deçà de tout conflit, cette élaboration ne peut s’accomplir en eux qu'à l'aide de métissages instaurateurs de tiercéité, donc grâce à l'existence de tiers garants démocratiques, susceptibles d’affronter ambivalences et conflits. C’est précisément la parole de ces tiers qu’il faudra  convoquer pour déjouer l’impact du négationnisme[14], car aucun déni ne peut être combattu frontalement mais en débat avec un troisième terme, issu d’un déplacement sociopolitique des données initiales de ce qui fait l’objet du déni. Les institutions accueillantes, censées se prêter en démocratie à une vérification et à une conflictualité bénéfiques pour elles aussi, autorisent à penser que si le Tiers fut compromis, tous ses membres ne le furent et ne le sont pas. On peut donc les interpeller afin de rencontrer en eux des répondants, eux-mêmes intéressés par la « désidentification » d’avec les sécurités illusoires qu’induit « la cause de l’autre », quémandeur de vérité.

« la cause de l’autre comme figure politique, c’est d’abord [...] une désidentification par rapport à un certain soi [...] Une subjectivation politique implique toujours un ”discours de l’autre“[...] il y a de la politique, parce qu’il y a une cause de l’autre, une différence de la citoyenneté à elle-même »[15].

 

Il va sans dire que le recours à cette stratégie du détour n’est pas tributaire du seul travail intrapsychique. Il se trouve favorisé ou entravé par les conditions sociopolitiques que le lieu de vie des héritiers est en mesure ou non d’offrir à ses propres citoyens. On n’ignore pas combien celles-ci sont compromises par la crise actuelle de ces fonctions de cadre et de garant que devrait assurer le champ socio-culturel des pays d’accueil sur lequel s’étaye nécessairement, comme l’explique René Kaës, toute transmission[16]. Inversement, ce travail de construction psychique aura évidement une portée politique car c’est bien l’obstination ou la perversion, imaginairement toute-puissantes, à vouloir effacer l’autre qui alimente les négationnismes de tous bords ou les intégrismes dévastateurs.

Or ce sont ces conditions tolérant la conflictualisation qui se voient menacées de nos jours. Les intérêts économico-politiques attaquent les liens du monde social en le parcellisant au bénéfice d’organisations globalisantes prônant l’efficacité, si bien qu’on peut se demander si l’espace de cette mondialité marchande ménagera encore, et avec quels dispositifs d’échange, quelles constructions fantasmatiques d’altérité, les processus d’identification/ désidentification qui permettent l’accueil psychique de cet héritage traumatique en ceux qui ont à charge de la traduire à leurs concitoyens, apparemment protégés de tels effondrements.

Pour que cette traduction soit en mesure de désamorcer tout négationnisme, il faudrait précisément qu’elle puisse s’entendre d’un lieu hétérogène susceptible d’être toléré dans la « mésentente » du litige politique. Il faudrait qu’elle crée un dissensus pour que l’inadéquation des représentations du monde des autochtones à celles de leurs réfugiés ou assistés acquière de la visibilité. Faire entendre une partie du monde à l’autre suppose que le débat public accepte un discours hétérodoxe qui excède le cadre consensuel des dénégations implicites: 

« La démocratie est le nom d’une interruption singulière de cet ordre de la distribution des corps en communauté [...] Elle est l’introduction dans le champ de l’expérience d’un visible qui modifie le régime du visible »[17].

***

Pour conclure je fournirai l’exemple d’une  traduction  dont seule une institution démocratique de France me rendit possible une publication, à tous les sens du terme, qui, dans son après coup, revêtit pour mon travail une portée psychique et politique :

Ayant pris connaissance du Journal de déportation de mon père, j’eus d’abord recours en 1978, huit ans après sa mort, à sa traduction au sens habituel du terme. Intitulé « 10 août 1915, mercredi, tout ce que j’ai enduré des années 1915 à 1919 », ce manuscrit restituait des récits qui avaient peuplé mon enfance et celle de tous les Arméniens de mon âge. Leur déplacement dans une langue apprise à l’école me donna le moyen de les affronter en français[18] et de les publier d’abord aux Temps Modernes en février 1982[19], puis dans un recueil au titre cornélien : Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie[20].

Si, comme l’explique le psychanalyste René Kaës :

« le drame catastrophique reste […] en défaut d’énoncé et d’abord de représentation, parce que les lieux et les fonctions psychiques et transsubjectives où il pourrait se constituer et se signifier ont été abolis »[21], c’est sous l’effet d’un événement politique parisien qui, pour la première fois, rompit un silence de près d’un demi siècle[22]  sur le génocide arménien: la prise d’otages au consulat de Turquie en septembre 1981, qu’apparut en moi un substitut de ces « lieux et fonctions psychiques transsubjectives ». Certes, sans l’effraction spectaculaire du silence de l’opinion publique sur ce premier génocide du XXe siècle, c’est à dire sans le paravent protecteur de ce scandale dans la vie publique du pays qui avait accueilli mon père, il m’aurait été impossible de surmonter la honte d’accomplir, en mon propre nom et en toute autonomie, cette démarche de publication et je n’aurais rencontré aucun accueil éditorial à ce Journal. Pourtant, si le facteur proprement journalistique qui permit la mise au monde de ce manuscrit maintenu sous scellés n’intervint que dans un second temps, il est capital de souligner que ce type de relais médiatique n’a pu exister pour moi, déléguée du père, qu’au sein d’institutions démocratiques affrontant les rappels dérangeants du passé et à une époque où le négationnisme de l’état turc n’était pas aussi actif qu’à présent.

Comme Les Temps Modernes avaient déjà publié (de 1975 à 1978) trois de mes articles, je leur présentai également celui-ci. Il me fut rapporté qu’il avait été qualifié de «texte sauvage» par Simone de Beauvoir et fait l’objet d’un certain doute de sa part. Néanmoins, elle le publia. Elle incarnait dans ma vie d’écolière puis de femme ces institutrices de l’École de Jules Ferry, plutôt respectueuses de ce qui les dépassait, « bienveillantes quoique trop assurées »[23]. Chez un citoyen héritier de survivants, la subjectivation de son histoire peut difficilement se faire dans un environnement socio-politique n’offrant pas un tel étayage à la distanciation et à la médiation d’instances de délibération. La présence, devenue actuelle, de ces instances lui offre en quelque sorte l’espace d’une parole qui tente de dénoncer, après coup, leur absence d’autrefois qui laissa impunément œuvrer les bourreaux. Cette prise de distance est impossible quand aucune traduction culturelle, aucun repère mémoriel ne peut localiser, dans le monde actuel des vivants, ce qui alors se vit par l’héritier dans une contamination et un empiètement au sens winnicottien[24]. Le manque de délimitation entre les morts et les vivants qui induit souvent une rupture des liens peut le pousser à des passages à l’acte inefficaces ou au renoncement devant une tâche inassumable individuellement.

L’expulsion dans le champ public d’une histoire paternelle maintenue secrète me permit donc de la lire à distance, traduite dans une langue non « maternelle », mais acquise à « l’école maternelle » de la République, celle de mes institutrices « laïques », mères par déplacement, qui furent autrefois, comme je les ai nommées : « mères adoptives des sinistrés »[25]. C’est à leur sollicitude toute républicaine, nonobstant leur ignorance de mon histoire personnelle, que je dois le privilège d’avoir pu apprendre à traduire un jour en mots, ce qui s’entendait d’inaudible dans ce manuscrit. En éveillant ma curiosité pour un autre univers que celui, victimaire, de la maison, elles préparèrent ma rencontre avec la littérature de leur culture dominante mais aussi avec celle des écrivains attestant d’autres Histoires d’effondrement[26], aux assassins, aux complices, aux négateurs différents. Leurs « explications de textes » me permirent de démystifier le caractère unitaire, homogène, que j’aurais pu imaginairement attribuer à leurs semblables.

Je conclurai en rappelant que la pluriréférentialité des investissements chez les héritiers des violences collectives contribue, au delà d’une innovation psychique porteuse de vie, à une position politique féconde au sein des autres. Une nouvelle humanité, ne pourrait-elle pas se fonder sur des liens qui subvertissent le pouvoir du négationnisme et la visée de déliaison et d’effacement qui séparent une catégorie de survivants de celle des autres ?



[1] Paul Ricœur, « Mémoire, Histoire, Oubli », in Esprit, La pensée Ricœur, n° 323, mars-avril 2006, p. 25/26.

[2] Hermann Broch, “Esprit et esprit du temps”, Conférence prononcée à Vienne en avril 1934: “ Entre l’homme et l’homme, entre le groupe humain et le groupe humain règne le mutisme et c’est le mutisme du meurtre [...] C’est le bruit terrible du mutisme qui accompagne le meurtre”, extrait d’un passage cité par Catherine Coquio dans “À propos d’un nihilisme contemporain: négation, déni, témoignage“ in L’histoire trouée, négation et témoignage, sous la direction de Catherine Coquio,  Éd. L’atalante, 2003, p. 23.       

[3] Cf. S. Ferenczi, Journal clinique, Payot, 1985, entre autres, lettre du 24 janvier et du 25 mars 1932..

[4] Aharon Appelfeld, L’héritage nu, traduit de l’anglais par M. Gribinski, Éditions de l’Olivier, 2006, p. 30.

[5] Jean Kéhayan, L’Arménie « sans retour possible », in La Revue Autrement/ Le Livre du retour, 1997, pp. 160 à 163.

[6] J. F. Lyotard, Le Différend, Éd. de Minuit, 1983, p. 256.

[7] J. F. Lyotard, Le Différend, op. cit, p. 19. 

[8] Dany- Robert Dufour,  Les mystères de la trinité, Gallimard 1990, p.157.

[9] Jacques Rancière, La Mésentente / Politique et Philosophie, Galilée, 1995, pp. 140-141.

[10] Shoshana Felman « À l’âge du témoignage : Shoah de Claude Lanzmann, in Au sujet de Shoah, le film de Claude Lanzmann », Belin, 1990. p. 62.

[11] Speciosa Mukayiranga, « Sentiments de rescapés » in L’histoire trouée. Négation et témoignage, op. cit, p. 781/782.

[12] Bruno Bettelheim, Postface à Je ne lui ai pas dit au revoir, Des enfants de déportés parlent, Entretiens avec Claudine Vegh, Gallimard/ collection folio, 1979, p. 207.

[13] In The Globe and Mail (Canada), 3.02.07 : « Nous sommes tous Arméniens »

[14]Cf. l’article de Bernard-Henri Lévy paru dans l'édition du 02.02.07 du Monde.

[15] Jacques Rancière, « La cause de l’autre », « L’inadmissible »,  in Aux bords du politique, p. 159-160, La fabrique éditions, 1998.

[16] Dans ses travaux sur les lieux et fonctions transsubjectives et notamment dans « La transmission de la vie psychique et les contradictions de la modernité », conférence du 26 mars 08 au « Cours sur les techniques de soin en psychiatrie de secteur »  organisé à Villeurbanne du 25 au 28 mars 2008 par l’association SANTE MENTALE ET COMMUNAUTES sur le thème :« TRANSMISSIONS » (actes à paraître).

[17] La Mésentente, op. cit., p. 139.

[18] Ce manuscrit avait été rédigé - probablement en 1921, peu après l’arrivée de l’auteur en France - en langue turque transcrite en caractères arméniens. Cf. la postface du traducteur K. Beledian, écrivain de langue arménienne et maître de Conférences à l’INALCO, qui en a également assuré les notes in « Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie », Un génocide aux déserts de l’inconscient, Belles Lettres, préface René Kaës, 1990, 2OO3, p. 116.

[19] Les Temps Modernes, fév. 1982, n° 427, «  Terrorisme d’un génocide », Janine Altounian, Vahram Altounian, Krikor Beledian. En voici un extrait, cf. « Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie », op. cit., p. 93 à 1OO. Le commentaire de ce manuscrit ne m’a été possible que 23 ans après sa première publication - dans L’intraduisible, Deuil, mémoire, transmission, Dunod/ Psychismes, 2005, dont il constitue le point central:

« Quand nous sommes arrivés à Antarin, nous étions harcelés d’un côté par la faim, de l’autre par les saletés. Les chiens déchiquetaient les morts, personne ne les enterrait. Tout alentour sentait mauvais […]. À Haman, nous avons constaté que les gens mangeaient des sauterelles. Des mourants, des morts partout […]. Mon père était très malade […]. Bientôt il n’y a plus eu de sauterelles, car tout le monde en avait mangé. Et la déportation n’en finissait pas […]. Ma mère a dit : ”Notre malade est très gravement atteint et partira la prochaine fois“ […]. ”Vous osez parler ?” a dit un gendarme et il a frappé à la tête de mon père. Ma mère suppliait […] qu’on la frappe, elle, et qu’on laisse mon père. Sur ce, le gendarme a frappé ma mère […]. Mais à quoi bon ? Que devient un homme gravement malade qu’on bat ? Six jours plus tard, le jour de la mort de mon père, ils ont de nouveau déporté […]. Ils frappaient notre mère. Nous deux frères, nous pleurions. Nous ne pouvions rien faire, car ils étaient comme une meute de chiens […]. Ma mère : ”Nous partirons quand nous aurons enterré le mort“. Ils répliquaient : ”Non vous ferez comme les autres“. Les autres […] abandonnaient les morts et la nuit les chacals les dévoraient. J’ai vu que ça n’allait pas et qu’il fallait faire quelque chose. J’ai pris un flacon de 75 dirhem […], je l’ai rempli d’huile de rose et je suis allé voir le chef des gendarmes de la déportation […]. Je lui ai donné le flacon qu’il a accepté. Nous sommes restés encore un jour. Nous avons creusé une fosse et nous avons payé cinq piastres au curé. Ainsi nous avons enterré mon père […]. Quinze jours après la déportation a recommencé […]. Ils brûlaient tout […]. Je me suis caché là, car j’ai su que plus loin ils tuaient les gens […] ; on avait très faim et soif […]. On n’avait pas d’argent, c’est pourquoi on a commencé à manger des herbes […], on a vu qu’on allait mourir. On faisait à peine deux pas et on tombait par terre. Ma mère a réfléchi : ”Moi pour mourir, je mourrai, vous, il ne le faut pas !” C’est ainsi qu’elle nous a donnés, nous deux, aux Arabes.» .

[20]  Corneille, vers 1712-1713 de Nicomède : La reine D’Arménie Laodice à qui Attale offre le trône de Bithynie lui répond:

« Je ne veux point régner sur votre Bithynie:

 Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie »

[21] René Kaës, Ruptures catastrophiques et travail de la mémoire in Violence d’État et psychanalyse, Dunod, 1989. p. 178.

[22] Sur cette question, on peut consulter entre autres : Yves Ternon, Les Arméniens, histoire d’un génocide, Points Histoire, Seuil, 1996; Leslie A. Davis, La Province de la mort, Archives américaines concernant le génocide des Arméniens (1915), Éd. Complexe, 1994; Revue d’histoire de la Shoah, n°177-178, 2003 (dossier coordonné par G. Bensoussan, C. Mouradian, Y. Ternon): Ailleurs, hier, autrement : Connaissance et reconnaissance du génocide des Arméniens ; Raymond Kévorkian, Le génocide des Arméniens, Odile Jacob/Histoire, 2006.

[23] Cf. ««Faute de parler ma langue/ L’arménien qui me parle, que je ne parle pas » in « Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie », op. cit, p. 147:« Arménienne de France, j’avais dû en 1938, comme tant d’enfants de déracinés de nos jours, avec mes quatre ans, mes nattes rousses tressées par maman et mes yeux noirs aux aguets, émissaires du père, franchir le seuil de l’école maternelle, 7 rue de la jussienne, comme on peut bien à cet âge affronter un pays étranger, menaçant, dont on comprend seulement qu’il est l’unique territoire des jours à venir. Les sombres forêts où sont abandonnées les petites filles des contes débouchent parfois sur de jolies clairières: j’y trouvai ces fées bienveillantes quoique trop assurées, mes institutrices, et devins peu à peu celle qui ne put traduire aux siens, en arménien, aucun de ces affects déchirants ou radieux qui initient au monde, aucun travail de la pensée, aucune évasion de l‘imaginaire ».

[24] au sens défini par Winnicott, cf. « Psychose et soins maternels », in De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969.

[25] « L’école de la République, jadis “mère adoptive” pour les  sinistrés, l’est-elle encore? », in Les Temps Modernes, 615-616/sept.- oct.-nov. 2001.

[26] Par ex.: au-delà des témoignages d’Arméniens: Michael Arlen, Martin Melkonian, Nigoghos Sarafian, ceux d’Andromaque chez Racine, d’Annie Ernaux, Eva Thomas, Semprun, Améry, Camus, Pachet, Handke, Ruth Klüger, Aharon Appelfeld. (in« Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie », op. cit.; La Survivance / Traduire le trauma collectif, Préface de Pierre Fédida, Postface de René Kaës, Dunod / Inconscient et Culture, 2000, 2003); L’Intraduisible, op. cit.; Figures de l’autre en soi, Le Coq –Héron, 192- 2008).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

           

 

 

 

 

 

              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
                                                      

 

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  version française in italiano
"THALASSA. Portolano of Psychoanalysis" is a co-production of "Penta Editions" (Dir. Cosimo Trono) and "Frenis Zero" revue (Dir. Giuseppe Leo) and it would be an attempt to link psychoanalysts and psychotherapists, belonging to the Mediterranean countries. Why would we put the Mediterranean Sea at the centre of attention of psychoanalytic culture? Because it continues keeping , in spite of a time of globalisation of human, cultural and economic exchanges, a central role of hinge between West and East, between cultural patterns dramatically faced with the contemporary problem of sharing universalizable patterns of "humanitas" and civilization. Psychoanalysis, with its group and mass-psychology functioning theories, can help in understanding the anthropological transformations concerning human societies and social institutions in the contemporary world. Our preminent interest is focused on the transformations regarding the cultural "koiné" that has been historically configured as mediterranean, and, moreover,  on the way psychoanalysis can provide interpretative means to investigate them thoroughly. Linking each other  psychoanalysts who, in spite of their different professional backgrounds, share a common belonging to the same cultural milieu, means consulting those who think about such changes from a point of view in which psychoanalysis keeps a preminent role. The means to create this link  would be the traditional ones (through international congresses and colloques), but also those provided by  internet and new communication technologies. "THALASSA. Portolano of Psychoanalysis" est une co-production de "Penta Editions" (Dir. Cosimo Trono) et de la revue "Frenis Zero" (Dir. Giuseppe Leo), née avec le but de mettre en réseau psychanalystes et psychothérapeutes provenants de Pays  Méditerranéens. Pourquoi voulons nous  mettre la Mer Méditerranéenne au centre de l'attention de la culture psychanalytique? Parce que celle-ci continue à tenir, bien que dans une époque de mondialisation des échanges humaines, culturels et économiques, un role central de charnière entre Occident et Orient, entre patterns culturels  dramatiquement confrontés avec la question toute contemporaine de partager de patterns universalisables de "humanitas" et de civilisation. La psychanalyse, avec ses theories du fonctionnement groupal et  des masses, peut nous aider à mieux comprendre les transformations anthropologiques concernantes les sociétés humaines et les institutions sociales dans le monde contemporain. Notre prééminent interet est concentré sur les transformations qui regardent cette koiné culturelle qui historiquement  s'est formée comme mediterraneenne , et sur le comment la psychanalyse peut donner des outils interpretatifs pour approfondir la connaissance de celles-ci. Mettre en liaison des psychanalystes qui, malgré les différentes traditions professionnelles de provenance, partagent l'appartenance au meme milieu méditerranéen,  veut dire interpeller ceux qui réfléchent sur tels changements à partir d'une perspective où la psychanalyse garde une place prééminente. Les moyens pou créer tel réseau seraient ceux traditionnels (séminaires et colloques internationaux), mais aussi innovateurs comme ceux-ci donnés par internet et les nouvelles technologies de communication.  "THALASSA. Portolano of Psychoanalysis" è una co-produzione di "Penta Editions" (Dir. Cosimo Trono) e della rivista "Frenis Zero" (Dir. Giuseppe Leo), nel tentativo di mettere in rete psicoanalisti e psicoterapeuti provenienti dai paesi del Mediterraneo. Perché porre il Mediterraneo al centro dell'attenzione della cultura psicoanalitica?  Perché esso continua ad avere, pur in un'epoca di globalizzazione di scambi umani, culturali ed economici,  quel ruolo centrale di cerniera tra Occidente ed Oriente, tra patterns culturali  messi drammaticamente a confronto con la  problematica contemporanea della condivisione di modelli universalizzabili di "humanitas" e di civiltà. La psicoanalisi,  con le sue teorie sul funzionamento dei gruppi e della psicologia  delle masse, può agevolare la comprensione delle trasformazioni antropologiche  che riguardano le società umane  e le istituzioni sociali nel mondo contemporaneo. Il nostro precipuo interesse è concentrato sulle trasformazioni che hanno per oggetto quella  koiné culturale che storicamente si è configurata come 'mediterranea', e su come la psicoanalisi possa fornire strumenti interpretativi per approfondire  la conoscenza di esse. Porre in collegamento tra di loro gli psicoanalisti che, pur nella diversità delle tradizioni professionali di provenienza, condividono  l'appartenenza al medesimo milieu mediterraneo, significa interpellare coloro che riflettono su tali rivolgimenti da una prospettiva in cui la psicoanalisi mantiene un ruolo preminente. Gli strumenti per creare tale rete saranno quelli tradizionali (attraverso dei seminari e dei congressi internazionali), ma anche quelli innovativi offerti da  internet e dalle nuove tecnologie di comunicazione.

 

 

  

 

A (Aberastury-Avunculo)
B-C (Babinski-Cura)
D- E (Dador de la mujer-Ey Henri)
F- G (Fachinelli Elvio-Guilbert Yvette)
H-I (Haas Ladislav-Italia)
J-M (Jackson John- Myers F.W.H.)
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P (Pacto denegativo-Putnam)

 

 
     

 

 

 Co-Editors:

Cosimo Trono - psychanalyste, énseignant Univ. Paris XIII, directeur Editions "Penta" telecharger  le catalogue

Giuseppe Leo - psichiatra, Centro Psicoterapia Dinamica (Lecce- Italia), editor "Frenis Zero" click here

Comité scientifique/Comitato Scientifico/Scientific Board:

Abram Coen (Paris) psychiatre, chef du service secteur infanto-juvenil Paris-Nord,  directeur collection "Psychanalyse, Médecine et Societé" chez Penta Editions.

Nicole Janigro (Milano) psicoanalista junghiana, nata a Zagabria, collabora a progetti di formazione legati al tema dell’ elaborazione del conflitto, rivolti a volontari e operatori attivi sul campo nelle aree di crisi della ex Jugoslavia. Ha in corso una ricerca su sogno e guerra. 

 

   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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